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Le cancer de Passe-Partout

Grâce au dépistage précoce de son cancer du sein, Marie Eykel a pu avoir accès à un traitement novateur. Aujourd’hui, l’interprète de Passe-Partout lance un appel aux femmes québécoises : une mammographie pourrait vous sauver la vie.

L’année 2018 a bien mal commencé pour Marie Eykel.

Après avoir passé une mammographie à la fin de janvier, l’interprète de Passe-Partout a reçu le diagnostic que tout le monde redoute : cancer.

« Comme n’importe quelle femme à qui on dit : “On voit des tumeurs cancéreuses à vos deux seins”, le sang m’a descendu dans les talons, raconte la comédienne de 70 ans. Je me suis dit : ça y est, je vais mourir. »

Mme Eykel s’est confiée à La Presse pour sensibiliser les Québécoises de 50 ans et plus à l’importance de participer au Programme québécois de dépistage du cancer du sein, alors qu’elle a bénéficié d’un traitement novateur au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).

Dans la célèbre émission de télévision qui a marqué toute une génération de Québécois, le personnage de Passe-Partout joue un rôle bien précis : aider les enfants à mettre des mots sur ce qu’ils vivent. Ainsi, elle regardait le jeune téléspectateur droit dans les yeux – par l’entremise de l’objectif de la caméra – et elle lui racontait ses expériences en décrivant chaque fois la colère, la tristesse ou encore la joie qu’elle avait ressenties.

La comédienne a beau avoir tenu ce rôle il y a 40 ans – elle en avait 29 à l’époque où elle a commencé à interpréter son personnage –, elle est toujours animée par le même désir de faire œuvre utile en communiquant avec les membres de son public (et leurs mères).

des tumeurs aux deux seins

Mme Eykel passe une mammographie tous les deux ans depuis 20 ans. C’est ce qui fait qu’elle est toujours en vie aujourd’hui – et en forme – pour en parler.

La mammographie passée en janvier a révélé la présence de tumeurs aux deux seins – « chose assez rare », explique la chirurgienne Erica Patocskai, chef de service en chirurgie oncologique du CHUM, qui a opéré Mme Eykel.

« J’ai fait trop de yoga. Je suis devenue extrêmement équilibrée, lance Mme Eykel avant d’éclater de rire. Non, ce n’est pas vrai, plus sérieusement, je m’en serais passée. »

Les tumeurs étaient toutes petites et impossibles à détecter au toucher. Lorsqu’elle a passé sa mammographie, elle se sentait en pleine forme.

Sa médecin l’a tout de suite rassurée. Son cancer était à un stade très précoce (stade 1). Ses chances de guérison étaient excellentes.

« J’en ai vu des femmes qui ont souffert de cancers de stade 3 ou 4, c’est tellement plus pénible que ce que j’ai vécu, raconte Mme Eykel. J’aimerais tellement ça que beaucoup plus de femmes ne s’imposent pas un gros cancer pénible et souffrant alors qu’elles pourraient l’éviter avec un dépistage précoce. »

Une bille plutôt qu’un harpon

Parce qu’elle souffrait d’un cancer de stade 1, Mme Eykel était admissible à un traitement novateur beaucoup plus court et qui entraîne moins d’effets secondaires qu’une radiothérapie conventionnelle. Elle a accepté sans hésiter.

« Je sentais que je faisais partie d’une équipe soignante ; que je n’étais pas juste un objet passif entre leurs mains, raconte la comédienne. Je voulais jouer un rôle au sein de cette équipe-là. Pas un second rôle, un premier rôle. C’est moi, le centre de cette affaire-là. Ce sont mes seins. »

Ainsi, la comédienne a opté pour un traitement pratiqué pour l’instant nulle part ailleurs qu’au CHUM sur le territoire québécois. 

« J’ai toujours aimé ce qui est nouveau, expérimental. Autant en théâtre qu’en médecine. Ça fait partie de moi. »

— La comédienne Marie Eykel

Une radiologiste a d’abord procédé à l’introduction d’une bille radioactive qui permet de situer précisément la tumeur. Ensuite, la Dre Patocskai – à l’aide d’une sonde – a trouvé la bille. Grâce à ce repère, elle a déterminé où faire l’incision, puis elle a retiré la tumeur dans chaque sein.

« Chaque fois qu’on a la chance de le faire, on le fait, puisque la bille est mieux que le harpon métallique [technique conventionnelle pour trouver la lésion], explique la radiologiste Isabelle Trop, responsable de la section d’imagerie du sein au CHUM. Elle donne plus de latitude au chirurgien pour réaliser de plus belles chirurgies oncoplastiques par la suite. Le harpon, lui, limite les options pour cacher les cicatrices. »

Un traitement « fantastique »

La comédienne a été opérée le 23 mars. À peine une semaine plus tard, elle a pu commencer la curiethérapie – traitement lors duquel une substance radioactive est mise dans un contenant scellé directement dans la tumeur ou autour de celle-ci (dans le cas de Mme Eykel). Au total, en trois semaines – opération et traitements inclus –, elle a pu reprendre une vie normale.

La rapidité du traitement l’a vraiment impressionnée. « Ça va vite. Tu n’as pas d’effet secondaire. C’est beaucoup plus intensif, plus ciblé. C’est fantastique. »

La Dre Patocskai a retiré les tumeurs (mastectomie partielle) et un radio-oncologue a installé les tubes pour les traitements ciblés de curiethérapie lors de la même opération. « Une seule anesthésie permet à la patiente de mieux récupérer », indique la chirurgienne. Les tumeurs ont été analysées pour déterminer rapidement le dosage des traitements de curiethérapie.

Avec 14 tubes dans un sein et 15 dans l’autre, Mme Eykel dit qu’elle avait l’air d’un « porc-épic ». Elle a suivi dix séances, à raison de deux par jour pendant cinq jours. 

« J’étais assez en forme pour y aller en métro et rentrer chez moi sur le Plateau entre la séance du matin et celle de l’après-midi. »

— La comédienne Marie Eykel, à propos de son traitement

Or, ce type de thérapie ne s’applique pas à tous les cancers du sein. Il faut que le cancer soit à un stade précoce. Si sa patiente n’avait pas subi de mammographie, le cancer aurait progressé sans qu’elle le sache, et le processus curatif aurait été plus long, plus compliqué et plus difficile, souligne la Dre Patocskai, du CHUM. Les interventions chirurgicales, les rencontres avec les spécialistes et la radiothérapie classique se seraient échelonnées sur trois à quatre mois.

Mme Eykel n’avait pas d’historique de cancer du sein dans sa famille. « Souvent, les femmes vont se dire : je n’en ai pas dans ma famille proche, je n’ai pas besoin de passer de mammographie. Ce n’est pas vrai. Ça commence toujours quelque part », lance-t-elle.

« C’est désagréable de se faire écraser les seins entre deux plaques froides, ça fait un peu mal, mais ça ne dure que quelques minutes et ça peut vous sauver la vie », poursuit Mme Eykel de cette même voix douce, amicale qui a bercé l’enfance de toute une génération née dans les années 70 et 80. Ses téléspectatrices sont encore trop jeunes pour avoir accès au programme gratuit de dépistage du cancer du sein, mais elles peuvent certainement en parler à leurs mères.

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