G20

Le bébé de Paul Martin a 20 ans

Vendredi et samedi prochains, les leaders du G20 seront réunis à Osaka, au Japon, pour parler d’économie mondiale, de taxation des géants numériques et d’environnement. En 20 ans, ce forum unique est devenu un incontournable de la politique mondiale. Pourtant, quand il a eu l’idée de le mettre sur pied, l’ancien premier ministre Paul Martin a d’abord essuyé un refus aussi ferme que poli. Aujourd’hui, il revient sur la naissance et la croissance de son « bébé ». Un dossier de Laura-Julie Perreault

De la feuille blanche au G20

« Rendons au monde sa grandeur », plaide Paul Martin

Une belle feuille blanche. C’est tout ce qu’avaient en mains Paul Martin, alors ministre des Finances du Canada, et Lawrence Larry Summers, secrétaire du Trésor américain, quand ils ont décidé, seuls dans un bureau, quels pays allaient appartenir au Groupe des 20.

Ils ont choisi l’Argentine et le Brésil pour représenter l’Amérique latine. L’Afrique du Sud et le Nigeria pour représenter l’Afrique, en plus de mettre sur la liste la Turquie, l’Arabie saoudite, la Chine, l’Inde, l’Indonésie, la Russie et plusieurs autres. Les membres du G7, eux, faisaient partie d’office de la liste.

À la fin de leur travail de sélection, les deux hommes avaient ciblé 20 grands acteurs économiques – dont plusieurs puissances régionales – qui devaient être représentatives de l’économie mondiale, toutes idéologies politiques confondues.

« Les choix n’ont pas été faits parce que ces pays étaient nos amis ou pas, mais étaient strictement basés sur l’idée que c’étaient des économies parmi les plus importantes dans leur région respective. »

— Paul Martin, rencontré la semaine dernière dans les bureaux de sa fondation, campée dans les bureaux de l’entreprise familiale, Canada Steamship Lines

Ainsi est donc né le G20.

« Il y a des gens qui se demandent encore comment deux hommes ont pu faire ça tout seuls. Si on avait organisé une commission pour choisir les membres de la nouvelle organisation, elle n’aurait jamais vu le jour », dit aujourd’hui M. Martin, en se remémorant cette journée d’avril 1999 à Washington.

La leçon asiatique

Plus tôt dans la journée, les deux hommes avaient assisté à une réunion sur la crise financière en Asie. Le G7, auquel le Canada et les États-Unis appartiennent, avait donné une liste de prescriptions aux pays asiatiques visés afin qu’ils redressent la barre. « Les pays asiatiques ont dit : “Vous nous dites quoi faire, mais vous n’avez pas la politesse de nous inviter à table.” En sortant de la réunion, j’ai regardé Larry et j’ai dit : “Il faut faire quelque chose.” Il était bien d’accord », raconte aujourd’hui l’ancien premier ministre canadien.

Longue gestation

Quatre ans plus tôt, lors d’une réunion des ministres du G7, Paul Martin avait déjà offert de créer un groupe plus grand et plus inclusif que ce petit club sélect pour parler d’économie mondiale. « J’étais ministre depuis deux ans, j’étais encore tout neuf. Les autres pays ont été polis, mais ils ont dit non. Personne dans le G7 n’avait envie de partager son accès privilégié aux États-Unis », se souvient-il en riant.

Quelques années plus tard, en choisissant comme allié le patron du Trésor américain, le ministre canadien a immédiatement vu le vent changer de côté. Non seulement les membres du G7 ont appuyé à l’unanimité la création du G20, mais ils ont aussi entériné la liste élaborée par les deux Nord-Américains. « Larry et moi, on s’est divisé la liste des pays invités et nous sommes allés les voir. Ils ont tous rejoint le G20, sauf un. Le Nigeria n’a pas réussi à résoudre à temps un problème interne pour assister à la première réunion », dit Paul Martin. La porte s’est refermée sur eux. « Même si l’Union africaine est à la table au G20, je regrette encore aujourd’hui que l’Afrique ne soit pas mieux représentée », affirme le père spirituel du groupe.

