Débat

L’aide médicale à mourir est-elle un progrès ?

La revue Argument1 a demandé à deux spécialistes de confronter leurs idées sur l’aide médicale à mourir. Nous reproduisons ici des extraits du débat entre les professeurs Patrick Vinay et Alain Naud.

PATRICK VINAY 

La fin de la vie apparaît lointaine au bien-portant qui souhaite vivre comme si son présent était éternel. Il est inconscient de la fragilité de la vie et il préfère demeurer dans cette ignorance. Il a peur du naufrage de la maladie et dit facilement qu’il préférerait mourir plutôt que d’y faire face. 

Il réclame alors une médecine qui guérisse, qui tourne toute son attention vers la maladie, ses causes et ses traitements, et vers les promesses idéalisées d’une technologie sans cesse en progrès. Il demande le plus souvent du temps et du confort pour achever une transformation identitaire amorcée tardivement, mais devenue prioritaire : des soins palliatifs efficaces deviennent pour lui une planche de salut inespérée. 

Les maisons de soins palliatifs, fruits d’initiatives privées, sont chez nous une réponse courageuse et originale, mais partielle, à ce mal-être collectif. C’est dans ce contexte que nous avons adopté une loi qui permet au malade d’exiger qu’on lui prodigue la mort sur demande. 

Notre loi établit un nouveau droit citoyen, celui de recevoir deux types de « soins de fin de vie » placés en complémentarité, voire en continuité : les soins palliatifs et l’aide médicale à mourir (AMM). Soigner, c’est soulager le malade, c’est éclairer un peu son avenir. Au contraire, l’AMM vient soustraire définitivement le malade aux outils combinés de la médecine et de l’accompagnement. 

Bien sûr, il y a des situations terminales tragiques où le consensus réunissant patients, famille et soignants aboutira à décider d’appliquer une sédation palliative profonde et continue pour extraire le malade d’une souffrance intolérable : soulager efficacement demeure un devoir incontournable. Les soins palliatifs peuvent remplir respectueusement ce devoir mieux qu’on ne le croit, sans euthanasie. 

Se pourrait-il alors que des patients recourent à leur droit à l’AMM parce que leur droit à des soins palliatifs efficaces est bafoué ? Où sont les dispositions qui garantissent à tous l’accès à des soins palliatifs de qualité ? Les citoyens n’ont-ils pas tous les mêmes droits face à la loi ? 

Cette question est lourde de conséquences : l’euthanasie et les soins palliatifs se retrouvent en effet en concurrence, et l’euthanasie est plus facile et moins chère à réaliser. 

L’AMM se taille de surcroît une place à part dans la pratique québécoise de la médecine. Normalement, un malade demande, mais n’exige pas un traitement. De même, le médecin propose, mais n’impose pas un traitement donné. 

Mais l’AMM est bien le seul « soin » irréversible qui puisse être imposé aux soignants par une demande du patient. On perd ici la concertation, la guidance professionnelle et la responsabilité du geste posé, car l’AMM est imposée au médecin par le droit du malade.

Ouvrir largement la porte à l’euthanasie, définie comme un soin et un droit citoyen, fait de la mort donnée une réponse appropriée à la souffrance. N’est-ce pas là valider une vision étroite et restrictive de la vie humaine, véhiculée par une société simplifiant la complexité de l’humanité des bien-portants comme celle des malades ?

ALAIN NAUD 

L’AMM est un soin médical, moral, éthique, légitime et maintenant parfaitement légal. Les juges et parlementaires ont pris fait et cause pour ces malades souffrants qui n’en peuvent plus, plutôt que pour les opposants idéologiques et surtout le lobby religieux qui ne défendent que leurs propres intérêts et convictions, au mépris des malades. 

L’AMM fait pleinement partie des soins de fin de vie, au même titre que les soins palliatifs, le refus de traitement et la sédation terminale. Il n’y a aucune contradiction ni opposition entre ces différentes options. 

Il n’appartient à personne, fût-il médecin, religieux, avocat, éthicien ou administrateur, d’imposer à un malade ses propres convictions ni de lui ordonner une façon de mourir.

