OPINION ANNULATION DE KANATA

Cessons de nous « faire valoir » comme victimes de la société

En guise d’introduction, sachez que je crois en l’égalité de traitement, la justice et la protection de nos droits.

Je tiens comme vérité évidente que les Premières Nations sont des peuples ayant subi des injustices historiques qui se poursuivent aujourd’hui, en raison du racisme et du cadre légal qui restreint nos libertés sur les réserves. Je crois également que nos peuples méritent d’être souverains de leur propre territoire et qu’ils doivent cesser d’écouter les gouvernements.

Je suis fier de mes racines, je défends mes droits et je travaille pour l’autodétermination de ma nation. Et malgré cela, je ne peux taire ma déception devant l’annulation de la pièce Kanata.

Je ne l’ai pas vue. Je ne sais pas ce qu’elle aborde. Et peut-être qu’au terme du spectacle, en discutant avec mes amis, j’aurais critiqué sa qualité artistique ou son incompréhension de ma culture. Mais je persiste à dire qu’il était tout à fait acceptable de créer SLĀV et Kanata. L’appartenance culturelle n’est pas une condition requise pour s’inspirer d’une culture autre.

Je ne suis pas un intellectuel. Je ne pourrais pas vous donner la définition de ce qu’est l’appropriation culturelle ou expliquer ses assises philosophiques. Certains suggèrent que la simple utilisation de symboles culturels est un acte d’appropriation. Pour d’autres, c’est l’utilisation à des fins commerciales d’éléments culturels. D’autres encore croient que c’est s’exprimer sans avoir consulté les membres de la culture dont il est question.

Je lance dans la mêlée mon interprétation : ce n’est pas tant l’emprunt d’un symbole culturel pour des fins quelconques, mais son vol. Si affront il y a, il est là.

Qu’un Canadien s’approprie de façon permanente et efface les racines culturelles des symboles qui constituent mon identité, c’est un affront. Mais l’emprunter  ? Je ne vois pas comment cela peut me concerner. Au contraire, célébrons ces gestes positifs.

Les Blancs doivent-ils cesser de fêter le temps des sucres, puisque le sirop d’érable est d’origine autochtone ? Doit-on renier les Beatles, puisqu’ils ont utilisé un sitar ? Devons-nous en vouloir à Nina Simone d’avoir popularisé la chanson de Screamin’ Jay Hawkins I Put a Spell on You ? Si un artiste est honnête, reconnaît et publicise qu’il s’inspire d’une culture qui n’est pas la sienne, où est le mal ? Devons-nous renier la compétence en raison de l’appartenance culturelle ?

Poussons l’argument des gens qui ont dénoncé M. Lepage un peu plus loin. Il n’y a pas une nation autochtone, il y a des nations. Je suis algonquin. Si l’on se fie à ce qui se dit, est-ce qu’un Malecite peut utiliser des symboles culturels qui ne sont pas malecites ? Le metteur en scène et artiste maleecit doit-il ainsi épurer son spectacle de capteurs de rêves, puisque c’est un symbole ojibwé, ou embaucher un Ojibwé ?

Et poussons l’argument encore plus loin. Les jeunes artistes autochtones de moins de 35 ans doivent-ils taire leur inspiration artistique en ne s’exprimant pas sur les tragédies des écoles résidentielles ? Ce ne sont pas eux qui ont souffert, ce sont leurs parents, après tout. Ils pourront prétendre qu’ils ont souffert eux aussi, soit. Qu’ils s’approprient les souffrances, la peur et de l’anxiété de leurs parents et prétendre qu’elle est la leur, n’est-ce pas une forme d’appropriation ? Ils répondront qu’apporter un point de vue se basant sur l’empathie, n’est-ce pas ça le procédé de création artistique ?

La tristesse de cette conversation est qu’une minorité infléchisse le discours public. Cette minorité prétend parler au nom de l’ensemble de nos peuples. Cela est faux.

De toutes mes visites dans des communautés, jamais ne m’a-t-on parlé d’appropriation culturelle. En fait, on y parle de comment arrondir une fin de mois. On y parle des jeunes qui changent. On y parle des problèmes de consommation. On y parle des projets innovateurs, des projets de société et d’un gouvernement souverain.

Au terme des discussions, il est là, le vrai enjeu. À force de confiner l’exclusivité de l’histoire, des légendes et des symboles culturels, nous encensons implicitement l’autoségrégation des minorités culturelles et fermons encore un peu plus les espaces publics, où les échanges culturels sont possibles. Nous continuons à nous « faire valoir » comme victimes de la société.

Si, par miracle, la pièce Kanata voit le jour, j’aimerais bien être aux premières loges, même s’il n’y a pas un artiste autochtone sur la scène. Peut-être serais-je déçu, peut-être épaté. Peut-être que la pièce pourrait devenir une source d’inspiration pour une nouvelle génération. Nous ne le saurons jamais, puisque quelques artistes n’ont pas donné de légitimité à la réflexion et à l’empathie d’un autre artiste parce qu’il était blanc, et par le fait même, ont détruit quelque chose au passage.

Pensons à la question dans les termes suivants : est-ce que la réconciliation est possible si nous ne reconnaissons pas l’empathie d’autrui ?

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