Science 

Dans la tête des agresseurs sexuels

Que se passe-t-il dans la tête d’un agresseur sexuel ? Alors que le mouvement #moiaussi prend de l’ampleur, une nouvelle étude lève une partie du voile. Des chercheurs italiens viennent de montrer que tant les hommes que les femmes ressentent moins d’empathie pour les femmes perçues comme sexy. Les scientifiques estiment que cette incapacité à se mettre à la place d’une « femme-objet » pourrait contribuer à expliquer tant les actes des agresseurs que le silence de ceux – et de celles – qui en sont témoins.

Femme-objet

Une femme en robe courte, avec des souliers à talons hauts et du maquillage appuyé. La même femme, mais vêtue d’un pantalon confortable, d’un pull et de souliers plats. La première est considérée comme plus sexy et attrayante, tant par les hommes que par les femmes. Mais elle est aussi jugée moins intelligente, moins portée à l’action et plus émotive que l’autre. Ces résultats, maintes fois observés en psychologie, ont été vérifiés à nouveau par une équipe italienne sur une vingtaine de participants des deux sexes. La différence s’explique par la théorie de l’« objectification sexuelle » – le fait que l’observateur porte son attention sur les attributs physiques de la personne plutôt que sur son esprit, et en vient à l’assimiler à un objet. Mais pourquoi les femmes jugent-elles les femmes sexy de la même façon que les hommes ? « Une explication possible, c’est que les hommes et les femmes sont exposés aux mêmes schémas sociaux », écrit l’équipe de la chercheuse Carlotta Cogoni, de l’Université de Trente, en Italie, dans le réputé journal Cortex.

Jeu de ballon

Les scientifiques ont poussé l’expérience plus loin en étudiant l’empathie des participants envers ces femmes sexy, donc leur capacité à se mettre à leur place et à ressentir leurs émotions. Pour cela, ils ont utilisé un jeu bien connu des psychologues appelé « Cyberball ». Dans la version originale, des personnages animés se lancent le ballon, puis l’un d’eux est exclu du jeu et ne reçoit plus de passes. Ce rejet engendre une « douleur sociale ». Ici, les chercheurs ont remplacé les personnages par des vidéos de vraies personnes, dont une blonde et une brune, parfois en robe courte, parfois plus couverte. Appelés à se mettre à la place des protagonistes, les participants ont jugé que la femme sexy ressentait moins de sentiments positifs lorsqu’elle était incluse dans le jeu que la femme décontractée. Étrangement, ils lui ont cependant attribué les mêmes sentiments négatifs lorsqu’elle était exclue – un résultat que les chercheurs soupçonnent d’être biaisé. Ils croient en effet que les participants ont exercé un « contrôle intentionnel sur leurs réponses », parce qu’ils jugeaient « socialement inacceptable » d’attribuer des sentiments différents aux deux types de femmes dans un cas d’exclusion.

Lire dans le cerveau

Si les chercheurs soupçonnent les participants d’avoir été « politiquement corrects » dans leurs réponses, c’est aussi parce qu’ils sont allés voir ce qui se passait dans leur cerveau pendant qu’ils jouaient au jeu de ballon. Grâce à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle, ils ont bel et bien vu que les zones liées à l’empathie étaient moins activées lorsque la femme sexy souffrait d’exclusion sociale. « Il s’agit d’une étude de qualité, réellement intéressante », juge Christian Joyal, directeur adjoint du Centre international de criminologie comparée de l’Université du Québec à Trois-Rivières, qui n’a pas participé aux travaux.

Agression

Alors que le mouvement #moiaussi secoue la planète, les chercheurs font un lien entre leurs recherches et les agressions sexuelles. « L’incapacité à ressentir de l’empathie envers une cible perçue comme un objet sexuel, observée dans cette étude du point de vue tant comportemental que neuronal, peut indiquer un mécanisme possible de motivation derrière la violence sexuelle », avancent-ils. Sachant que le manque d’empathie est reconnu comme un facteur pouvant pousser à la violence, le chercheur Christian Joyal estime que ce lien est loin d’être farfelu. « Si on pense qu’une femme sexy n’est pas portée à passer à l’action, qu’elle n’a pas de grandes émotions quand elle est incluse dans un groupe et que notre cerveau ne répond pas de façon empathique envers elle… On a un beau petit mélange qui peut expliquer à tout le moins le dénigrement, et qui peut faire partie des nombreux facteurs pouvant pousser à l’agression », dit-il.

Et les femmes ?

La recherche italienne suscite une kyrielle de questions dont les auteurs sont bien conscients. Tout au long de l’expérience, par exemple, les femmes ont eu les mêmes réactions que les hommes. Comment, dans ce cas, les résultats peuvent-ils expliquer la violence sexuelle, qui touche les femmes de façon disproportionnée ? « Dans cette étude, nous référons à la violence sexuelle comme un phénomène qui n’inclut pas seulement la participation active, mais aussi l’acceptation passive et la complicité. Elle sous-tend donc autant les comportements des hommes que ceux des femmes », écrivent les auteurs. En bref, le manque d’empathie pourrait expliquer à la fois le comportement des agresseurs et le silence des témoins, hommes comme femmes. Une autre question est culturelle. Tous les participants de l’étude étaient italiens. Les auteurs se demandent si des participantes d’Europe du Nord, où l’égalité des sexes est plus établie, auraient montré plus d’empathie envers les femmes sexy. Les scientifiques soulignent aussi qu’il serait intéressant de refaire la même étude, mais en remplaçant les femmes sexy par des hommes sexy.

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