Programmes d’études secondaires

Le « courage » de choisir l’école de quartier

Chaque automne québécois apporte une tradition singulière vécue par plusieurs parents : des fins de semaine passées à visiter des écoles secondaires pour la rentrée prochaine de leurs enfants. Certains choisissent toutefois de s’extirper de cette course pour réinvestir l’école de quartier, quitte à la changer un peu au passage.

UN DOSSIER DE MARIE-EVE MORASSE

Au-delà de la réputation

Une « merveilleuse petite école », une « équipe qui connaît les enfants » : qui croirait que Julie Verdy décrit l’école Chomedey-De-Maisonneuve, recalée à l’avant-avant-dernier rang du classement des écoles secondaires de l’Institut Fraser ?

Au moment d’inscrire un de ses fils au secondaire, la mère de trois garçons ne voyait pas pourquoi elle devait éviter son école de quartier. « On a l’école secondaire de l’autre bord de la rue et tous les parents autour de nous nous disaient qu’ils n’enverraient jamais leur enfant là », dit Julie Verdy.

Une incongruité à laquelle elle s’est attaquée en créant avec une amie, Marie Godbout-Longpré, le groupe « Option Chomedey », dans le but que l’école de quartier devienne une option pour les parents d’Hochelaga-Maisonneuve qui « magasinent » leur école.

Avant même l’entrée de leurs enfants au secondaire, les mères se sont impliquées dans le conseil d’établissement à titre de membres de la communauté et ont demandé des changements. Elles ont fait une alliance avec plusieurs organismes culturels du quartier comme le Jardin botanique et le Théâtre Denise-Pelletier pour que les élèves puissent en bénéficier.

« Il y a du travail à faire, on ne se le cache pas », souligne Julie Verdy, dont le fils est en 2e secondaire à Chomedey-De-Maisonneuve.

« Le directeur nous disait : “Vous voulez un programme international ?” Non ! On ne veut pas de sélection, on veut une super bonne école. »

— Julie Verdy

L’école secondaire ne figure pas au bas des palmarès pour rien : elle accueille des élèves ayant de nombreux besoins particuliers et plusieurs programmes spécifiques leur sont offerts. Dans le secteur ordinaire, 27 % des élèves ont « une cote ». Pour certains membres du personnel, l’arrivée de ces mères qui ont réclamé une option science ouverte à tous, par exemple, a été « insécurisante ».

« Au début, ça a brassé dans l’école, reconnaît le directeur Éric Sirois. Je me suis fait dire qu’elles avaient juste à aller ailleurs. »

Les craintes ont lentement disparu. « Tout le personnel remarque que l’école a changé », dit Éric Sirois. Il y a désormais plus de candidatures de parents que de postes au conseil d’établissement, les portes ouvertes ont attiré davantage de visiteurs cette année « malgré la pluie ».

Des changements qui profitent à tous ? « C’est clair, clair, clair. On a des élèves qui ne sont jamais allés au nord de Sherbrooke. Ça leur donne d’autres modèles », assure le directeur.

Une « migration » annuelle

Au nord de Sherbrooke, justement, un groupe de parents s’organise lui aussi pour faire de son école secondaire de quartier une école fréquentée à nouveau.

Car il s’opère chaque année une « migration », dit Jean Beaudoin pour décrire le phénomène qui se produit quand une portion des enfants de son quartier entre au secondaire.

En théorie, leur école secondaire de quartier est l’école Jeanne-Mance, dans le Plateau Mont-Royal. En pratique, c’est autre chose, constate le père d’un garçon de 9 ans.

« Dans un quartier embourgeoisé, l’école Jeanne-Mance est en manque d’achalandage et est obligée d’attirer du monde de l’extérieur pour occuper ses espaces. Pourtant, c’est le même bassin d’enfants qu’en 6e année, ceux qui jouent avec leurs amis dans la ruelle et vont à l’école primaire à trois coins de rue. Ils migrent tous vers la montagne, vers [les collèges privés] Brébeuf, Notre-Dame, Jean-Eudes », dit Jean Beaudoin.

Les chiffres de la Commission scolaire de Montréal lui donnent raison. L’an dernier, 884 élèves fréquentaient cette école secondaire, remplie à seulement 56 % de sa capacité.

