Les boomers ont 70 ans

Est-ce le début d’un temps nouveau ?

Quand les baby-boomers ont commencé à avoir 50 ans, en 1996, tout le monde en a parlé. C’était majeur. La génération incarnant la jeunesse frappait le demi-siècle et, à l’époque, l’idée qu’une personne de 50 ans puisse écouter les Rolling Stones ou David Bowie et fumer du pot semblait révolutionnaire.

Quand les boomers ont atteint les 60 ans, on en a encore beaucoup discuté. Oh, les cheveux gris deviendront-ils à la mode ? Faut-il tout investir massivement dans le marché de l’antiride ? La robotisation prendra-t-elle son envol pour pallier les pertes d’autonomie personnelle à prévoir ?

Cette année, les boomers commencent à avoir 70 ans, et c’est comme si plus personne ne s’en préoccupait.

« Il y a un tabou social sur le vieillissement. T’as pas envie de te le faire rappeler », résume François Forget, vice-président de la stratégie à l’agence Sid Lee, quand on lui demande où sont les boomers dans la publicité, les campagnes de marketing et autres vitrines culturelles de la consommation.

Pourtant, les baby-boomers, nés entre le 1er janvier 1946 et le 31 décembre 1964, si on choisit la définition américaine et dominante du concept, constituent près de 30 % de la population canadienne.

Oui, c’est un groupe démographique encore important, reconnaît M. Forget. Et c’est un groupe qui, selon l’American Association of Retired Persons, prend 50 % des décisions de consommation. Mais on ne s’adresse plus à lui globalement. Il n’est interpellé que par 10 % des messages publicitaires.

Pourquoi ? Peut-être parce que les stratégies se sont raffinées et que les boomers sont divisés et redistribués en une foule de catégories de consommateurs de plus en plus pointues. Peut-être parce qu’ils sont, en réalité, partagés surtout en deux grandes catégories, avance Jacques Nantel, professeur de marketing à HEC Montréal. « Il y a de 3 à 5 % d’entre eux qui vont générer 40 % des achats. Et il y a tout le reste. » La réalité des boomers, explique le professeur, c’est qu’ils ont été durement frappés par la débandade boursière de 1997 et la crise bancaire de 2008. Leurs placements, qu’ils pensaient si efficaces pour leurs revenus de retraite, n’ont pas apporté la richesse espérée. « Ils n’ont plus les moyens financiers d’être les trends-setters qu’ils ont toujours été. »

Quand ils ont eu 20 ans, ils voulaient refaire le monde. À 40 ans, ils sont devenus plus conformistes et ont démocratisé une nouvelle consommation de luxe omniprésente dans les années 80. À 50 ans, on leur a attribué la popularité du cocooning, retour à la maison et à son confort douillet avec lequel les Réno-Dépôt de ce monde ont fait leur succès.

Mais à 70 ans ?

Ils n’ont pratiquement plus accès au crédit, plus de possibilités de se refaire financièrement. Ils sont prudents. Et ils n’ont plus les mêmes préoccupations. Ils achètent autrement.

Et même si on sait que ce sont souvent davantage des boomers de 50 ans et plus – qui ont enfin du budget pour eux après avoir élevé leurs enfants – qui achètent des voitures chères, de grands voyages de luxe et des produits électroniques de pointe, on ne commercialise pas ces produits pour eux. « Veux-tu vraiment voir papi dans une pub de Mercedes S ? demande Martin Beauvais, fondateur de l’agence de pub Open. Ce qui marche, c’est le gars qui a des cheveux gris, mais n’a que 40 ans. » Et à part quelques excentriques, peu de marques de luxe pour femmes – vêtements, produits de beauté, sacs à main, bijoux – mettent de l’avant des femmes d’âge mûr, même si ce sont elles qui achètent ces biens à gros prix, pas les jeunes de 20 ans, comme les mannequins des annonces.

BAISSE DE LA CONSOMMATION

Reste qu’à partir d’un certain âge, la consommation tombe naturellement. La tendance est claire.

« Avant 60 ans, c’est “go-go-go”. À partir de 70 ans, c’est “no go”. Tous les besoins ont diminué. Évidemment, tout dépend de la forme. Mais on l’observe clairement, notamment à la SAQ : ils prennent des demi-portions.»

— Danièle Bergeron, vice-présidente de SAIL et membre du conseil d’administration de la Société des alcools du Québec (SAQ)

Le créneau qui va devenir de plus en plus porteur pour ceux qui veulent travailler avec le marché des baby-boomers, c’est tout ce qui est rattaché directement au corps, au vieillissement, ce qui les concerne donc spécifiquement, explique Martin Beauvais, d’Open. On pense aux médicaments, aux produits d’hygiène, à l’alimentation… Tout ce qui est lié à la mobilité, aux soins de santé.

Mais cette consommation et toute la mise en marché qui l’entoure n’auront surtout pas à être vieillottes.

Par exemple, Open a mis au point il y a quelques années une campagne de pub pour un lubrifiant destiné aux femmes ménopausées. Non seulement l’emballage est totalement moderne, mais toute la conception de la marque incarne l’esprit d’une jeunesse réinventée, améliorée. Un des slogans ? « Préparez-vous à vous sentir comme une ado, mais avec pas mal plus de jugement. »

Dans le même esprit ludique, la marque très branchée Céline a mis en vedette l’octogénaire Joan Didion dans une récente campagne de pub pour ses lunettes. Et le gris est maintenant une couleur de cheveux hautement à la mode, même chez les jeunes.

Est-ce le début d’un temps nouveau ?

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