Mon expérience d’accompagnement avec l’AMM me permet de dégager certaines avancées : 

– L’AMM offre une assurance aux malades :  « Si jamais je me retrouve en fin de vie avec des souffrances intolérables, je sais que je n’aurai pas à les subir contre mon gré. » 

– Entre le moment de l’acceptation de la demande et celui de la procédure, elle procure aux malades sérénité et apaisement. 

– Elle prémunit tous ces malades contre l’agonie terminale. 

– Elle rend possible la planification de ce dernier moment. 

– Elle permet à tous les proches que le malade souhaite avoir à ses côtés d’être présents au moment du décès.   

– Elle soulage les familles de la culpabilité, puisque la décision de recourir à l’AMM est obligatoirement celle du malade, alors que la sédation terminale doit souvent être autorisée par la famille. 

– Elle oblige le médecin à être toujours présent aux côtés de son patient au moment du décès. 

– Elle permet, enfin, à ceux qui sont au chevet de l’être aimé de constater que son décès a été rapide, paisible et digne, sans détresse, crispation, incontinence ni convulsion, ainsi que le souhaitait le malade. 

La philosophie des soins palliatifs est de soulager et d’accompagner jusqu’à son décès un malade dont la mort est inévitable, en lui tenant la main avec ouverture, respect, humilité et compassion. Ces nobles attributs ne disparaissent pas avec une demande légitime d’AMM. 

En conclusion, réaffirmons que l’AMM est tout sauf une injection létale. C’est un soin et un accompagnement de fin de vie. Et indéniablement une immense avancée pour l’humanité, dans la considération des malades souffrants.

Le désir du patient

Patrick Vinay

Je partage avec le Dr Alain Naud un souci de compassion pour le malade qui souffre, le désir de le soulager au mieux grâce à des soins palliatifs de qualité, ainsi que le refus de lui imposer quoi que ce soit contre sa volonté. Toutefois, au cours de 10 années d’exercice comme médecin en soins palliatifs, j’ai découvert que, lorsque le malade est délivré de son inconfort, la fin de la vie est un moment précieux pour lui comme pour ses proches. Ce n’est pas uniquement une période d’agonie qu’il faut abréger le plus vite possible, mais bien un ultime moment de communication avec l’entourage et de confirmation des liens qui se prolonge parfois même jusque dans le coma. De fait, les malades en phase terminale veulent le plus souvent qu’on les aide en les soulageant et qu’on fasse ce qu’il faut pour prolonger leur vie. Mais la grande majorité d’entre eux n’a pas le désir de recevoir l’AMM, et certains ont même peur qu’on les intoxique avec des médicaments qui abrégeront leurs jours. Ils ont donc droit à des lieux sécuritaires, où ils savent que nul n’attentera à leur vie. 

Notre défi, c’est donc d’offrir des soins qui méritent le nom de « palliatifs » non seulement parce qu’ils sont fournis à la veille du décès, mais aussi parce qu’ils sont efficaces et adaptés à la situation changeante du malade en phase terminale. Bien sûr, la présence d’une souffrance réfractaire peut amener le médecin à proposer au malade une sédation palliative destinée à ramener une sérénité précieuse pour tous. C’est là une option thérapeutique essentielle, et cela n’a rien d’une hypocrisie, contrairement à ce qu’écrit Alain Naud. Faire croire que le contrôle de la douleur ou que la sédation provoque le décès est une affirmation irréfléchie, scientifiquement inexacte, susceptible, en plus, de provoquer des souffrances additionnelles. L’AMM n’est pas une solution acceptable pour la majorité des malades et elle ne constitue pas non plus une meilleure façon de mourir.

Le désir du patient

Alain Naud

L’AMM est obligatoirement disponible à domicile et dans tous les établissements publics de la province, y compris les unités de soins palliatifs. Toutefois, le personnel soignant ainsi que les malades savent parfaitement qu’elle ne peut être administrée à l’insu ou contre la volonté de quiconque. L’AMM est intégrée sobrement dans notre système de santé dans le respect absolu de tous. Chaque demande est soigneusement évaluée par deux médecins et toute une équipe de professionnels. Les cas de refus témoignent d’ailleurs de la rigueur de ce processus.

