Envoyés spéciaux

Choc culturel sur la liberté de la presse

Au Canada, les politiciens qui accordent des entrevues aux médias écrits ne relisent pas les articles avant leur publication. Pas plus qu’ils n’exigent les questions à l’avance pour les rencontres éditoriales. Demander de relire le compte rendu d’une entrevue serait perçu comme un affront, en quelque sorte.

La raison est évidente pour les deux parties : les médias veulent garder leur indépendance sur le contenu, principe de base de la liberté de la presse. Après tout, les journalistes ne sont pas les faire-valoir des politiciens. Les relationnistes des politiciens, pour s’assurer que leurs patrons ne soient pas mal cités, enregistrent les entrevues, bien souvent.

En Finlande, ma rencontre avec le président Sauli Niinistö a été un véritable choc culturel à cet égard. Quelques heures après l’entrevue, je reçois un courriel poli, mais direct, de la directrice des communications du président. « SVP, envoie-moi ton histoire avant de mettre sous presse. Je parle français donc le langage ne sera pas un problème ».

Pardon ? Ne suis-je pas dans un pays libre ? La requête m’a d’autant irrité que la directrice m’avait demandé à l’avance les questions que je souhaitais poser au président. 

C’est sans compter que cette exigence sur les questions était déjà particulière en soi, puisque c’est le cabinet du président qui m’avait invité à le rencontrer pour me parler de son prochain séjour au Canada. Bref, c’est comme si on m’avait invité à souper et que, deux jours plus tard, on me demandait ce qu’on mange !

Je réponds laconiquement ce qui me semblait évident : « Au Canada, les journalistes n’envoient pas les articles avant publication. »

SUJET SENSIBLE

Ne connaissant pas les pratiques finlandaises, je m’interroge alors sur les motifs de cette requête. Se pourrait-il que le président m’ait dit certaines choses en entrevue qui pourraient créer des remous, voire un incident diplomatique ? En particulier, le président m’avait dit ne pas apprécier le nationalisme de la Russie, avec qui la Finlande partage 1340 km de frontières.

Le sujet était délicat, en septembre, en pleine tension ukrainienne. D’autant plus que la veille de l’entrevue, le Parlement finlandais acceptait qu’une société d’État russe soit partenaire d’un projet de centrale nucléaire en Finlande.

Pour rassurer la directrice des communications, je lui envoie un autre courriel précisant que l’article ne sera pas publié avant le milieu de la semaine suivante, soit cinq jours plus tard.

Fin de l’histoire ? Eh non. La directrice insiste, quelques minutes plus tard. « Je ne vais rien toucher, seulement vérifier les citations [ce que le président a dit]. Vous pouvez aussi seulement envoyer les citations que vous utiliserez, pas l’histoire en soi. J’ai été journaliste moi-même jusqu’à l’an dernier et j’accorde une grande importance à la liberté de la presse. »

Je n’ai pas répondu à cet autre courriel, et le texte a finalement été publié selon mes critères. N’empêche, la requête directe du cabinet présidentiel me laisse croire que c’est une pratique qui va de soi là-bas.

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