Vedettes et réseaux sociaux

Quand les artistes font de la pub

Ce n’est pas un hasard si les gâteaux McCain et les poussettes Bugaboo apparaissent de plus en plus sur les réseaux sociaux de vedettes québécoises. Les entreprises et agences de publicité ont compris qu’une mention de leur marque par une personnalité vaut de l’or. Incursion dans l’univers du marketing d’influence.

Les manteaux Kanuk se sont répandus comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux des vedettes dans les dernières semaines. Des personnalités comme Karine Vanasse, Olivier Dion, Sophie Nélisse, Jean-Philippe Wauthier, Julianne Côté, Bianca Gervais et Pier-Luc Funk ont toutes publié une photo d’elles sur Instagram en nommant la marque québécoise. Un beau cadeau de Noël pour l’agence FDM, qui s’occupe de Kanuk.

Dans ce cas précis, en échange d’un manteau gratuit, chaque personnalité a mis une publication sur ses réseaux sociaux. Selon Nathalie Binda, vice-présidente, marketing, de Kanuk, les résultats ont été instantanés : «  Pendant le Boxing Day, je vous dirais que j’ai eu au moins 10 clients qui m’ont dit qu’ils étaient venus parce qu’ils avaient vu un post sur les réseaux sociaux », dit-elle.

« Quand un Olivier Dion ou une Karine Vanasse ont parlé de nous sur les médias sociaux, notre nombre d’abonnés a augmenté automatiquement. Ce sont vraiment des influenceurs qui ont de la portée. Ça fait vraiment, vraiment une différence. »

— Nathalie Binda, vice-présidente, marketing, de Kanuk

Sur les ailes de Transat

Même son de cloche chez Transat, qui affirme que le marketing d’influence est un incontournable. « Il faut se tourner vers les plateformes qui sont les plus consultées par les gens qui magasinent des voyages. Et quelles sont ces plateformes-là ? Ce sont les médias sociaux. Et qui a la voix sur ces plateformes-là ? Ce sont les influenceurs », dit Debbie Cabana, directrice du marketing.

Le transporteur aérien collabore avec de nombreuses personnalités du milieu artistique, dont Magalie Lépine-Blondeau, Marie-Soleil Michon et la chanteuse Gabriella Laberge. Grâce à Transat, cette dernière peut se rendre régulièrement en France gratuitement. Un partenariat de rêve pour la candidate de la saison 5 de The Voice (La voix française), qui vient tout juste de signer un contrat avec Polydor, label d’Universal Music France.

« Air Transat fait intégralement partie de mon plan de carrière à l’international, dit Gabriella. Ce partenariat a facilité le travail avec Polydor, puisque je peux à tout moment être présente en France pour la promotion, les concerts et l’enregistrement de mon album. »

Transat affirme tout de même ne pas offrir des billets gratuits à toutes les personnalités qui collaborent avec l’entreprise.

« Nous pouvons leur offrir des rabais, un embarquement prioritaire ou un repas Daniel Vézina. Chaque fois, c’est sûr que mes attentes de partenariat sont en lien avec ce que j’ai donné : je ne m’attends pas à avoir le même rayonnement sur leurs réseaux sociaux si je donne des billets que si je donne un repas. Mais ils doivent toujours le mentionner sur leurs réseaux sociaux. Le minimum est de mettre le mot-clic #experiencetransat, ce qui symbolise pour nous : “Je voyage avec Transat, j’appuie Transat” », explique Debbie Cabana.

Une entreprise peut conclure différents types d’ententes avec un influenceur. Il y a des échanges, comme le font Kanuk ou Transat, qui offrent un produit ou des rabais en échange d’une publication. De nombreuses personnalités québécoises font par ailleurs des partenariats avec des concessionnaires ; elles profitent alors gratuitement de la location d’une voiture contre quelques publications par année.

Les ententes ponctuelles sont très répandues. L’animatrice Valérie Roberts demande par exemple 1000 $ pour un « partage » sur ses réseaux sociaux. Quant à l’humoriste Jay Du Temple, il affirme avoir déjà reçu une offre de 6000 $ pour trois publications sur un même produit, qu’il a refusée.

Et les influenceurs reçoivent fréquemment des cadeaux non sollicités de la part d’entreprises qui espèrent qu’ils en feront la promotion auprès de leur communauté.

