Rapport de l’IET et du CESAR

Combattre autrement les changements climatiques

Il est temps pour le Canada d’adopter une nouvelle approche et de se doter de nouveaux outils, si le pays veut honorer ses objectifs climatiques et économiques.

Le Canada n’a pas réussi à atteindre deux cibles climatiques internationales : l’accord de Kyoto en 1997 et l’engagement de Copenhague en 2009. Puis, sans revoir en profondeur ses stratégies, le pays a tout de même pris des engagements à Paris en 2015, lesquels représentent des réductions annuelles d’émissions de gaz à effet de serre (GES) de 1,5 à 3 fois plus importantes. Le défi est maintenant d’atteindre ces objectifs, avec une croissance démographique et économique.

Les outils politiques tels que la tarification du carbone, les normes d’émission sur les carburants et les subventions aux énergies vertes ou à l’électrification des transports, bien que nécessaires, ne permettent de réaliser que des gains marginaux. Réaliser les engagements de Paris exigera des changements – voire des bouleversements – systémiques dans la production et l’utilisation de l’énergie, certes, mais aussi dans le secteur de l’alimentation, du transport et de l’aménagement du territoire.

Or, le discours politique des 20 dernières années au Canada montre clairement que le seul impératif de la lutte contre le changement climatique et de l’atténuation de ses effets n’est pas suffisant pour amorcer une transformation profonde. Il nous faut donc chercher des motivations au-delà de la seule question des émissions de GES pour transformer les systèmes. Et il n’est pas nécessaire de regarder bien loin pour trouver.

Le secteur du transport, par exemple, en plus d’être une des plus grandes sources de production de GES, tue ou blesse gravement 12 000 Canadiens annuellement. S’ajoutent à cela la pollution atmosphérique découlant de la combustion qui diminue l’espérance de vie, les problèmes de congestion qui réduisent la productivité ainsi que les importantes dépenses en infrastructures. Sans parler des coûts individuels : bien qu’étant l’un des postes de dépense les plus importants des ménages, une voiture n’est utilisée en moyenne que 4 % du temps. Le reste du temps, elle occupera souvent un espace de stationnement aménagé dans les zones foncières les plus chères au pays. Nous pourrions certainement faire un meilleur usage de notre budget de mobilité et des espaces ainsi libérés.

Plusieurs grandes entreprises voient là une opportunité pour de nouvelles technologies ou de nouveaux modèles d’affaires – parfois socialement innovants – susceptibles de perturber globalement les systèmes de mobilité : électrification des transports, véhicules autonomes, autopartage, mobilité en tant que service (Mobility-as-a-Service ou MaaS). 

Si ces innovations ont le potentiel de régler certains problèmes liés au transport, elles ont le potentiel tout aussi grand de les aggraver.

Les véhicules autonomes, par exemple, pourraient entraîner une réduction du taux d’occupation par véhicule, favoriser l’étalement urbain et donc aggraver la congestion aux heures de pointe. Par contre, si leur déploiement est encadré par les bonnes politiques coordonnées à d’autres mesures, ils pourraient certainement contribuer à exactement l’inverse, en transformant le cœur des villes grâce à la conversion de garages et de stationnements en espaces de vie communs. Et cette transformation n’a pas à être motivée principalement par la réduction des GES. Elle gagnerait d’autant plus à être abordée sous l’angle des considérations économiques et sociales.

Afin d’y parvenir, nos décideurs doivent disposer de nouveaux outils stratégiques pour comprendre et anticiper les impacts sociaux, économiques et environnementaux des innovations à venir. Seulement alors seront-ils en mesure d’agir, à l’échelle nationale et locale, pour orienter positivement l’innovation afin qu’elle contribue à l’atteinte d’objectifs sociétaux plus larges que la seule question du changement climatique.

Les outils à développer demandent que la réflexion politique passe de la rétrospective à la prospective. L’élaboration de nouvelles politiques doit s’appuyer sur l’analyse et la modélisation indépendantes, basées sur des données probantes et capables d’explorer un large éventail de scénarios de déploiement des innovations transformatrices. Ultimement, il s’agit de se doter de nouveaux outils pour la prise de décision, dans un contexte où les enjeux sont de plus en plus complexes et interreliés, et où des impératifs humanitaires et pragmatiques doivent l’emporter sur la joute politique. Il est possible d’agir dès maintenant ; des recommandations en ce sens se trouvent dans un nouveau rapport, produit par l’Energy Systems Analysis Research Initiative (CESAR) de l’Université de Calgary et l’Institut de l’énergie Trottier (IET) de Polytechnique Montréal.

Sans recours à des outils stratégiques pour « orienter les perturbations » en ces temps de changements systémiques, le Canada a non seulement peu d’espoir de respecter les engagements de la Déclaration de Paris, mais ses efforts se feront sans égard à la prospérité économique, à la cohésion sociale ainsi qu’à une meilleure qualité de vie pour les générations futures.

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