À BIEN Y PENSER

La charrue avant les bœufs

Avant de subventionner davantage l’achat d’une voiture électrique, ne pensez-vous pas qu’il serait plus logique d’installer des bornes de recharge dans tous les quartiers ? Dans le mien, il n’y en a aucune. Souvent, nos dirigeants ont tendance à mettre la charrue avant les bœufs…

— Andrée Beauregard, Montréal

OPINION INCONDUITE SEXUELLE CHEZ LES PROFESSIONNELS

Le rehaussement des sanctions… mais encore ?

Tout le monde en convient, l’inconduite sexuelle chez les professionnels, comme partout ailleurs du reste, est intolérable.

On comprend ainsi très bien le ras-le-bol du président du Collège des médecins du Québec, le Dr Charles Bernard, qui réclame une véritable politique de « tolérance zéro » à ce sujet, en interpellant les autorités gouvernementales, afin que des sanctions plus sévères soient établies par voie législative, les tribunaux n’étant manifestement pas en mesure de faire évoluer une jurisprudence déficiente en cette matière. Il semble d’ailleurs qu’à Québec, on s’apprête à donner suite à cette demande. Mais est-ce vraiment la seule solution à privilégier ?

Au Québec, comme ailleurs au Canada, ce sont des tribunaux disciplinaires spécialisés qui sont chargés de disposer des poursuites pour les infractions en matière d’inconduite sexuelle chez les professionnels.

Malgré toute la sympathie qu’on peut avoir pour les victimes, l’obtention d’une déclaration de culpabilité et d’une sanction appropriée dans un tel contexte n’est jamais une affaire facile.

On peut ici évoquer les difficultés rencontrées sur le plan judiciaire dans l’affaire Ghomeshi et dans celle des policiers de Val-d’Or pour mieux saisir les enjeux en cause.

EFFET PARADOXAL

Or, l’effet paradoxal d’une mesure isolée consistant à prévoir des sanctions plus lourdes pourrait être de ne pas favoriser autant de plaidoyers de culpabilité que ceux actuellement obtenus. Ce pourrait notamment être le cas si on devait s’aligner sur l’exemple de l’Ontario où, en vertu d’une politique de tolérance zéro formellement instaurée depuis plusieurs années, une sanction disciplinaire minimale correspondant à une radiation (retrait du droit d’exercice) de cinq ans est prévue pour certains actes d’inconduite sexuelle.

Or, si la crainte d’une sanction aussi lourde devait effectivement conduire des professionnels à ne pas plaider coupable, il faudra alors que les parties poursuivantes disposent d’une preuve qui pourra résister aux aléas du processus judiciaire, ce qui n’est évidemment jamais assuré. Ultimement, on ne peut donc exclure un scénario où on se retrouverait, pour une période donnée, avec un nombre réduit de professionnels déclarés coupables et sanctionnés.

Ainsi, bien que l’approche ontarienne témoigne d’une volonté réelle de s’attaquer au problème, elle ne serait pas si concluante au chapitre d’une diminution réelle des cas d’inconduite sexuelle.

Elle s’avère aussi très « génitocentrique » (les sanctions lourdes visant les actes d’inconduite où il y a « contact génito-génital », « masturbation », etc.), alors que d’autres actes d’inconduite sexuelle qui peuvent avoir un effet tout aussi dévastateur sur les victimes sont sanctionnés de façon plus clémente. Récemment d’ailleurs, un groupe d’étude mandaté par le ministre ontarien de la Santé faisait un bilan assez critique des résultats ainsi obtenus.

Il serait donc certainement sage pour le Québec de porter attention à ce bilan et de ne pas tout miser sur une seule mesure qui, bien que spectaculaire, pourrait s’avérer inefficace dans la lutte contre l’inconduite sexuelle. Il appert ainsi que, s’il ne faut pas négliger une possible augmentation des sanctions, d’autres mesures doivent aussi être considérées, par exemple, l’offre d’une aide psychosociale aux victimes, des garanties plus solides pour l’indemnisation du préjudice ainsi que des moyens plus efficaces pour assurer le suivi de la réintégration à la pratique des professionnels sanctionnés.

*Enseignant au programme de maîtrise en droit et politiques de la santé de l’Université de Sherbrooke et directeur général d’un ordre professionnel

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