Comment est-ce possible que dans un quartier aussi densément peuplé, on se retrouve à aller chercher des élèves qui viennent d’aussi loin que Laval ? se demande l’architecte.

« Je suis un militant de la qualité de vie de proximité. Un des problèmes sur lesquels on n’a jamais mis le doigt, c’est la question des déplacements immenses générés par les écoles dites “de destination” », dit Jean Beaudoin.

« Une école régulière qui a son territoire crée de la vie de proximité, réduit les déplacements et crée du bon voisinage. »

— Jean Beaudoin

Devant ce constat, il s’est impliqué dans le conseil d’établissement de l’école primaire de son fils. Accompagné de parents dont les enfants fréquentent d’autres écoles primaires du quartier, il entend renverser la vapeur.

« On essaie de donner de la visibilité à cette école-là dans les écoles primaires du quartier, que les enfants voient qu’il y a des activités et qu’il se passe des choses de bien dans cette école, dit Jean Beaudoin. On veut rendre visibles les parents qui ont le courage – on en est rendu là – d’envoyer leurs enfants à cette école. »

Il estime que l’école Jeanne-Mance est une école qui a changé au fil des années, malgré le « filtre des perceptions ». « Il y a beaucoup de parents qui ont encore peur d’y envoyer leurs enfants parce qu’ils entendent des histoires plus tristes qui ont eu lieu dans le passé », dit le père.

D’ici à ce que son fils entre à l’école secondaire, Jean Beaudoin souhaite que la réputation de l’école change.

« Ça donnerait un immense coup de pouce à l’école d’aller inscrire nos enfants là. Mais je pense qu’il ne faut pas le faire à 4, il faut le faire à 150 personnes d’un coup. C’est ce qu’on va travailler en amont. J’ai trois ans [pour le faire], c’est encore jouable », dit-il en riant.

L’importance de l’école pour tous

L’école secondaire qui offre un parcours traditionnel est-elle en voie de disparition ? Dans certaines écoles – et pas seulement en milieu urbain –, on a le sentiment que les programmes particuliers sont en train de prendre le terrain d’assaut.

La semaine dernière, un professeur de l’école secondaire Monique-Proulx à Warwick a sonné l’alarme dans le cadre d’une conférence ayant pour thème la « mixité scolaire et sociale », organisée par le Centre de transfert pour la réussite scolaire.

« Je suis enseignant au secondaire et j’ai de plus en plus le sentiment d’être un vendeur de programmes. Il y a beaucoup d’énergie qui est mise là-dedans », a relevé Étienne Bergeron, enseignant en univers social qui enseigne tant aux élèves des programmes particuliers qu’à ceux des programmes ordinaires.

Les élèves les plus vulnérables font les frais de cette séparation, croit-il. « Ce sont les voyages qui m’ont fait prendre conscience de ça il y a deux ans », dit l’enseignant.

« Les élèves des programmes particuliers allaient faire un grand voyage tandis que les élèves du régulier n’avaient aucune activité de fin d’année. Ce sont sans doute eux qui en auraient le plus bénéficié. »

— Étienne Bergeron

La présidente de la Fédération des comités de parents du Québec croit que la question est « l’éléphant blanc » dont personne ne parlait jusqu’à tout récemment. Il faut s’assurer que la société n’en vienne pas à voir ces programmes comme une voie de garage, estime-t-elle. « Ça ne doit pas être vu comme un dernier choix. Au Québec, on a un très bon système d’éducation si on se compare à d’autres. Même la voie régulière en offre beaucoup plus », dit Corinne Payne.

L’instigatrice du groupe « Option Chomedey » est persuadée que les écoles secondaires de quartier peuvent répondre aux besoins de tous les élèves.

« Il faut préserver l’école pour tous. Nos enfants vont être en compétition pendant toute leur vie, dit Julie Verdy. Le petit croche dans ma ruelle, je veux qu’il ait une aussi bonne, sinon une meilleure, éducation que celle de mon fils. Est-ce qu’on offre le meilleur au régulier pour les enfants ? Il faut se poser cette question. »

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