Les maisons de soins palliatifs font exception à cette obligation. Certaines, centrées sur les besoins de leur clientèle, offrent cependant l’AMM tandis que les conseils d’administration des autres s’y refusent encore. On force même les malades à signer une reconnaissance de ce fait avant d’y entrer, comme c’est le cas à la Maison Michel-Sarrazin de Québec. Malgré tout, plusieurs des malades qui séjournent dans cette maison, comme dans de nombreuses autres de la province, demandent et reçoivent l’AMM.

Évidemment, on se garde bien de publiciser ces aberrations pour continuer d’entretenir religieusement le mythe qu’un malade qui reçoit de bons soins palliatifs ne demande jamais d’AMM. Dr Vinay, depuis l’entrée en vigueur de l’AMM en décembre 2015, avez-vous rencontré des malades déjà en soins palliatifs ayant demandé et reçu ce soin ? Pourquoi ont-ils, selon vous, refusé les autres options de soins de fin de vie ?

La sédation terminale

Patrick Vinay

Au sujet de la sédation terminale et de ce qu’en dit le Dr Naud, quelques rectifications s’imposent. La physiologie en fin de vie, et particulièrement le métabolisme de l’eau, est beaucoup plus complexe qu’on ne le croit. La sédation palliative bien utilisée au cours des 10 derniers jours de vie n’entraîne pas de déficits hydriques ou caloriques qui causeraient le décès du malade. Comme tout traitement, elle doit être administrée judicieusement et selon des balises reconnues. C’est là un traitement utile, souvent indispensable, et qui concerne beaucoup plus de malades que l’AMM. Il me semble contre-productif d’en médire pour défendre un autre choix. 

Une demande de mort, pour sa part, en laquelle consiste l’AMM, traduit le plus souvent une profonde détresse existentielle. Or, celle-ci peut survenir en tout temps durant la vie. Devrait-on alors y répondre différemment si la personne est en dépression, désespérée, en état de choc ou si elle est en fin de vie ? Donner la mort demandée n’est pas la seule réponse appropriée à une telle situation de détresse et cela ne devrait pas être le premier geste à poser, même si on ne peut garantir le succès des autres approches. J’ai rencontré pour ma part plusieurs malades en soins palliatifs qui ont abandonné leur demande d’AMM lorsqu’on leur a offert un soulagement efficace. J’ai aussi rencontré, il est vrai, quelques malades réfractaires à toutes les approches palliatives, mais j’ai toujours fini par trouver avec eux une solution qui leur a paru acceptable. Notre priorité devrait consister à travailler ensemble pour actualiser ce nouveau droit à des soins palliatifs efficaces reconnus par la loi. C’est seulement si ce droit est respecté que nous pourrons parler de véritable progrès pour tous.

La sédation terminale

Alain Naud

Malgré ce qu’en dit le Dr Vinay, la sédation est depuis longtemps utilisée hors indication ; plus récemment, elle l’a même été afin de remplacer des demandes légitimes d’AMM refusées par certains médecins et institutions dogmatiques, avec les mêmes buts et finalités que celle-ci. 

Soyez toutefois rassuré, Dr Vinay. Non seulement je contribue depuis 31 ans par ma pratique de médecin de famille et de praticien en soins palliatifs à soulager et à accompagner avec compétence les malades et leurs proches, mais au je le fais surplus avec ouverture, respect, humilité et compassion. Mon approche m’amène à entendre cette souffrance et à respecter les besoins, les valeurs et les convictions personnelles des malades, plutôt que de leur imposer les miennes. (…)

Il est dommage que vous n’ayez jamais rencontré un seul des quelque 700 malades québécois ayant reçu l’AMM, ni même leurs proches. La grande majorité d’entre eux se trouvait déjà dans les unités et maisons de soins palliatifs. Tous les autres ont refusé librement et volontairement ces soins. Quelques dizaines de ces malades provenaient même du Centre hospitalier de l’Université de Montréal, votre hôpital. Remettriez-vous en question la qualité des soins palliatifs qui y sont prodigués ?

Une réponse à la souffrance ?

