ANALYSE

Le Brexit dur affaiblit le Royaume-Uni

Pour négocier son divorce avec l’Union européenne, le Royaume-Uni est en position de faiblesse. Il a peu d’atouts dans son jeu et paraît mal placé pour conclure rapidement de nouveaux traités de libre-échange avantageux.

Il n’y aura pas de séparation à l’amiable.

Hier, une délégation de l’Association Paris Europlace, sorte de vis-à-vis hexagonal de la City de Londres, a présenté dans la métropole britannique les avantages de s’établir dans la Ville Lumière pour les sociétés financières toujours désireuses de brasser des affaires au sein de l’Europe des 27.

Des délégations d’Amsterdam, de Dublin, de Francfort et du Luxembourg en font autant. Chacun fait valoir ses atouts pour attirer des institutions qui auront moins d’avantages à rester dans la City. Beaucoup de cadres salivent déjà à l’idée de déménager à Amsterdam ou à Paris, là où la vie est à la fois plus trépidante et moins chère que dans la capitale britannique.

Cela n’étonne aucunement John Authers, chroniqueur au quotidien britannique Financial Times. « Ce qui m’inquiète, c’est que nous devons tisser des alliances, mais nous ne sommes pas en bonne position pour négocier », confie-t-il en entrevue.

M. Authers croit que le seul scénario susceptible de rétablir un rapport de force moins défavorable au Royaume-Uni serait l’élection, qu’il ne souhaite pas, souligne-t-il, de Marine Le Pen à la présidentielle française, en avril. En pareil cas, ce serait sans doute la fin de l’Union européenne, et tout le monde serait perdant.

Établi à New York, M. Authers était hier le conférencier des Comptables professionnels agréés. Il a ensuite pris la destination de Doha, où il doit aussi livrer son message empreint de pessimisme.

Parmi les alliances possibles du Royaume-Uni, s’il ne doit pas gérer sa possible implosion avec la séparation possible de l’Écosse favorable au lien avec l’Europe continentale, M. Authers pense avant tout aux autres économies avancées qui ont fait partie de l’Empire britannique : l’Australie, la Nouvelle-Zélande et, bien sûr, le Canada.

Dans ces cas de figure, le Royaume-Uni serait encore en position de faiblesse. 

« J’ai été voisin de bureau de votre ministre Chrystia Freeland pendant cinq ans. Mieux vaut l’avoir de notre côté qu’en face de nous. »

— John Authers, chroniqueur au Financial Times

Mme Freeland a dirigé l’édition américaine du Financial Times jusqu’en 2011, avant de passer chez Reuters puis de se lancer en politique fédérale, en 2013.

Un accord de libre-échange Canada–Royaume-Uni serait sûrement avantageux pour les deux parties, compte tenu des liens historiques et commerciaux entre les deux pays.

À court terme, toutefois, le défi canadien est plutôt avec son grand voisin et partenaire commercial. « Négocier avec l’administration Trump sera un exercice très dangereux », estime-t-il. L’industrie ontarienne de l’automobile a la tête sur le billot.

Ce sera difficile aussi pour le Royaume-Uni de négocier avec les États-Unis, même si le 45e président américain s’est montré favorable au Brexit. « Londres s’est bâtie en partie au détriment de New York », parce que la réglementation financière y est moins contraignante, rappelle-t-il.

Mais ça peut changer avec la volonté de Washington de charcuter la loi Dodd-Frank. Adoptée en 2010, c’est la pièce maîtresse de l’administration Obama pour prévenir toute répétition de la crise financière de 2008 et 2009 et éviter que les contribuables soient mis à contribution pour empêcher une institution d’importance systémique de faire faillite.

Entre-temps, des deux côtés de l’Atlantique, il faudra suivre de près l’inflation.

Du côté américain, les promesses de Donald Trump sont inflationnistes : baisses d’impôt pour accélérer la croissance, mesures protectionnistes qui vont faire monter les prix des biens importés et expulsion des sans-papiers avec raréfaction de la main-d’œuvre à la clé alors que le taux de chômage est faible. Cela va inciter la Fed à augmenter plus vite les taux d’intérêt.

Du côté britannique, un des effets du Brexit est l’affaiblissement de la livre sterling qui fait grimper les prix des biens importés alors que la croissance devrait faiblir.

« Heureusement, nous avons peut-être le meilleur banquier central au monde », lance-t-il, sourire en coin. Il s’agit de Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada.

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