Tout savoir sur les influenceurs

Quelles personnalités sont susceptibles d’éveiller l’intérêt des agences de publicité et des entreprises ? Des vedettes, youtubeurs et blogueurs qui sont suivis par des milliers de personnes sur les réseaux sociaux. « Mais plus que le nombre de followers, nous regardons le nombre de commentaires sous les publications. C’est là qu’on voit si la personne suscite un véritable intérêt », explique Franceska Dion, présidente et fondatrice de l’agence FDM.

La majorité des intervenants s’entendent sur un point : l’influenceur doit réellement aimer le produit ou le service dont il fait la promotion. « Si ce n’est pas senti, le public s’aperçoit tout de suite que c’est du placement », avance la présidente fondatrice de Bicom, Vicky Boudreau, qui se spécialise notamment dans le marketing d’influence.

Pour former de bonnes alliances, les influenceurs sont scrutés à la loupe par les agences de marketing. Est-ce que la personne est mariée, célibataire, végétarienne, propriétaire d’un chalet, voyage dans des tout-inclus, a des animaux ou attend un enfant ? Le but est d’en savoir le plus possible sur elle pour lui proposer des produits qu’elle appréciera.

« J’ai des employés qui ne font que ça, surveiller les faits et gestes d’influenceurs. Ça pourrait vous faire peur si vous saviez tout ce que nous savons sur eux… Nous sommes des Columbo du web ! »

— Franceska Dion, présidente et fondatrice de l’agence FDM

Le phénomène connaît une telle expansion que même le Collège des médecins du Québec a transmis à ses membres un message intitulé « Gare au marketing d’influence ! », dans lequel il rappelle qu’aucun médecin ne doit accorder d’avantage, de commission ou de ristourne à un patient. « Le fait d’offrir des soins médicaux gratuitement à ces influenceurs en échange d’une visibilité est un avantage qui est proscrit, et ce, dans tous les domaines de la médecine », peut-on lire dans le communiqué envoyé en novembre dernier.

Vedettes et réseaux sociaux

Le Far West numérique

Rien n’empêche les vedettes de faire de la pub sur les réseaux sociaux. Le hic, c’est que ces influenceurs ne dévoilent pas toujours – ou pas toujours clairement – leur intérêt.

« J’ai remarqué que certaines vedettes ont décidé de le dire chaque fois qu’elles en font. Petit à petit, il commence à y avoir une certaine transparence. Mais pour le consommateur, il n’y a actuellement pas moyen d’être sûr si c’est une publicité ou pas », dit Josiane Fréchette, avocate, conseillère budgétaire et juridique à Option consommateurs.

Les utilisateurs voient de plus en plus souvent apparaître des mots-clics comme #ad, #sponsored, #promotion, #sp, #partner ou #partenaire sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’une manière claire d’indiquer à sa communauté que cette publication est une publicité. Par exemple, l’influenceuse Abeille Gélinas a ajouté #paidad pour indiquer qu’elle avait été payée par McCain pour publier une photo de gâteau.

Le Code canadien des normes de la publicité est d’ailleurs très clair à ce sujet : une personne qui fait la promotion d’une entreprise doit le mentionner ouvertement Et cela inclut les produits et services qui sont offerts en cadeau ou au rabais.

« Il faut que l’influenceur trouve un moyen de dire qu’il a reçu ce cadeau, explique Danielle Lefrançois, directrice des communications aux Normes de la publicité. La nature du lien doit être comprise, sinon ça contrevient au Code. »

Or, un survol des réseaux sociaux montre que le Code n’est pas toujours respecté. « C’est vrai que c’est encore un peu le Far West sur le web. Il y a encore beaucoup d’éducation à faire », convient Vicky Boudreau, présidente fondatrice de l’agence de relations publiques Bicom.

Volonté de transparence

Il reste que le Code est régi par les Normes de la publicité, un organisme d’autoréglementation. Ces règles à suivre ne sont donc que des recommandations et non des obligations juridiques. C’est sur une base volontaire que les entreprises décident de s’y soumettre.

Toutes les entreprises et agences que nous avons jointes disent néanmoins croire que les influenceurs doivent être transparents avec leurs abonnés.

Junior Bombardier, notamment attaché de presse de Marie Mai, indique d’ailleurs que de plus en plus d’entreprises ont commencé à expliquer les règles aux artistes.

