Opinion MÈRES PORTEUSES

Une pratique qui fait reculer les droits des femmes

Madame la ministre du Développement international,

Je tiens d’abord à vous féliciter de votre engagement pour l’amélioration de la condition des femmes et de votre politique d’aide internationale féministe.

J’ai longtemps participé à des projets de coopération canadienne sur la santé des femmes, tout particulièrement en santé de la reproduction et de lutte contre la mortalité maternelle. Je me réjouis que le Canada prenne position enfin de façon aussi claire et soutienne financièrement les interventions visant l’égalité hommes-femmes.

Je vous écris parce que la question de la rémunération des mères porteuses est de nouveau soulevée par un de vos collègues. Les médias ont rapporté que vous étiez ouverte à la discussion, mais soucieuse du dilemme éthique lié à la rémunération des mères porteuses. Or, le recours aux mères porteuses, en soi, soulève de nombreux problèmes éthiques.

Il serait tout à fait incohérent que le Canada légitime cette pratique. En effet, cette dernière réduit les femmes à des instruments de reproduction et permet à des commanditaires de se les « approprier » pendant quelques mois pour arriver à leurs fins.

Notre pays, pour sa part, intervient dans les pays à faible revenu pour améliorer la condition des femmes, pour faire reconnaître leurs droits en tant que personnes et pour les outiller pour qu’elles puissent choisir librement lorsqu’il s’agit de leur vie sexuelle et reproductive.

Exploitation des pays pauvres

Il est bien connu que des femmes de pays à faible revenu sont exploitées pour satisfaire le « désir d’enfant » de personnes et couples étrangers. D’une part, plusieurs de ces pays ont décidé de fermer la porte à cette pratique ; d’autre part, celle-ci se déplace vers les pays les plus pauvres de la planète. Il est illusoire de prétendre que cette exploitation sera évitée si le Canada adopte des règlements qui permettront de rembourser les dépenses des mères porteuses, voire de les rémunérer comme le préconise votre collègue. 

L’exploitation est intrinsèque à cette pratique. Votre collègue est même allé jusqu’à évoquer que des femmes pauvres pourraient ainsi y trouver une solution économique ! Le recours aux mères porteuses porte les germes d’une définition de la femme, de l’enfant et des droits en matière de reproduction qui ouvre la porte à toutes les dérives.

Au moment même où des femmes se soulèvent partout pour mettre en cause les traitements dont elles sont victimes, agressions sexuelles et autres abus, dans un mouvement jamais vu auparavant, comment le Canada pourrait-il aller dans le sens de la légitimation d’une pratique avilissante ?

Il ne faut pas se laisser berner par les discours dits de compassion ni adopter le vocabulaire de « l’altruisme ».

Un tel discours associe altruisme et accepter de porter un enfant sur commande et de le remettre sans conserver de lien ou un lien minimaliste avec cet enfant. L’altruisme est une des plus belles valeurs qui soient et réfère à prendre soin, se tourner vers l’autre et non à une pratique qui consiste à livrer un être humain sur commande, qu’on soit payée ou non.

Je souhaite vivement que les femmes du caucus libéral résistent aux pressions de leurs collègues et aux lobbys qui détournent le sens de « l’ouverture » aux autres, à la différence et aux nouvelles réalités sociales, pour faire endosser une pratique qui fait reculer le droit des femmes et celui des enfants au respect de leur dignité humaine et de leur intégrité physique, psychologique et sociale.

Je vous remercie de votre attention et je vous souhaite beaucoup de succès dans vos projets visant à partager avec des populations moins favorisées nos acquis et nos ressources.

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