Patrick Vinay

La sédation palliative a été et est encore mal utilisée, en effet, avec des visées euthanasiques, et cela, même dans les sociétés qui se sont dotées de l’AMM, car elle est plus facile à gérer. Tout soin mal utilisé peut tuer. La médecine s’est donc donné des balises claires pour optimiser la sédation, et les sociétés professionnelles ont défini pour elle un cadre d’utilisation approprié. 

Les demandes de mort ne datent pas de la promulgation de la loi 2, et nous y faisions face bien avant l’adoption de celle-ci. J’ai donc effectivement vu certains patients renoncer à cette demande depuis que je fais des soins palliatifs. 

Par ailleurs, les critiques que j’ai formulées à propos de ce droit ne relèvent pas d’une position religieuse, mais d’un souci des valeurs humaines mises en jeu dans les soins offerts en fin de vie à des patients fragilisés. Il suffit de considérer les souffrances dans leur ensemble pour voir que la décision d’ériger l’AMM en droit citoyen peut nous entraîner bien au-delà des volontés initialement exprimées par le législateur. Ce choix qui a été fait est très différent de celui qui aurait consisté à décriminaliser l’euthanasie dans certaines circonstances. Nous en voyons aujourd’hui les pièges béants : déjà on réclame de changer la loi, de la dissocier du contexte palliatif, de valider des demandes pour des maladies réversibles ou avec une espérance de vie longue… Demain, on demandera aussi la mort à la carte, comme le craint le Collège des médecins. Faut-il vraiment accepter que la mort devienne, dès qu’on la demande, une réponse à la souffrance ? (…)

Je regrette enfin votre suggestion suivant laquelle toute réflexion serait invalidée par les choix politiques qui ont déjà été faits. Je crois le contraire : les choix politiques s’ajustent, les débats demeurent. Nous vivons dans un État de droit ; raison de plus pour valoriser le débat et aller au fond des choses. Nous devons désormais vivre avec la loi sur l’AMM, mais nous pouvons continuer de penser que nous aurions mieux vécu avec une autre loi.

Une réponse à la souffrance ?

Alain Naud

L’introduction de l’AMM au Québec a été la conséquence d’un immense consensus sociétal, et s’est faite avec l’appui de toutes les institutions médicales, professionnelles, civiles, politiques et juridiques ; à l’exception des seuls groupes religieux.

L’AMM demeure néanmoins une procédure exceptionnelle. Elle est impliquée dans 2 à 4 % des décès dans les pays qui l’offrent depuis longtemps. Ce taux a été de seulement 0,7 % au Québec en 2016.

La Cour suprême a statué avec sagesse que le droit à la vie ne doit pas se transformer en obligation de vivre pour des adultes aptes à consentir, affligés de problèmes de santé graves et irrémédiables, qui souffrent et n’en peuvent plus ; message que les contestataires religieux en particulier refusent encore d’entendre. 

Les opposants de toute nature ont sur ce sujet un sérieux exercice d’humilité et d’introspection à faire s’ils persistent à vouloir se prétendre ouverts, accueillants, respectueux des valeurs humaines ainsi que de l’intérêt et des volontés des malades. 

Je partage avec le Dr Vinay l’idée selon laquelle les bons soins palliatifs seront toujours la base des soins de fin de vie. Seulement, je me réjouis, contrairement à lui, du fait que l’AMM vienne enfin compléter ces soins de fin de vie.

1 Argument — politique, société, histoire. Automne-hiver 2017-2018 (vol. 20, no 1).  Fondée en 1998, Argument est une revue généraliste de débats et d’idées publiée deux fois l’an  par les Éditions Liber.

* Patrick Vinay a d’abord œuvré comme néphrologue, puis comme médecin de soins palliatifs à l’hôpital Notre-Dame. Il a écrit pour les familles un petit livre intitulé Ombres et lumières sur la fin de la vie (Médiaspaul 2010). 

** Fellow du Collège des médecins de famille du Canada, Alain Naud travaille au Centre hospitalier universitaire de Québec. Il intervient régulièrement dans les médias et comme conférencier pour témoigner de sa pratique. 

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