« L’industrie a vraiment la volonté d’être transparente ? Parfait ! Alors, qu’elle mette dans ses contrats avec les influenceurs qu’ils doivent divulguer clairement qu’il s’agit d’une pub. Ce serait la façon la plus rapide et la plus simple de mettre fin à cette situation-là. »

— Josiane Fréchette, d’Option consommateurs

L’avocate et conseillère budgétaire et juridique à Option consommateurs signale qu’un consommateur qui voit des représentations fausses ou trompeuses peut porter plainte au Bureau de la concurrence ainsi qu’à l’Office de la protection du consommateur.

Il est aussi possible de déposer une plainte aux Normes de la publicité. Au cours de la dernière année, au moins deux plaintes ont d’ailleurs été retenues contre des influenceurs, entre autres parce qu’ils faisaient de la publicité déguisée. Le premier a écrit sur Twitter qu’Ottawa était une « destination touristique attrayante » sans indiquer qu’il s’agissait de contenu commandité. La deuxième a décrit un soin du visage qu’elle avait obtenu dans un salon, sans mentionner qu’il s’agissait d’une publicité. 

Dans les deux cas, l’influenceur (non nommé dans les décisions) a apporté les changements nécessaires ou retiré la publication.

Un guide en mars

Les Normes de la publicité reconnaissent que leur Code n’est pas compris par tous les influenceurs. D’ailleurs, La Presse a constaté que Marie-Soleil Michon, qui anime le magazine sur la consommation Ça vaut le coût à Télé-Québec, ne le suivait pas toujours. Elle a notamment publié une photo d’une bouteille de mousseux qu’elle avait reçue en cadeau d’une relationniste sans en faire mention dans sa publication. 

Informée, la journaliste de formation a dit qu’elle « [serait] encore plus vigilante à l’avenir ».

Un groupe formé de nombreux leaders de l’industrie du marketing d’influence et des Normes de la publicité entend publier un guide pour mieux outiller les influenceurs. Attendu en mars, il comprendra des exemples précis de la façon de divulguer son lien avec les annonceurs. Ce comité s’inspirera entre autres de celui de la Commission fédérale du commerce aux États-Unis, qui répond à énormément de questions des influenceurs.

Autant dire que les abonnés des réseaux sociaux sont beaucoup plus abreuvés de publicité qu’il n’y paraît. « Pour les consommateurs, je dis toujours la même chose : il faut être prudent et toujours rester critique », dit l’avocate d’Option consommateurs.

Vedettes et réseaux sociaux

Pourquoi ils en font… ou pas

« Il ne faut pas faire l’autruche : nos contrats sont déterminés par nos abonnés », lance l’animatrice Valérie Roberts.

Contrairement à plusieurs personnalités publiques frileuses quand vient le moment d’en parler, Valérie Roberts, qui compte 70 000 abonnés sur Instagram, assume pleinement ses partenariats publicitaires. Mais elle les choisit scrupuleusement. « Je ne fais pas beaucoup de promotion. Je suis extrêmement difficile. »

La coanimatrice du Clan MacLeod dit promouvoir davantage des entreprises que des produits, dont le Bar à ongles Candy et les cliniques Skins. Sa ligne éditoriale : « Est-ce que je le référerais à ma meilleure amie ? »

Valérie Roberts reçoit des offres alléchantes chaque semaine, surtout depuis qu’elle partage sa vie avec le chef Martin Juneau. Son prix à elle, après discussion avec son agent : 1000 $ pour une publication sur son compte.

Selon elle, il ne faut pas dénaturer les réseaux sociaux qui mettent « des gens en contact » et « pas avec un produit ». En même temps, le placement publicitaire est une pratique courante qui est là pour rester, et il faut l’assumer, selon l’animatrice à CKOI.

Rouler gratuitement

Plusieurs artistes québécois ont des ententes de services avec des concessionnaires automobiles.

L’auteure Léa Clermont-Dion ne se considère pas comme une influenceuse, mais elle a accepté récemment un partenariat qu’elle dévoile sur Instagram à l’aide d’un mot-clic.

« Park Avenue me prête un véhicule pour l’année en échange de quelques publications sur 12 mois », indique-t-elle.

Pourquoi avoir accepté ? « J’ai reçu plusieurs propositions et je n’ai accepté que celle de Park Avenue, car je fais beaucoup de route. Je donne plusieurs conférences dans la province. Je fais aussi un doctorat à Québec tout en vivant à Montréal. C’était donc un partenariat très intéressant pour moi. »

Apprendre de ses erreurs

« De la publicité, il y en a toujours eu et il va toujours y en avoir », souligne Abeille Gélinas, qui compte près de 40 000 abonnés sur Instagram.

