Chronique

Grande campagne

Que serions-nous sans fruits, légumes, charcuteries et viandes d’ici ? Sans matériaux et produits usinés du Québec ? Sans auberges et restaurants à visiter quand on sort de la ville ? Sans stations de ski et autres lieux de sports de plein air ? Sans jolis paysages pastoraux à montrer aux visiteurs ? Sans lacs et rivières où aller pêcher, nager, naviguer… Et même sans mines ? Nos iPhone ne poussent pas dans les arbres, après tout…

Que ferions-nous sans grand air, grands espaces, sans forêts… Sans fleurs des champs ?

Ces questions peuvent sembler évidentes, peut-être un peu fleur bleue, mais on est tous bien contents, même si on habite en pleine ville, que la campagne soit là, avec ses villages, ses légumes, ses escapades, ses vaches qui broutent comme dans les livres d’images, ses usines de transformation de bois, de pierre, ses ateliers, sa réalité bien à elle.

En fait, on ne le sait pas toujours, mais « nous sommes tous ruraux », dit le conteur Fred Pellerin, nouveau porte-parole d’une vaste campagne de sensibilisation à l’importance des campagnes qui sera lancée aujourd’hui par la coalition Solidarité rurale du Québec (SRQ) et à laquelle La Presse a pu jeter un coup d’œil.

Formée de toutes sortes d’acteurs importants des « régions » québécoises, autant l’Union des producteurs agricoles que les caisses populaires Desjardins ou Équiterre, cette coalition veut faire comprendre aux urbains que tout le monde a un lien avec la campagne. Et donc que la vitalité de tout le territoire à l’extérieur des villes est cruciale pour tous.

« En fait, ce qu’on veut expliquer, c’est qu’on est interdépendants. La ruralité, ça appartient à tous. »

— Marcel Groleau, président et porte-parole de SRQ

Pourquoi lancer un tel mouvement ?

Parce que les régions veulent qu’on ait l’heure juste sur leur vigueur et leur importance économique. Et parce qu’elles ont besoin des bons leviers et d’une certaine aide pour leur développement.

Et parce que tout cela nécessite une meilleure compréhension des enjeux.

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Longtemps, on a dit que les campagnes se vidaient.

Que les taux de chômage y étaient élevés.

Que certaines zones dépendaient presque totalement des transferts gouvernementaux.

« Ce n’est pas tout à fait vrai », dit Renaud Sanscartier, économiste spécialiste des réalités agricoles et chargé de projets à la Coop Carbone, mandaté par la coalition pour dresser un portrait économique de la réalité et des besoins des régions rurales.

« La réalité est multiple », dit-il. Dans certaines zones, c’est plus difficile, mais ailleurs, ça va vraiment bien économiquement. Même qu’il y a des régions où on a atteint le plein-emploi et donc où on fait face à des pénuries de main-d’œuvre. La Beauce fait partie de ces régions. Avis aux chômeurs en quête de grand air…

De façon générale, les campagnes les plus en forme, économiquement parlant, sont celles qui sont plutôt proches des villes. Mais pas juste Montréal et Québec.

Il y a aussi les régions entourant Trois-Rivières, Rimouski, Sherbrooke… Il semble y avoir une corrélation entre la vitalité des régions et leur accès aux marchés urbains.

Mais plus de données seront révélées plus tard. Pour le moment, la coalition ne fait que lancer sa campagne et nous confier quelques chiffres. Elle nous invite aussi à faire partie d’un grand rassemblement de solidarité pour les communautés rurales, le 23 mai à Québec.

Viendront ensuite d’autres actions.

Le but de tout cela : convaincre les gouvernements et les acteurs économiques, incluant le secteur privé, de participer à la vitalité des campagnes.

Car pour se développer, elles ont besoin d’écoles en santé – les cégeps, notamment, ont de la difficulté à recruter et à offrir des programmes irrésistibles pour les jeunes autrement attirés par la ville –, de services internet performants, de réseaux cellulaires à la fine pointe, de routes, de services aériens, ferroviaires, portuaires, etc.

Dans un monde où la logique du marché s’impose, les zones à peu de densité sont toujours menacées de perdre de telles infrastructures, le nombre d’usagers ne justifiant pas les investissements nécessaires.

L’appel de la coalition, c’est beaucoup ça : faire comprendre à tous que la campagne est cruciale et qu’elle ne se développe pas selon les mêmes normes économiques que les zones urbaines à forte concentration de population.

Et qu’il faut en prendre soin.

Parce que Marcel Groleau ne veut pas qu’on parle uniquement d’agriculture, même si elle est au centre du développement des campagnes. Et même s’il est d’accord que ce secteur fera partie des discussions sur l’avenir.

Son organisme, l’Union des producteurs agricoles, est souvent montré du doigt – notamment dans le film récent La ferme et son État de Marc Séguin – parce qu’il soutient des politiques de développement agricole qui mettent des bâtons dans les roues des petits producteurs, indépendants, désireux de faire de l’agriculture différemment. Et de repeupler les campagnes avec soin et modernité.

« Plus tard, durant le processus qu’on lance [aujourd’hui], on va parler de comment faire ce développement », dit-il.

Parce que, avec ses critiques, il s’entend sur une chose : l’importance de faire venir ou de garder les jeunes à la campagne pour assurer son avenir.

La ruralité en chiffres

• En moyenne, le taux de chômage en zone rurale est de 7,5 % et le taux d’emploi, de 57,5 %. C’est moins qu’en milieu urbain, mais le taux d’emploi est en croissance depuis 1991. Pénurie de main-d’œuvre à l’horizon, vu l’âge des travailleurs.

• Le taux d’emploi varie de 50,9 % dans les milieux ruraux éloignés à 67,9 % à proximité des villes.

• En 2016, le taux de chômage en milieu rural était plus élevé qu’en milieu urbain (7,1 %). Mais la différence a diminué depuis 1991.

• Les taux de chômage varient entre les milieux ruraux : de 11,4 % dans les zones éloignées à 4,9 % dans les secteurs proches des villes.

• L’interdépendance mesurée : par exemple, 70 % de la production agricole québécoise est transformée au Québec, ce qui représente 87 000 emplois directs et indirects, en majeure partie en ville. La production laitière provient à 74 % des campagnes, mais 51 % du lait est transformé dans la région métropolitaine.

Sources : Coop Carbone pour Solidarité rurale Québec

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