Gilles Lellouche

Aquaplanage

De passage cette semaine au festival Cinemania, Gilles Lellouche est venu présenter aux Montréalais son premier « vrai » long métrage à titre de réalisateur. Le grand bain est une comédie sociale qui, en France, est en voie de devenir un phénomène.

Si vous croisez Gilles Lellouche ces jours-ci, il vaudrait peut-être mieux regarder vers le haut plutôt que vers le bas. « Je plane ! », dit-il. On peut le comprendre. En plus d’avoir retrouvé ses marques en tant qu’acteur grâce au Sens de la fête, d’Éric Toledano et Olivier Nakache, et Pupille, de Jeanne Herry, après un moment de lassitude, voici que Le grand bain, le premier long métrage qu’il signe seul à titre de réalisateur, a attiré en France plus de 2,5 millions de spectateurs depuis sa sortie il y a deux semaines à peine.

« Rien n’était gagné, analyse-t-il. Quand le film a été sélectionné au Festival de Cannes [hors compétition], j’ai eu tellement peur. Les comédies sont rarement invitées sur la Croisette. J’ai souvent dit que j’avais détesté monter les marches du Théâtre Lumière, mais j’ai adoré les descendre. J’ai senti une véritable affection lors de la projection et il m’a semblé qu’il se passait quelque chose lors de l’ovation que nous avons reçue. J’étais fou de joie et très soulagé. En plus, la presse a été très favorable ! »

Un film personnel

Aussi voit-il l’arrivée récente de son film dans les salles comme une deuxième sortie, vécue, celle-là, avec beaucoup plus de sérénité. La première s’étant très bien déroulée à Cannes au printemps, il s’estime privilégié d’avoir obtenu un tel accueil, d’autant que les comédies à vocation populaire sont rarement invitées sur la Croisette. Mais comment en arrive-t-on à imaginer une histoire bienveillante construite autour de quadras formant une équipe masculine de nage synchronisée ?

« À un certain moment, j’avais l’impression de tourner un peu en rond en tant qu’acteur et j’ai commencé à écrire. J’avais envie de quelque chose de très personnel, d’un film que j’aurais moi-même envie de voir à titre de spectateur. »

— Gilles Lellouche

L’acteur et réalisateur poursuit: « Et puis, je suis très admiratif de ces gens qui font du sport amateur et qui n’hésitent pas à sortir de chez eux un lundi soir en plein hiver pour s’exercer à leur discipline. Je voulais trouver un sport qui soit poétique et qui illustre aussi l’importance du collectif. Je tiens beaucoup à ça. Le vivre-ensemble pour pallier la dépression. Il y a quelque chose de très solidaire dans la nage synchronisée, c’est comme une chaîne humaine. Je souhaitais évoquer cette solidarité à travers un sport qui peut être l’objet de moqueries, ce qui a pour effet de souder ces hommes encore un peu plus. »

Une autre famille

Si Le grand bain emprunte d’abord les accents d’une vraie comédie, il reste que Lellouche a quand même donné de la profondeur à son récit. Il a aussi su faire écho à la grisaille collective qui atteint plusieurs de ses contemporains.

« Quand je me suis mis à écrire, la réalité était plutôt triste autour de moi, explique-t-il. Mes compatriotes me semblaient éteints, désillusionnés. Il y avait, particulièrement chez les hommes, une dépression latente, peu importe la catégorie sociale. Et puis, un jour, Jacques Séguéla [un publicitaire réputé en France] a lancé cette phrase terrible, qui est restée dans l’inconscient collectif : “Si à 50 ans on n’a pas de Rolex, on a raté sa vie.” Ça m’a vraiment choqué. »

Pour choisir les acteurs qui feraient partie de son équipe, Gilles Lellouche n’a pas fait appel à sa bande de potes habituelle, hormis Guillaume Canet. Il s’agit d’un choix délibéré. Tout comme l’est aussi celui de ne s’attribuer aucun rôle devant la caméra et de complètement rester derrière.

« Je ne voulais pas faire Les petits mouchoirs à la piscine, en fait ! J’ai eu envie de sortir de ma zone de confort, de me confronter à d’autres gens, à d’autres façons de fonctionner, de travailler. La diversité et le mélange des genres correspondent à l’idée que je me fais du cinéma. Je suis allé chercher des acteurs d’horizons très différents et je les ai mélangés. D’ailleurs, la plupart d’entre eux n’avaient jamais tourné ensemble. Ils se sont retrouvés avec des gens qui, a priori, ne sont pas de leur chapelle, dans une piscine, en maillot de bain, à s’entraîner. Et ça a marché. C’était un peu surréaliste, mais l’ambiance était très joyeuse. Et puis, je tenais à ce que face à eux, il y ait de vrais beaux personnages féminins, qui ne relèvent pas du tout du cliché. »

Le facteur Amalric

Sur le plateau de Belles familles, un film de Jean-Paul Rappeneau dans lequel ils se donnaient la réplique, Gilles Lellouche a mentionné à son partenaire de jeu, Mathieu Amalric, qu’il était en train d’écrire l’histoire du Grand bain. Deux ans plus tard, alors que le scénario était terminé, il a pensé à l’acteur pour incarner le personnage de Bertrand, un type atteint de dépression, pratiquement incapable de bouger depuis deux ans.

« J’ai envoyé un texto à Mathieu pour l’inviter dans un café le lendemain, et il m’a répondu en me demandant s’il devait se présenter avec son maillot et un bonnet ! L’idée avait déjà fait son chemin dans sa tête. Je suis arrivé avec une copie du scénario pour lui et il m’a donné son accord tout de suite, sans même le lire ! Quand Mathieu Amalric valide votre projet, ça vous donne des ailes. À partir du moment où il a été de l’aventure, tous ceux que j’ai approchés – Benoît [Poelvoorde], Jean-Hugues [Anglade], Guillaume [Canet], Philippe [Katerine] et les autres – ont dit oui tout de suite. Ça a été d’une simplicité incroyable. »

De son passage à Montréal, Gilles Lellouche gardera en outre le souvenir de cette projection inusitée, organisée à la piscine du Centre sportif MAA lundi dernier.

« Ils ont fait fort, vraiment ! »

Le grand bain est présentement à l’affiche.

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