Transports

L’âgisme d’Uber

L’auteur est porte-parole du Comité provincial de concertation et de développement de l’industrie du taxi (CPCDIT)

Depuis quelques jours, dans le courant de pensée de certains Québécois, circule une idée pour le moins surprenante, pour ne pas dire révoltante. Beaucoup ont l’air de penser que pour comprendre la réalité, la nouveauté d’Uber, il faut avoir moins de 30 ans.

Les « vieux » comme moi, selon ce courant de pensée, sont incapables de comprendre comment cette technologie « révolutionnaire » change totalement la donne. Encore cette semaine, je voyais une caricature qui dépeignait le ministre des Transports, Jacques Daoust, comme un homme de Cro-Magnon, dans Les Pierrafeu, parce qu’il ose tenir tête à Uber. Les propos du député de la CAQ Éric Caire, disant cette semaine que le ministre des Transports « devrait ajuster son appareil [auditif] », vont dans le même sens. Le message, sous ses multiples formes, est clair : au XXIsiècle, être vieux, c’est être dépassé. Une espèce de « tasse-toi, mononcle », en quelque sorte.

À tous ces jeunes entichés d’idées nouvelles et lisses, je dis : un instant. S’il est vrai que les personnes plus âgées sont moins férues de nouvelles technologies, le nombre des printemps qu’elles ont vécus leur donne tout de même une certaine expérience, une capacité à prendre un recul par rapport aux modes et aux lubies d’une époque. Pour faire un parallèle facile, nous dirons que le jugement des personnes plus âgées s’est bonifié avec le temps comme le bon vin. Le jugement des plus jeunes peut, parfois, manquer de discernement.

La justice a-t-elle une date de péremption ? Faut-il avoir moins de 30 ans pour être favorable à l’équité sociale et à l’État de droit ? Lorsque le juge Cournoyer de la Cour supérieure du Québec affirme qu’Uber a volontairement contourné les lois fiscales, devons-nous mettre cette jurisprudence de côté en prétextant qu’elle ne vient pas d’un « jeune » ? Le juge Cournoyer est-il moins apte à comprendre les lois que ses collègues qui ont moins d’expérience que lui ?

En plus d’avoir méprisé nos lois et nos règles et d’avoir perturbé la paix sociale en ce qui concerne le transport de personnes, Uber semble maintenant vouloir s’en prendre aux personnes plus âgées et créer un conflit de générations. Les jeunes libéraux contre les autres libéraux. Les jeunes élus municipaux contre tous les autres. Les jeunes chambres de commerce contre tous ceux qui hésitent devant Uber.

On essaie de nous faire croire que s’opposer à une multinationale qui sème la pagaille partout sur la planète est un acte de sénilité. Il faut avoir du front ! Non seulement Uber méprise les lois, mais elle en vient même à pousser à mépriser les personnes âgées.

Uber se vante d’avoir été « légalisée » dans 70 des 300 États dans lesquels elle opère. Si mes mathématiques de la petite école sont encore bonnes, ça veut toujours bien dire qu’il y en a 230 où le service UberX opère illégalement. Si le ministre Daoust et moi sommes séniles, disons au moins que nous ne sommes pas seuls.

À San Francisco, lieu de naissance d’Uber, les policiers doivent maintenant mettre sur pied des escouades spéciales pour contrer les chauffeurs d’Uber qui prennent des courses hélées, alors que ça leur est interdit. À Londres, plus de 30 cas d’agressions sexuelles alléguées sont attribués à des chauffeurs d’Uber. En Californie, Uber est poursuivie par l’État pour la faiblesse de la vérification des antécédents judiciaires. En France, Uber a été condamnée à 213 000 $ d’amende pour publicité trompeuse, pour s’être affichée comme du « covoiturage », alors que c’est à l’évidence du transport rémunéré de personnes.

Bref, un peu partout à travers le monde, les « vieux » ont de plus en plus de raisons de douter de la bonne foi et du bien-fondé du service UberX. Par expérience, les personnes plus âgées prennent un certain recul face à des mouvements tout feu tout flamme. Leur expérience leur a appris qu’il s’agit souvent d’un feu de paille.

Il y a des valeurs qui sont intemporelles. La justice. Le respect. La probité. L’intégrité. La solidarité.

Il est certain que ces termes sont moins hot que le « covoiturage urbain », l’« économie du partage » et l’« ubérisation ». Ils sont moins à la mode parce qu’ils sont essentiellement moins nouveaux. Rien ne se démode plus vite que la mode, vous savez. Et les classiques ne se démodent jamais.

Si nos cadets peuvent apprendre quelque chose de leurs aînés, c’est peut-être justement ce doute qui s’installe en vieillissant envers les modes successives et passagères. Il ne faudrait pas, pour faire de la place à une vague passagère, détruire un système de 1,4 milliard qui emploie 22 000 travailleurs et qui fait vivre autant de familles.

Si le modèle d’Uber mérite réellement d’être considéré comme révolutionnaire, si dans 100 ans on en parlera dans les classes d’école en l’enseignant comme un « classique », alors le service saura s’adapter aujourd’hui au marché et aux règles du Québec. Si Uber est incapable de le faire, ce sera alors la preuve qu’il s’agissait d’un simple soubresaut de l’opinion de certains.

Un bémol, toutefois. Uber pourrait aussi passer à l’histoire comme un exemple classique d’intimidation, de supercherie et de manipulation de l’opinion politique et publique. Est-ce que ce sera le cas ? Seul le temps nous le dira, croyez-en l’expérience d’un « vieux ».

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