Impliquer les leaders

À ses débuts, en 1999, le G20 se résumait à des réunions des ministres des Finances des pays membres. « J’ai poussé beaucoup pour que les chefs d’État et de gouvernement participent au G20. Tous les pays du G20 disaient oui, sauf les États-Unis. George Bush n’a pas dit non, mais il ne voulait pas dire oui non plus », dit Paul Martin.

La crise économique de 2008 a changé la donne. C’est cette année-là qu’a eu lieu le premier sommet des leaders du G20. À Washington.

« J’étais convaincu qu’on aurait une crise économique au niveau mondial et je savais que la prochaine fois qu’il y aurait une crise, ce n’était pas le G7 qu’on réunirait, mais le G20. C’est ça qui est arrivé. » — Paul Martin

Paul Martin n’était pas à cette fameuse réunion. Celui qui a été ministre des Finances du Canada de 1993 à 2002 et premier ministre du Canada de 2003 à 2006 n’était plus au gouvernement quand son rêve s’est réalisé, mais il a continué de suivre à distance l’évolution de son « bébé ».

« J’ai été très fier deux fois du G20. La première fois, c’est en 2008, quand les membres ont refusé d’adopter des mesures protectionnistes. Je suis convaincu que cette décision du G20 a permis de sortir plus rapidement de la crise. L’autre fois a été après le Sommet de Paris sur les changements climatiques. Les États-Unis se sont retirés de l’entente, mais le reste du G20 a dit : “Nous, on reste.” Ça montre que le G20 a passé le test en se tenant debout. L’unité du G20 a été cruciale pour sauver l’entente », affirme Paul Martin, qui avait l’impression de voir son enfant atteindre l’âge adulte.

L’ère protectionniste

Ne craint-il pas que cette belle unité des grandes économies du monde soit mise à mal lors du sommet d’Osaka ? Donald Trump n’y sera pas le seul à tenir un discours antimondialisation. La Russie, l’Italie et d’autres joindront leur voix à la sienne. « C’est quand même mieux qu’on tienne la réunion, qu’on discute des problèmes actuels, plutôt que de les ignorer », dit Paul Martin.

Ce dernier croit que la tendance au repli n’est que temporaire. « Ce qu’on voit aux États-Unis, cette idée de Donald Trump de “rendre sa grandeur à l’Amérique” [Make America Great Again], moi, je le transformerais pour dire : “Rendons sa grandeur au monde !” La globalisation, ce n’est pas une décision gouvernementale. C’est une réalité. Point final. Aucun pays ne peut régler le problème du réchauffement climatique chez lui si ça continue d’exister ailleurs. Aucun pays ne peut nettoyer les océans qui le touchent si ces océans ne sont pas protégés partout. La seule façon de maintenir la souveraineté d’un pays, c’est que le monde fonctionne bien », dit M. Martin.

Il est convaincu que, le temps venu, le groupe qu’il a mis au monde avec son ami Larry Summers il y a 20 ans sera le premier forum où sera rétabli un véritable dialogue mondial.

À suivre au G20

Les sommets du G20, comme ceux du G7, se passent autant autour de la table des chefs d’État que dans les coulisses, où se multiplient les rencontres en tête-à-tête. L’an dernier, à Charlevoix, l’esclandre de Donald Trump contre Justin Trudeau à la fin du sommet du G7 a volé la vedette à un week-end de discussions sur la place des femmes dans l’économie mondiale et la pollution des océans. Peut-on s’attendre à la même chose à la réunion du G20 à Osaka ? Huit choses à suivre pendant le sommet des 28 et 29 juin.

Le comportement de Donald Trump

Trump tentera-t-il un effet de toge comme il l’a fait au G7 de Charlevoix en reniant la déclaration commune du sommet quelques heures après son départ ? Frédéric Mérand, directeur du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, en doute. « Trump a plus d’amis au G20 qu’il n’en a au G7. Les leaders de l’Arabie saoudite, du Brésil et de la Russie sont là. Il va se sentir beaucoup plus à l’aise qu’au G7. Et le Japon est un pays ami. Le premier ministre Shinzo Abe ne va pas mettre des enjeux progressistes sur la table. Ce n’est pas un contexte hostile pour Trump », dit le spécialiste.

