Mon clin d'œil

Avant le Brexit, l’expression « filer à l’anglaise » signifiait quitter discrètement. Maintenant, c’est plutôt quitter difficilement.

Opinion : Logements abordables à Montréal

Les effets pervers d’un règlement

Lors des élections à la mairie, Valérie Plante s’est engagée, conformément au programme de Projet Montréal, à garantir un minimum de 20 % de logements familiaux de trois chambres et plus dans les nouveaux projets immobiliers résidentiels ; cela, dans le but de freiner l’exode des jeunes familles vers la banlieue. Fidèle à son engagement, la mairesse va aujourd’hui de l’avant. 

La Ville est en train de préparer un nouveau règlement, que la mairesse compte déposer le 15 avril et dont l’entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 2021, qui aura pour effet d’obliger désormais des promoteurs de nouveaux projets immobiliers à inclure 20 % de logements sociaux, 20 % de logements abordables et 20 % de logements familiaux ; d’où le titre Règlement 20/20/20.

Ce règlement constituera une véritable révolution dans l’univers immobilier montréalais ; plus précisément, dans le marché des condos. La réglementation actuellement en vigueur, en gros, encourage les promoteurs de projets de 100 unités et plus à inclure 15 % de logements sociaux et 15 % de logements abordables ; mais elle reste à caractère incitatif en laissant des options de compensation aux promoteurs et ne s’applique qu’aux projets nécessitant des dérogations au plan d’urbanisme. Le Règlement 20/20/20, si j’ai bien compris, tout en élargissant la part des inclusions préconisées, la rendra obligatoire et s’appliquera à tout nouveau projet majeur.

Il est facile de comprendre les motivations derrière le Règlement 20/20/20. Les intentions sont bonnes. 

Toutefois, il recèle un piège potentiel : réduire l’offre globale de logements avec, en parallèle, un impact haussier sur les prix.

Le marché montréalais n’est pas parfait, mais constitue néanmoins un modèle en Amérique du Nord, un arbitrage relativement bien réussi (du moins, jusque-là) entre les exigences d’un urbanisme de qualité et les exigences de l’offre et de la demande de logement. Montréal affiche systématiquement les prix de logement les plus bas de toute métropole comparable en Amérique du Nord. Le prix d’achat d’un appartement au centre (trois pièces) est presque le double à Toronto ; l’écart est du même ordre pour la location.

Ce résultat favorable à Montréal n’est pas le fruit du hasard, mais la conséquence de la sagesse (consciente ou non) de décideurs antérieurs qui a permis à Montreal de mettre en place un marché du logement où l’offre répond de façon relativement efficace à la demande. À la différence de Toronto, par exemple, Montréal n’impose pas de frais de développement aux constructeurs, ce qui a pour effet de réduire directement les coûts, mais aussi de permettre à des promoteurs moins nantis d’entrer plus facilement sur le marché ; souvent avec des projets de taille intermédiaire plus réactifs face à la demande.

Un impact difficile à mesurer

Revenons au Règlement 20/20/20. Que l’obligation d’inclure plus d’unités réglementées (en principe moins payantes) fera augmenter le prix des unités « libres » est relativement facile à comprendre ; quoique l’impact précis est difficile à calculer à l’avance. Mais c’est plutôt l’impact possible sur l’offre globale de logements, et donc indirectement sur les prix, qui me préoccupe. Cet impact est encore plus difficile à mesurer ; raison pour laquelle les différentes études en Amérique du Nord sur l’Inclusionary Zoning restent incertaines quant à l’impact final sur l’offre globale de logements abordables. Il n’est pas possible de connaître les promoteurs qui autrement seraient venus mais ne viendront pas, les projets qui ne verront pas le jour, ni l’effet ultime sur les prix dans l’ensemble du marché montréalais.

Il est bien possible que le nouveau règlement proposé par la mairesse, bien conçu et appliqué avec doigté, réussisse effectivement à faire augmenter l’offre globale de logements abordables. Toutefois, la possibilité que, mal conçu, il provoque l’effet inverse est une invitation à faire nos devoirs avant de foncer. Il ne s’agit pas de plaire aux promoteurs ou à l’industrie de la construction, mais de s’assurer que les conditions du marché restent favorables à une croissance de l’offre dans toutes les catégories de logement.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.