Alcool au volant

Ottawa fait une croix sur le 0,05 « pour le moment »

Ottawa — Le gouvernement Trudeau abandonne, du moins pour le moment, l’idée d’abaisser de 0,08 à 0,05 le taux maximal d’alcoolémie permis en vertu du Code criminel, comme il avait envisagé de le faire l’an dernier.

La ministre fédérale de la Justice, Jody Wilson-Raybould, qui avait tenté de convaincre ses homologues provinciaux de la justesse d’une telle mesure au printemps dernier, a fait savoir qu’Ottawa mise maintenant sur de nouvelles mesures contenues dans le projet de loi C-46, qui chemine actuellement au Sénat, afin de contrer le fléau que représente la conduite avec les facultés affaiblies.

Le projet de loi C-46, qui a été déposé en même temps que le projet de loi C-45 sur la légalisation de la marijuana, donnera de nouveaux pouvoirs aux policiers, en particulier celui d’exiger un échantillon d’haleine de tout conducteur intercepté pour avoir commis une infraction au Code de la route ou dans le cadre d’une vérification de routine. Ainsi, les policiers n’auront plus besoin d’avoir des « motifs raisonnables de soupçonner » que l’automobiliste est en état d’ébriété pour demander qu’il se soumette à un test d’alcoolémie.

« Même si nous croyons que l’abaissement de la limite fédérale répondrait mieux au danger posé par les automobilistes qui conduisent avec les facultés affaiblies, en envoyant un message fort par le biais du droit criminel […], il n’y a pas de plans, pour le moment, de présenter un projet de loi, bien que cela puisse être une option plus tard », a indiqué David Taylor, directeur des communications de la ministre Wilson-Raybould, dans un courriel à La Presse.

« Dans l’intervalle, nous sommes convaincus que les nouvelles mesures proposées dans le projet de loi C-46 […] seront hautement efficaces pour modifier le comportement des automobilistes, et ainsi garder nos routes sécuritaires du fléau que constitue la conduite avec les facultés affaiblies. »

— David Taylor, directeur des communications de la ministre Wilson-Raybould, dans un courriel à La Presse

M. Taylor a souligné que la plupart des provinces imposent des « limites administratives » de 50 mg par 100 ml de sang aux automobilistes sur les routes. « Certaines provinces sont aussi en train d’explorer des méthodes innovatrices pour réduire le nombre de conducteurs avec les facultés affaiblies. Ces nouvelles mesures sont très prometteuses », a ajouté M. Taylor.

À titre d’exemple, en Colombie-Britannique, tout conducteur qui est intercepté par les policiers avec un taux d’alcool se situant entre 0,05 et 0,08 voit son permis suspendu pendant trois jours et se voit imposer une amende qui totalise au moins 600 $ quand on y ajoute les divers frais. Cette mesure instaurée en 2010 a permis de réduire le nombre d’accidents d’automobile reliés à l’alcool de 40 % et le nombre de blessés, de 23 %.

le Québec fait cavalier seul

Le Québec demeure la seule province à ne prévoir aucune sanction pour les automobilistes qui dépassent la limite de 0,05. En 2010, le gouvernement Charest avait déposé un projet de loi prévoyant entre autres de suspendre pendant 24 heures le permis de conduire d’un automobiliste dont l’alcoolémie se situe entre 0,05 et 0,08. Il avait finalement fait marche arrière devant la grogne des restaurateurs et les hauts cris des partis de l’opposition.

Le gouvernement Couillard avait exprimé l’automne dernier de sérieuses réserves face aux intentions de la ministre fédérale de la Justice. On craignait qu’une telle mesure ait pour effet de doubler le nombre de dossiers judiciarisés pour la conduite sous l’effet de l’alcool. Cela entraînerait inévitablement une augmentation de la charge de travail des services policiers et des procureurs et risquerait d’engorger davantage les tribunaux.

En outre, on craignait que le changement envisagé par Ottawa ait « des impacts importants touchant la sécurité routière, le système de justice, les corps policiers, l’industrie hôtelière et de la restauration, et bon nombre de citoyens ».

Dans une lettre qu’elle avait fait parvenir à ses homologues provinciaux, en mai dernier, la ministre fédérale de la Justice Jody Wilson-Raybould affirmait que « la limite actuelle de 80 mg avait été établie à la lumière de résultats de recherche de l’époque selon lesquels le risque d’être impliqué dans un accident de la route mortel était deux fois plus élevé à ce taux d’alcoolémie. Des recherches plus récentes indiquent que les données initiales avaient sous-estimé ce risque ».

Elle avait aussi fait valoir que « le risque est presque deux fois supérieur à 50 mg. À 80 mg, il est supérieur de près de trois fois, et il augmente de manière exponentielle au-delà de ce taux ».

Rappelons que la limite actuelle de 0,08 a été inscrite au Code criminel il y a presque 50 ans, en 1969, alors que le gouvernement libéral de Pierre Elliott Trudeau, père de l’actuel premier ministre, était au pouvoir.

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