Conflits armés

La fin du « dernier grand conflit » d’Amérique

La fin du dernier grand conflit d’Amérique est porteuse d’espoir. Non seulement en Colombie, mais à l’échelle planétaire. L’accord de paix qui a permis de le dénouer est un modèle, estiment différents observateurs. Mais au pays, tout le monde n’a pas le cœur à la fête.

À quelques heures de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), l’annonce de la mort de Juan Gabriel, icône flamboyante de la musique latino-américaine, a pris toute la place, dimanche.

« Dans le bulletin de nouvelles, ce soir-là, c’était 15 minutes sur la mort de Juan Gabriel et 2 ou 3 sur la fin de la guerre dans le pays », raconte Diego Osorio, joint par La Presse à Medellín, deuxième ville du pays.

Le chercheur québécois d’origine colombienne, associé à la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal et à l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia, raconte l’anecdote en rigolant, mais elle illustre selon lui la polarisation de la société colombienne sur l’accord de paix.

« La guerre a été vécue de deux points de vue différents », selon qu’on habite en ville ou à la campagne, explique-t-il. La guerre ne se voit pas dans les grandes villes. Par contre, la guerre se vit tous les jours dans les régions rurales, là où les gens voient les confrontations entre les soldats et les guérilleros. »

Résultat, si les populations rurales, exaspérées par un demi-siècle de conflit, sont généralement favorables à la fin des hostilités et aux compromis qu’elle requiert, les populations urbaines sont plutôt dans « une logique de vengeance ».

Les Colombiens seront invités à se prononcer sur l’accord de paix lors d’un plébiscite qui se tiendra le 2 octobre prochain, soit après la signature officielle, le 26 septembre.

L’accord pourrait aller de l’avant sans un appui populaire, mais ça « va être difficile », reconnaît Diego Osorio, qui craint que l’entente ne devienne alors un enjeu électoral lors du scrutin prévu en 2018.

UN ACCORD MODÈLE

« Il y a vraiment de quoi célébrer », pense néanmoins Me Pascal Paradis, directeur général d’Avocats sans frontières Canada, une organisation non gouvernementale très présente en Colombie.

« C’est un des conflits qu’on disait insolubles il y a encore pas si longtemps, explique-t-il. Il y a un message d’espoir très fort là-dedans. »

Le juriste y voit aussi « un accord bien monté d’un point de vue juridique », qui a été rédigé en tenant compte du droit international et qui prévoit la suite des choses, notamment la justice transitionnelle, soit le traitement par les tribunaux des crimes commis durant le conflit.

L’accord revêt aussi une grande valeur symbolique aux yeux de Pascal Paradis, puisqu’il met un terme au « dernier grand conflit » des Amériques.

« Retournons 30 ans en arrière, l’Amérique latine était à feu et à sang », rappelle-t-il, évoquant les « massacres de populations entières », les viols, les écartèlements et le largage d’opposants politiques en pleine mer, à partir d’avions.

Aujourd’hui, son organisation « travaille à établir la vérité » sur les crimes commis à cette époque, un exercice qu’elle pourra bientôt faire aussi en Colombie.

Pascal Paradis voit aussi dans cet accord un exemple à suivre pour régler, un jour, d’autres conflits qui paraissent aujourd’hui insolubles, comme le conflit syrien.

« Ce qui se passe aujourd’hui [en Colombie], c’est la preuve que c’est possible. »

DES DÉFIS NOMBREUX

Si les négociations qui ont mené à cet accord ont nécessité des efforts titanesques, beaucoup reste encore à faire.

« Le défi le plus immédiat, c’est d’abord la démobilisation et la réintégration des anciens combattants », dont certains ont passé leur vie entière dans la rébellion, affirme Diego Osorio.

La réinstallation des personnes qui ont fui le conflit sera un autre défi, souligne Pascal Paradis.

« Il y a 8 millions de personnes qui doivent revenir chez elles ! »

— Pascal Paradis, Avocats sans frontières Canada

La mise en œuvre de l’accord de paix s’étendra sur plusieurs années, souligne le juriste, qui parle du « début d’un long processus » : tribunaux à créer, avec des juges colombiens et internationaux, opérations de déminage, réforme agraire.

Le démantèlement des groupes paramilitaires, créés par le gouvernement colombien dans les années 60 et qui se sont depuis mutés en groupes criminels très actifs dans le trafic de drogues, le trafic d’armes et l’extorsion, sera également un défi de taille.

« Toutes les [organisations] internationales ont toujours été unanimes pour dire que la majorité des violations des droits de la personne et les violations des droits de la personne les plus graves ont été commises par les paramilitaires, rappelle Pascal Paradis, et ces groupes-là existent toujours aujourd’hui sous une autre forme. »

UN ACCORD « MADE IN NORWAY »

L’accord de paix conclu entre l’État colombien et les FARC aurait été impossible sans la Norvège, estime le chercheur québécois Diego Osorio, qui parle d’un accord « made in Norway » (fait en Norvège). « Ils ont lancé la discussion, ils ont mis l’argent pour rendre la chose possible, pour que les guérilleros puissent se rendre [aux rencontres] », explique-t-il, vantant la « bonne architecture de négociation » et la « politique étrangère unique, bien ficelée » d’Oslo. « J’aimerais que le Canada soit comme ça, un jour », dit cet ancien diplomate. « La Norvège mérite le prix Nobel [de la paix] ! »

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