Au cours de la dernière année, la DJ a fait la promotion du gâteau Deep’n Delicious de McCain, du chocolat Lindt, de Google Home Mini, d’une crème pour bébé de Dove et du maïs soufflé de marque Orville Redenbacher.

Elle dit avoir beaucoup appris depuis qu’elle a commencé à avoir des offres, il y a deux ans. « Avec le temps et l’expérience, j’ai développé des critères. »

« J’ai une belle communauté de gens qui me suivent. Les gens ne veulent pas être bombardés. »

— Abeille Gélinas

Elle se dit choyée d’être sollicitée. « Il faut que ce soit pour quelque chose que j’aime, qui fait partie de ma vie ou dont les gens qui me suivent auraient envie d’entendre parler », explique-t-elle.

Recevoir des cadeaux

Journaliste de formation, Marie-Soleil Michon est l’animatrice de l’émission Ça vaut le coût, « qui traite de toutes les questions reliées à la consommation », à Télé-Québec. Sur son compte Instagram et sur Facebook, elle affiche des associations avec Air Transat et avec les condos des Ateliers Castelnau – du groupe immobilier DevMcGill –, dont elle est ambassadrice. Par le passé, elle a été ambassadrice d’Etsy.

L’animatrice, qui dit aimer faire connaître des artisans au grand public, anime chaque mois des marchés créatifs dans l’espace-vente des Ateliers Castelnau. « Je suis une passionnée d’immobilier et je m’amuse comme une folle dans cet univers-là. »

Sur Instagram, il lui arrive de mettre des produits reçus en cadeau qu’elle apprécie. « Cela fait 16 ans que je guide le public à travers différentes émissions de service », nous a-t-elle écrit par courriel.

Beaucoup de gens lui demandent des suggestions de restaurants ou de produits de toutes sortes. « Je considère que j’ai une “responsabilité de service à la clientèle” auprès de ceux qui me suivent. »

« Je me questionne beaucoup avant de conseiller quelque chose, je ne prends pas ça à la légère. Les gens me font confiance et c’est très précieux. »

— Marie-Soleil Michon

Marie Mai reçoit elle aussi des tonnes de produits en cadeau ainsi que des offres publicitaires. Elle en refuse plus de neuf sur dix, selon son attaché de presse, Junior Bombardier.

L’an dernier, elle a accepté notamment des offres publicitaires (ou de commandite) des couches Pampers, de la bière Peroni et d’un concessionnaire Mercedes.

Du donnant-donnant

Il arrive que des entreprises apprennent que tel artiste aime leur produit, et qu’un partenariat se conclue ensuite. Kanuk a offert des privilèges à Karine Vanasse quand la comédienne, enceinte, est allée visiter le magasin pour trouver une extension de manteau.

Lorsque l’entreprise Bugaboo s’est aperçue que Mahée Paiement était une fidèle de la marque, elle lui a demandé si elle souhaiterait recevoir le nouveau modèle contre une publication sur les réseaux sociaux.

« C’était un échange : une nouvelle poussette contre un post Instagram. Nous l’avons fait parce qu’on aime vraiment la marque. »

— Jean-François Comeau, mari et associé de Mahée Paiement

Dire non

À l’inverse, des artistes refusent d’être associés à une marque ou à un produit. Cela va de soi pour la vedette de Ruptures Mélissa Désormeaux-Poulin, qui préserve farouchement sa vie privée sur les réseaux sociaux.

« Mon métier est de jouer, pas de vendre des affaires. Je suis moins à l’aise là-dedans. »

Des offres ? L’humoriste Jay Du Temple en reçoit « beaucoup, beaucoup, beaucoup »…

« Accepter un cachet pour une photo Instagram, ce n’est pas encore arrivé dans ma vie », lance-t-il.

L’animateur d’Occupation double Bali a récemment refusé une offre de 6000 $. « Je veux que les gens achètent mes billets de spectacles. C’est ce que j’ai à vendre. Les gens me suivent pour être divertis, pas pour savoir ce que je mange et ce que je porte. Mais je ne juge pas les gens qui le font. »

« Instagram est pour moi un outil de travail. Je ne veux pas que cela devienne un outil publicitaire. » 

— Jay Du Temple

« Je ne te dis pas que cela ne va jamais arriver, nuance l’humoriste. Là, je me cherche une voiture… Mais je voudrais que ce soit à ma manière », explique-t-il.

« J’ai moi-même vu Instagram changer, comme consommateur. J’ai vu des pages de gens devenir [des pages] publicitaires. »

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