ÉDITORIAL VENTE DE ST-HUBERT

Avant de nationaliser le poulet

Il ne fallait quand même pas nationaliser le quart-cuisse…

Québec ne devait rien faire de plus pour empêcher la vente de St-Hubert au groupe ontarien Cara. Car dans ce cas-ci, l’entreprise familiale n’est pas victime d’un prédateur. C’est elle-même qui a mis la pancarte à vendre, et elle a refusé les offres d’ici.

La Caisse de dépôt et placement avait déposé une offre, tout comme le groupe québécois MTY. Investissement Québec a aussi tâté le terrain. St-Hubert a choisi d’aller voir ailleurs. Cela n’a rien de réjouissant, car ses décisions stratégiques se prendront désormais à Toronto. Mais ce n’est pas parce qu’il y a un problème que l’État a une solution.

Certes, il arrive qu’une intervention soit justifiée et efficace. Cela doit toutefois s’évaluer au cas par cas.

Pour bien le faire, il faut commencer par démystifier le concept de « fleuron ». Il en existe deux catégories. Les fleurons identitaires, comme St-Hubert, importants pour des raisons émotives et historiques. Et les fleurons stratégiques, comme Bombardier ou SNC-Lavalin, important en raison de leur rôle structurant dans l’économie. Ce sont surtout eux qu’il faut protéger.

Par exemple, Bombardier soutient un réseau de fournisseurs, de chercheurs et de main-d’œuvre spécialisée. Cela n’existe pas chez St-Hubert. Le rôtisseur compte deux activités : des restaurants et des ventes aux détaillants. De plus, selon plusieurs analystes, la vente pourrait faire croître ces revenus en ouvrant l’accès au marché canadien. C’est d’ailleurs le calcul du président Jean-Pierre Léger.

***

Même si Québec voulait malgré tout bloquer la vente, ce serait difficile à faire.

Il existe deux types de boucliers, et ils ne s’appliquent pas à St-Hubert. Le premier consiste à renforcer le pouvoir des actionnaires. Or, St-Hubert est une entreprise privée, et elle cherchait elle-même à se vendre.

Le second est une promesse électorale abandonnée du Parti libéral. Il consiste à créer un fonds de réserve à la Caisse de dépôt pour acheter un fleuron. Cela n’aurait pas été plus utile. La Caisse avait assez de moyens pour offrir une participation dans St-Hubert. M. Léger a préféré le modèle du groupe ontarien, déjà présent dans la restauration canadienne.

Le coupable n’est pas toujours le gouvernement. Dans ce cas-ci, il faut accuser le manque de relève.

C’est vrai chez St-Hubert, à cause du roulement de têtes à la direction. Et c’est vrai aussi de façon plus générale dans l’ensemble de l’entrepreneuriat québécois. Ce sera un défi pour le long terme.

Dans l’immédiat, la priorité devrait être à la vigilance. Il faut s’assurer que les engagements des acheteurs soient respectés. Pour Cara, l’engagement est moral. Pour Lowe’s, acquéreur de Rona, l’engagement devrait aussi être contractuel. Investissement Canada et le Bureau de la concurrence peuvent en effet l’inscrire dans les conditions de la vente. Le réalisme ne devrait pas mener à la crédulité.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.