Red Fisher 1926-2018

Une légende du journalisme s’éteint

WASHINGTON — Red Fisher, légendaire journaliste qui a couvert les activités du Canadien de 1955 à 2012 pour le Montreal Star et The Gazette, est mort hier. Il avait 91 ans. La nouvelle a été annoncée par le collègue Michael Farber de TSN.

M. Fisher s’éteint ainsi 10 jours après son épouse, Tillie, avec qui il a vécu 69 ans de mariage.

M. Fisher, reconnu pour ses fameux règlements dont lui seul connaissait le secret (les « Red Rules »), a travaillé jusqu’à l’âge de 85 ans. Au cours de sa carrière, il a remporté trois prix au Concours canadien de journalisme, de même qu’un prix Elmer-Ferguson, qui vaut à son lauréat d’être admis au Temple de la renommée du hockey. Il était cependant en froid avec l’institution depuis 2003, quand il avait été décidé que les journalistes seraient désormais dans une catégorie à part, et ne seraient plus des membres du Temple à part entière.

« Red avait tout un caractère », se souvient le collègue Pat Hickey, qui couvre toujours le Canadien pour le Montreal Gazette et qui avait connu M. Fisher en 1965.

Le 29 décembre dernier, il a été nommé au sein de l’Ordre du Canada.

Un premier match mémorable

Red Fisher a commencé sa carrière en plein tumulte. Le premier match du Canadien qu’il a couvert : le 17 mars 1955, jour de l’émeute à la suite de la suspension de Maurice Richard.

M. Fisher était alors à l’emploi du Star, poste qu’il a conservé jusqu’à la fermeture du quotidien en 1979. « J’ai commencé au Star en 1965, se souvient Pat Hickey. Il m’a alors enseigné tous les rudiments du métier. C’était mon mentor. Il était déjà un gros nom et travaillait souvent à Hockey Night in Canada. »

À la fin des activités du Star, M. Fisher a poursuivi son chemin à The Gazette, là où il travaillait au moment de sa retraite en 2012. Au fil des ans, il s’est imposé comme l’homme le plus influent de sa profession.

« Dans les années 70, il a contribué à la hausse des salaires des joueurs de hockey dans la LNH. Il a publié une série d’articles où il dévoilait les salaires des joueurs. Les directeurs généraux ne voulaient pas que ça se sache. Ça lui a coûté sa présence à Hockey Night in Canada. »

— Pat Hickey, journaliste à The Gazette

Peut-on parler de lui comme de l’équivalent de ce qu’est aujourd’hui Bob McKenzie à TSN ?

« C’est plus que ça », tranche le collègue du Journal de Montréal Marc de Foy, qui a connu M. Fisher en 1982. « Il arrivait dans une ville, les gens se mettaient presque à genoux devant lui. Il demandait quelque chose, il l’avait tout de suite. S’il manquait quelque chose sur la galerie de presse, un téléphone, il n’était pas beau à voir. Il allait voir le directeur des communications. “I need a phone and I want it right now.” Et il l’avait. »

Un respect incomparable

Avec son style incisif, Fisher n’avait pas que des amis. Toe Blake et Jacques Demers font partie des personnes avec qui il a déjà été en froid, pour ne nommer qu’eux.

Dans le vestiaire, pas question de parler aux joueurs recrues. C’était sans doute la plus connue de ses « Red Rules ». « Il disait qu’ils n’avaient rien à dire de toute façon », explique Hickey. « Des fois, ça pouvait prendre 2-3 ans avant qu’il s’adresse aux jeunes », ajoute de Foy.

Mais il jouissait d’un respect incomparable des joueurs. « Quand je traversais de mauvaises séquences, je me posais des questions, a raconté Ken Dryden à Michael Farber. Si je ne trouvais pas les réponses, je me disais “Je me demande ce que Red en pense” et j’attendais le journal du lendemain. Je ne faisais jamais ça avec les autres journalistes. »

« Une fois, après un match, Mark Recchi répondait en enchaînant les clichés. Red est ressorti de la mêlée de presse, jugeant qu’il perdait son temps. Recchi a couru après lui dans le vestiaire. “Que veux-tu que je te dise, Red ?” »

— Pat Hickey

Parmi ses habitudes, il y avait aussi sa fameuse bouteille de scotch Chivas. Quand le Canadien a cessé de servir de l’alcool dans le salon des journalistes, M. Fisher a pu conserver son droit acquis.

Si on se fie aux innombrables témoignages lus sur Twitter hier, de partout dans la LNH, Red Fisher a inspiré une génération complète de journalistes. Arpon Basu, du site Athletique.com, est l’un d’eux.

« Red m’a appris à aimer le hockey, raconte Basu. Quand j’étais petit, je regardais les matchs le soir, mais jamais jusqu’à la fin, car ça se terminait trop tard. Donc le lendemain matin, je prenais le journal, mon bol de céréales et je déjeunais avec Red. Si je suis devenu un partisan passionné, et ensuite un journaliste passionné de hockey, c’est grâce à Red.

« À une époque où les matchs n’étaient pas tous à la télévision, combien de générations de jeunes ont vécu la même expérience que moi, tout au long de sa carrière ? Ça dépasse l’entendement. »

Et dire que l’aventure aurait très bien pu se terminer plus tôt. « En 1987, notre éditeur à The Gazette m’a demandé de tasser Red de la couverture du Canadien, raconte Pat Hickey. J’ai refusé, c’était hors de question. Il disait que Red avait perdu sa balle rapide. »

Red Fisher a finalement travaillé 25 ans de plus avant de raccrocher son calepin. Il n’avait visiblement pas perdu sa balle rapide.

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