Opinion

La politique de division

Le projet de charte de la laïcité du Parti québécois a révélé un malaise qui était déjà, et depuis longtemps, bien profond dans la société québécoise. Un fossé qui a favorisé en partie l’élection de M. Couillard. Depuis, le premier ministre s’amuse à envoyer régulièrement ses adversaires au goulag social des sociétés multiculturelles en les campant dans l’intolérance et la xénophobie.

Pourtant, le chirurgien de talent en lui devrait savoir que bien avant la création d’emplois, le rôle d’un chef d’État, c’est d’abord de favoriser la cohésion sociale des gens qu’il gouverne en travaillant à fermer les plaies ouvertes plutôt que les rouvrir avec cette habilité langagière chirurgicale qui fait sa grande force.

Parce que M. Legault a osé questionner la décision du gouvernement d’augmenter de 10 000 le nombre d’immigrants que le Québec veut accueillir par année, M. Couillard a encore dégainé la mitraillette de l’intolérance en prenant à témoins les nouveaux arrivants qui écoutaient la télévision à la maison.

Comme expatrié, cette réaction de M. Couillard m’a particulièrement agacé sur le moment, mais lorsque mes chakras se sont réalignés, je me suis dit que ces nouveaux arrivants qu’il interpelait allaient aussi finir par se poser la même question.

Je me suis dit que ces nombreux immigrants qui fréquentent les banques alimentaires parce qu’ils ont vu leurs espoirs d’expatriés fondre comme neige au soleil finiront par se demander si ce projet d’augmentation de 10 000 personnes n’est pas plus politique qu’économique.

La politique étant ce qu’elle est, je dois ici préciser que le gouvernement de M. Couillard n’est pas le seul à jouer de façon partisane et électoraliste avec ce sujet sensible. La Coalition avenir Québec, le Parti québécois et Québec solidaire instrumentalisent aussi parfois à leur façon le dossier sur l’immigration à des fins partisanes. Mais force est d’admettre que celui qui le fait le plus est celui qui accuse les autres de le faire. Si 41 % des nouveaux immigrants ne parlent pas le français et 72 % de ces allophones ne suivent pas de cours de francisation, comme le dit M. Legault, il est absolument pertinent de tirer la sonnette d’alarme quant à l’effet à long terme, d’abord sur leur employabilité et ensuite sur la perte de vitesse de la francophonie dans la Belle Province.

Pourtant, visiblement, les questions portant sur l’identité ou la protection de la langue semblent parfois irriter le premier ministre Couillard au plus haut niveau. Pour quelle raison ? Je ne sais pas. Cependant, tout adversaire qui ose simplement se questionner sur le dossier identitaire et la protection de la langue provoque souvent chez lui un agacement qui semble remonter de très profond. Il monte alors en chaire et évite le débat en sermonnant l’autre de façon moralisatrice, l’accusant de pécher par intolérance.

La wedge politics, ou la politique de division, devenue très tendance, a ses limites et M. Harper, qui vient, de nous quitter, l’a appris à ses dépens. Il a été avalé par le fossé qu’il a passé beaucoup de temps à creuser entre ceux qui étaient vendus à ses idées et le reste de la population. Cette harpeurienne façon de faire, qui semble inspirer la rhétorique du premier ministre sur l’intolérance et la xénophobie des gens d’en face, provoque des déchirures irréparables et une frontière de plus en plus grande entre ceux qui arrivent et ceux qui sont montrés du doigt.

Laisser insidieusement croire aux nouveaux arrivants que le Québec est un repère d’intégristes de la langue française qui sont réfractaires à la différence est une triste façon d’élever un mur entre des entités qui gagneraient mutuellement à se tendre la main. Ce dont les immigrants ont surtout besoin en arrivant, c’est de structures d’accueil, d’intégration et de francisation efficaces pour favoriser leur intégration sociale et économique, mais surtout pas de se faire insuffler une peur des francophones québécois dit de « souche ».

Je crois que nous sommes nombreux à attendre de notre premier ministre qu’il soit plus une aiguille qui coud qu’un scalpel qui tranche. Or, en cherchant constamment à coincer ses adversaires sur ce sujet sensible, le premier ministre allume le brasier de la discorde tout en accusant les autres de souffler sur les braises.

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