Santé mentale

L’Ordre des psychologues à la chasse aux imposteurs

Inquiet de voir des enfants faire l’objet de diagnostics improvisés ou dangereux, l’Ordre des psychologues du Québec prendra part, en 2017, à quatre procès pour dénoncer l’évaluation illégale de troubles mentaux ou neuropsychologiques.

L’une des femmes dénoncées se voit même réclamer la somme record de 110 000 $. Selon l’Ordre, cette fausse psychologue de Lévis aurait décrété qu’un jeune de 19 ans n’était plus en dépression et l’aurait convaincu de cesser de prendre des médicaments, ce qui l’a fait sombrer de nouveau.

En Outaouais, une autre femme aurait diagnostiqué la dyslexie chez des enfants sans détenir le permis requis.

« Les conséquences d’une évaluation non compétente peuvent être très graves, affirme en entrevue la présidente de l’Ordre, Christine Grou. C’est préjudiciable de coller – à tort – une étiquette à quelqu’un, puisque ça change la façon dont on se perçoit et dont on est perçu. »

Omettre de détecter un trouble peut s’avérer plus dramatique encore, si la personne est ensuite mal soignée ou n’est pas envoyée à la bonne école ou orientée vers la bonne ressource. Les non-psychologues risquent par exemple de confondre chez un enfant la dépression et le trouble de l’opposition, qui ne requièrent pas du tout la même approche, soutient Mme Grou.

Malheureusement, dit-elle, les familles sont une proie facile. « Avoir un enfant en détresse ou aux prises avec un problème de santé mentale ou d’apprentissage, c’est très souffrant. »

Las d’être coincés sur les listes d’attente du réseau public, les parents se tournent vers le privé. Trop souvent, sans prendre soin de vérifier s’ils sont devant une personne ayant les qualifications et les autorisations requises.

« De nos jours, c’est facile de se faire connaître ; n’importe qui peut avoir son site, son blogue. Certains paraissent très crédibles ou s’en prennent à des gens moins éduqués. »

— Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec

Quels troubles ?

Seuls les médecins et les psychologues sont autorisés à évaluer les troubles mentaux (troubles dépressifs, d’adaptation, de la personnalité, etc.), ainsi que certains infirmiers et conseillers d’orientation habilités par leur ordre professionnel. Les troubles en question se reconnaissent surtout par des symptômes, des difficultés, des comportements, etc.

Évaluer les troubles neuropsychologiques est une spécialisation qui requiert des tests plus poussés, pour pouvoir établir un lien entre le trouble et certains dysfonctionnements du cerveau. C’est pourquoi il s’agit d’un acte réservé aux psychologues titulaires d’une attestation de formation de l’Ordre et aux médecins.

Pour compliquer encore les choses, les deux approches peuvent se compléter dans certains cas, par exemple, lorsqu’il s’agit d’évaluer des troubles comme le TDAH.

Nombre annuel de signalements liés à des évaluations réservées aux psychologues* et à l’usurpation du titre de psychologue

2012 : 4

2013 : 10

2014 : 42

2015 : 52

2016 : 56

* Évaluations de troubles mentaux ou neuropsychologiques, de retard mental, de retard de développement, de handicap, de même que les évaluations en matière de droits de garde ou d’accès à un enfant, d’adoption ou de jeunes contrevenants.

En hausse

Depuis que l’exercice de la psychothérapie est réservé aux psychologues ou à certains professionnels titulaires d’un permis spécial, soit depuis 2012, le nombre de signalements a crû d’année en année, sauf en 2016.

À ce jour, l’Ordre a reçu 1379 signalements concernant 1024 personnes. Il a fermé les dossiers de 624 d’entre elles et a intenté 13 poursuites, dont 5 se sont réglées à l’amiable.

« La majorité des gens signalés comprennent que leur comportement n’était pas correct et s’engagent à changer leur pratique, explique Mme Grou. Les gens poursuivis sont ceux qui s’entêtent à continuer. »

Nombre annuel de signalements liés à l’exercice de la psychothérapie ou à l’usurpation du titre de psychothérapeute

2012 : 103

2013 : 257

2014 : 242

2015 : 298

2016 : 164

Procès en cours ou à venir

Mélanie Eugénie Chisholm

Selon l’Ordre, cette résidante de Lévis s’adressait à des familles de son entourage pour leur offrir ses services en se disant faussement psychologue. Elle aurait entre autres conseillé à un garçon de 19 ans d’abandonner les antidépresseurs, ce qui l’a fait sombrer. En plus de se voir réclamer 110 000 $ par l’Ordre – qui lui reproche d’avoir commis 13 infractions en 2014 et 2015 –, elle est accusée de fraude devant la cour criminelle. Le père de l’un des enfants touchés a dit aux médias de Québec qu’il lui avait versé 20 000 $. Son procès devant l’Ordre doit avoir lieu le 27 février.

Procès en cours ou à venir

Chantal Létourneau

L’Ordre réclame 15 000 $ à cette femme de Saint-Joseph-de-Beauce. Elle aurait illégalement pratiqué la psychothérapie et évalué un trouble chez une agente d’investigation. Son procès a été remis à une date inconnue.

Procès en cours ou à venir

Cyrous Amin

L’Ordre réclame 12 000 $ à ce Montréalais, qui a, dit-il, illégalement évalué les troubles mentaux d’un détenu du centre Rivière-des-Prairies.

Procès en cours ou à venir

Louise Ward

L’Ordre réclame 12 000 $ à la résidante de Gatineau, qui a créé le Centre canadien de dyslexie après s’être rendue à New York pour aider son fils. Elle y aurait évalué des enfants sans en avoir le droit, selon l’Ordre, et aurait depuis déménagé en Ontario pour échapper à sa juridiction. Son procès a été remis à une date inconnue.

Procès en cours ou à venir

Autres poursuites

Des juges de paix ont autorisé l’Ordre à poursuivre trois autres femmes pour pratique illégale de la psychothérapie. Il s’agit de Lucie Drouin (Québec), de Karyne Courcelles (Saint-Jérôme) et de Mireille Lapalme (Sainte-Thérèse). Le premier procès a été remis au 5 mai 2017.

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