Chronique

Notaires à rabais

Les notaires qui se targuent d’être des apôtres de la bonne entente se livrent présentement une féroce guerre des prix dans l’immobilier résidentiel.

Certains notaires qui offrent des services tout près du prix coûtant drainent l’ensemble de la profession vers le bas. « Depuis un an ou deux, c’est vraiment inquiétant », constate Marie-Sylvie Janelle, présidente de l’Association professionnelle des notaires du Québec (APNQ).

Il faut dire que le nombre de transactions immobilières a reculé au Québec en 2013 et 2014, augmentant d’un cran la concurrence déjà très vive entre les notaires avec l’apparition des sites web de comparaison des prix.

La semaine dernière, une association régionale de notaires a même envoyé une lettre à ses membres pour dénoncer les notaires qui travaillent à rabais. « Enrayons cette frénésie de concurrence et de procédés déloyaux », a écrit Isabelle Couturier, présidente de l’Association des notaires de Laval, Laurentides et Lanaudière (AN3L).

L’AN3L rapporte que certains notaires demandent à peine 825 $, incluant les frais et les taxes, pour une transaction prêt/vente. Ce tarif est un tiers plus bas que celui d’autres notaires qui exigent environ 1250 $ à l’achat d’une maison.

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À 825 $, les notaires font bien peu d’argent, car ils doivent débourser environ 450 $ en frais de tout acabit : près de 300 $ pour l’inscription au registre foncier ; de 30 à 60 $ pour vérifier si les taxes scolaire et municipale ont été payées ; de 30 à 40 $ pour la recherche de titres ; 47 $ pour accéder à la plateforme informatique des banques.

Depuis 30 ans, les frais gouvernementaux ont explosé de 600 %, déplore Mme Janelle. Pendant ce temps, les honoraires des notaires sont en chute libre, même si les consommateurs ont l’impression que les frais des notaires pour une transaction immobilière tournent autour de 1000 $ depuis des années.

En fait, le notaire qui demande un montant forfaitaire de 825 $ à son client se retrouvera avec des honoraires de seulement 325 $, après frais et taxes. Mais là-dessus, il doit payer son adjointe et tous les coûts fixes liés à son bureau. Que lui reste-t-il vraiment dans ses poches au bout du compte ?

Pour s’en sortir, ces notaires doivent faire du gros volume. Risquent-ils de tourner les coins ronds ? La protection du public est-elle en jeu ?

La Chambre des notaires estime que non. « Dans les faits, il n’y a pas de lien de causalité entre les honoraires et la qualité du travail », répond son président Gérard Guay, qui a souvent posé la question aux inspecteurs qui visitent les notaires tous les quatre ans.

Autrement dit, les consommateurs peuvent avoir confiance dans un notaire qui exige moins cher, n’en déplaise aux notaires qui s’insurgent contre leurs collègues qui font chuter les honoraires de toute la profession.

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Si les notaires à rabais ne bâclent pas leur travail, certains ont toutefois des pratiques commerciales douteuses.

Ils attirent les acheteurs avec des prix très bas, mais se reprennent en imposant un tarif beaucoup plus élevé aux vendeurs qui n’ont pas le choix de faire affaire avec le même notaire pour obtenir leur quittance.

De tels honoraires ne semblent pas « justes et raisonnables », comme l’exige le code de déontologie des notaires.

En toute logique, l’acheteur devrait payer plus cher que le vendeur, car le prêt/vente exige deux fois plus de temps au notaire que la quittance.

En général, le notaire passe quatre ou cinq heures sur le prêt/vente (parfois plus si le dossier est plus complexe), tandis que la quittance lui prend seulement deux heures de travail (parfois plus si le créancier est un prêteur alternatif).

Or, le vendeur est pris en otage, car c’est à l’acheteur que revient le droit de choisir le notaire qui agira pour les deux parties.

Tout cela est malsain, même si les vendeurs peuvent toujours se plaindre de surfacturation à la Chambre des notaires.

En effet, ils disposent de 45 jours après la transaction pour contester les frais auprès de la Chambre qui procédera à une conciliation si les frais sont disproportionnés. Mais les vendeurs sont-ils au courant de ce recours ? J’en doute…

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Bien des notaires nostalgiques rêvent du retour des honoraires obligatoires, abolis par Québec en 1991.

Mais le vent n’est pas près de tourner. Les consommateurs verraient d’un très mauvais œil l’imposition d’un tarif uniforme qui les empêcherait de magasiner. D’autres pays, comme la France, sont d’ailleurs en train de supprimer les tarifs obligatoires des notaires.

La solution est ailleurs. Il faudrait revaloriser le rôle du notaire. Présentement, les consommateurs débarquent dans le bureau du notaire quand la transaction est entièrement ficelée.

Ils veulent payer le moins cher possible, car ils ont l’impression qu’il ne s’agit que de pures formalités. Pourtant, le notaire, qui est le seul conseiller impartial dans une transaction immobilière, peut leur fournir de précieux conseils juridiques.

Mais pour que le notaire ait un maximum de valeur ajoutée, il faudrait qu’il puisse agir en amont. Il faudrait qu’il rencontre les clients avant que le tout soit décidé. Pas quand le camion de déménagement attend à la porte et qu’il ne reste plus qu’à remettre les clés au propriétaire !

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