ÉDITORIAL FRANÇOIS CARDINAL

AIDE DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL AUX MÉDIAS L’information est un bien qui vous appartient

Imaginez votre quotidien sans quotidiens. Sans accès à ce journal, ce média écrit ou cette application que vous consultez religieusement, chaque jour, pour savoir ce qui se passe chez vous et tout autour de vous.

Ce scénario cauchemardesque, il était tout à fait envisageable jusqu’à hier. Jusqu’à ce que le gouvernement Trudeau se porte au secours, en fait, d’une industrie qui a déjà la moitié du corps écrasée sous un rouleau compresseur nommé Google/Facebook.

Imaginez : chaque année au pays, depuis 2010, quatre quotidiens en moyenne ferment leurs portes.

Quatre quotidiens. Par année. Et autant de communautés, de villes, de régions qui doivent faire leur deuil d’une information cruciale à la conduite de leurs affaires.

L’annonce faite hier par Ottawa doit encore être clarifiée, mais a le potentiel de stopper la saignée.

Car en ajoutant les médias écrits à la liste des entreprises culturelles qui ont droit à l’aide gouvernementale pour affronter la concurrence des géants américains, le fédéral fait un geste fort et nécessaire.

Fort, parce que la somme budgétée (595 millions sur 5 ans) est potentiellement à la hauteur de la crise que traverse la presse écrite.

Nécessaire, parce que le journalisme de qualité est un maillon essentiel de ce que nous sommes comme société, comme pays. Les grandes salles de rédaction sont un outil collectif névralgique, avec leurs journalistes professionnels qui posent des questions, qui vérifient, qui confrontent, qui enquêtent, qui assurent l’obligation des gouvernants de rendre des comptes.

En ce sens, le geste du gouvernement Trudeau est puissant : il consacre l’information en tant que bien public, qui appartient à tous.

C’est précisément ce que veut dire le gouvernement quand il s’attribue « la responsabilité de s’assurer que les Canadiens ont accès à un vaste éventail de sources d’information indépendantes et de confiance ». Il vient ainsi épauler les médias écrits dans leur mission première.

Le gouvernement sert l’intérêt public, tout comme le journalisme de qualité. Et donc, le gouvernement a un rôle à jouer lorsque ce même journalisme est en péril. Surtout lorsque la menace vient de l’étranger.

Pas sorcier : les géants américains siphonnent 80 % des publicités numériques au pays. Et ils le font sans produire eux-mêmes de contenus ! Google et Facebook se comportent ainsi comme des chalutiers qui raclent l’information produite par d’autres, sans offrir de compensation aux grandes salles de rédaction qui la produisent à fort prix.

D’où ce besoin d’aide. Une aide qui n’a rien d’hérétique quand on sait que les journaux canadiens reçoivent présentement l’équivalent d’à peine 2 $ par habitant… contre 30 $ en France et 100 $ dans les pays scandinaves !

Le modèle d’affaires des journaux ne tient tout simplement plus à l’ère numérique, alors que l’information se trouve gratuitement sur le web et que le nombre de lecteurs prêts à payer pour un journal papier est en chute libre.

C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles La Presse a été cédée à un organisme à but non lucratif récemment : pour diversifier ses sources de revenus, en ouvrant ses portes à la philanthropie, aux dons des lecteurs et à l’aide gouvernementale.

La bonne nouvelle, c’est que l’énoncé budgétaire déposé hier ne se contente pas d’aider les OBNL en leur permettant de recevoir des dons de bienfaisance, il offre aussi, et surtout, un crédit d’impôt universel « aux organismes d’information à but lucratif ou non lucratif » (les critères seront déterminés par des représentants des médias, pas par le gouvernement).

Ce qui tue dans l’œuf la critique vicieuse du Parti conservateur, qui accuse Justin Trudeau de « s’acheter » des appuis. L’indépendance des quotidiens n’est pas davantage remise en question que celle de Radio-Canada ou des magazines comme L’actualité et Maclean’s, qui profitent d’une aide fédérale depuis longtemps.

Sans intervention gouvernementale, bien d’autres quotidiens auraient eu à mettre la clé sous la porte. Il était plus que temps qu’on les aide, dans l’intérêt public.

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