Guerre commerciale Chine – États-Unis

À l’approche de la réunion au Japon, le président américain utilise la même technique qu’avant le G7. Il menace de hausser les tarifs douaniers s’il n’obtient pas ce qu’il veut. Cette fois, sa cible est la Chine de Xi Jinping. Selon Julien Tourreille, directeur exécutif du Forum Saint-Laurent sur la sécurité internationale, les menaces du président américain pourraient se muter en négociations à Osaka. « Ça peut être une occasion d’aplanir les différences entre les deux pays. Un G20 précédent avait amené les deux leaders à repousser l’entrée en vigueur de nouveaux droits de douane », note M. Tourreille.

La taxation de l’économie numérique

Les leaders du G20 doivent se pencher sur de nouvelles politiques qui permettraient de taxer les géants de l’économie numérique. « C’est tout un changement de cap : l’idée à l’étude est de taxer les entreprises numériques là où elles font de l’argent plutôt qu’où elles sont établies. S’il y a une entente, ça pourrait être assez révolutionnaire », dit John Kirton, directeur du groupe de recherche sur le G20 de l’Université de Toronto. « C’est assez fondamental que les États reprennent en mains leur pouvoir de taxation. C’est leur prérogative. »

La carte iranienne

Les tensions vives entre l’Iran et les États-Unis ces jours-ci feront certainement surface au cours du sommet d’Osaka, même si la République islamique ne fait pas partie du groupe. La visite du premier ministre japonais Shinzo Abe à Téhéran la semaine dernière semblait déjà indiquer que les relations de la communauté internationale avec le pays des Ayatollahs seraient à l’ordre du jour. La situation a bien évolué depuis, mais le problème n’en devient que plus important.

Le vieillissement de la population

Le pays hôte a toujours un impact sur l’ordre du jour du sommet. Le Japon ne fait pas exception et a décidé de mettre au menu des discussions sur l’impact du vieillissement sur l’économie mondiale. « Plusieurs des pays du G20 font face à cette réalité. C’est vrai en Chine et en Russie notamment. Et encore plus au Japon. C’est un sujet novateur », dit John Kirton.

L’aura Trudeau

Avec le G7 de Biarritz en août, la réunion du G20 sera l’un des derniers grands sommets mondiaux avant les élections fédérales de l’automne au Canada. « Justin Trudeau devra démontrer aux Canadiens qu’il a encore une aura internationale. Après son élection, il a dit : “Canada is back” [le Canada est de retour], c’est le moment de montrer que c’est bien le cas », dit Julien Tourreille. M. Trudeau espère notamment rencontrer le président chinois pour parler des Canadiens qui ont été arrêtés en Chine après que le Canada a arrêté, en décembre dernier, la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou, à la demande des États-Unis.

Le sort du plastique

Au G7, Justin Trudeau a lancé une grande discussion sur la pollution des océans. Au G20, le premier ministre japonais reprendra la balle au bond en abordant la question du plastique. « Ça permettra d’aborder une question environnementale qui fait consensus, dit Frédéric Mérand. Justin Trudeau pourra faire le lien avec la charte du plastique du G7 », dans l’élaboration de laquelle il a joué un grand rôle, dit l’expert en relations internationales. Les récentes annonces du premier ministre canadien prévoyant que le Canada interdira le plastique à usage unique à partir de 2021 ne semblent pas étrangères au contexte international.

La nature de Poutine

« On va voir si Vladimir Poutine continue son opération charme avec le président chinois. Il l’a récemment reçu en grande pompe à Saint-Pétersbourg. Aussi, on verra comment se passera la dynamique entre Donald Trump et Vladimir Poutine. Est-ce que les deux hommes iront vers plus de collaboration ou verra-t-on un Poutine isolé ? », demande Julien Tourreille. À suivre.

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