CPE

La bataille est aussi un jeu

Soucieux de mieux accompagner les garçons, des intervenants en petite enfance de la MRC des Sources, en Estrie, ont conçu un « cadre de référence » qui suggère entre autres d’accepter les jeux de bataille et de guerre dans les CPE. Le document Mieux soutenir les garçons ne parle pas de simplement tolérer le chamaillage, les courses-poursuites et les jeux de guerre avec des armes jouets ou imaginaires, mais de les accueillir « de manière positive ». L’idée fera-t-elle son chemin ?

« Dans “jeu de bataille”, on entend beaucoup le mot “bataille”, mais pas le mot “jeu”. Ce n’est pas le mot “bataille” qui est important, c’est le mot “jeu” », estime Naïma Boumedine, directrice générale du CPE Pierrot la lune, à Longueuil, où ce type de jeu ne pose pas problème. Le son de cloche est différent au CPE Génies en herbe de Laval, où c’est un « non catégorique à 95 % », dit sa directrice générale, Sylvie Lavoie.

Mme Lavoie précise toutefois qu’il arrive que les enfants se courent après et s’arrosent avec des vaporisateurs d’eau lors de journées chaudes ou qu’ils se chamaillent avec de gros tubes en mousse.

« On n’appelle pas ça des armes. On ne dit pas qu’on joue à la bataille. », dit-elle.

Des limites claires

Pour les auteurs de Mieux soutenir les garçons, il ne fait aucun doute que les jeux de bataille contribuent « à la construction et à l’épanouissement des enfants ». C’est aussi l’avis de Daniel Paquette, professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal, qui étudie depuis des années les jeux de bataille, en particulier entre les garçons. Ils servent à en apprendre sur soi et ses habiletés, mais aussi à raffermir les liens sociaux. Les garçons qui y jouent ensemble deviennent même de « grands chums », selon le chercheur.

Luce Vandemeulebroecke, directrice du CPE Saint-Édouard, à Montréal, constate que la tolérance envers ces jeux n’est pas la même pour tous.

« C’est souvent quand il y a un éducateur que ça s’initie. Quand j’étais éducatrice, j’ai découvert ça avec un autre éducateur dans le groupe des 4 ans. »

— Luce Vandemeulebroecke

Son ouverture vient avec des limites importantes : le respect de l’autre et la sécurité.

Il est crucial, comme le souligne aussi Naïma Boumedine, que le jeu soit consensuel. Deux enfants qui jouent, sourient, rigolent et inversent les rôles : le poursuivant devient le poursuivi, par exemple. « Quand il y a de la colère, c’est de la résolution de conflit, ce n’est plus du jeu, observe Luce Vandemeulebroecke. Tu ne respectes pas les limites de l’autre quand tu es en colère. »

« C’est tout un apprentissage que d’apprendre à respecter les limites de l’autre. Quand l’autre n’a pas de sourire, qu’il dit “non, arrête”, tu arrêtes. Même si toi tu as du plaisir. Ça développe la maîtrise de soi », poursuit la directrice du CPE Saint-Édouard. « Il faut bien distinguer le jeu de bataille d’une vraie bagarre, fait valoir Naïma Boumedine. Une bagarre, ce n’est jamais toléré. Jamais. »

Et les filles ?

Luce Vandemeulebroecke estime que le cadre de référence conçu en Estrie s’inscrit dans les tendances actuelles qui insistent sur la motricité comme élément de développement. Naïma Boumedine juge aussi que les temps changent. Lorsqu’elle est arrivée au CPE Pierrot la lune, il y a 17 ans, « tout était assez contrôlé » : les jeux de guerre et la prise de risque dans les modules de jeux étaient interdits.

« Ce que j’ai vu ou entendu [au sujet des jeux de bataille], je ne trouvais pas ça négatif », dit par ailleurs Sylvie Lavoie, du CPE Génies en herbe. L’existence d’un document appuyé sur des recherches « peut aider » à rassurer les parents, si le sujet fait l’objet de discussions avec les éducatrices.

Et les jeux de bataille, c’est pour les garçons ou les filles aussi ? Oui, les gars sont souvent plus « moteurs », constate Naïma Boumedine, « mais il ne faut pas réduire ça au fait que juste les garçons aiment ça ». « Pour moi, les filles en ont autant besoin que les garçons. Quand on les stimule assez, elles embarquent, dit pour sa part Luce Vandemeulebroecke. Je trouve ça un petit peu dommage, parce qu’on ne l’entend pas tellement, ça. »

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