Chronique

La première manche à Mulcair

Le Canada est (probablement) en déficit et en récession ; le secteur pétrolier est en crise ; les questions environnementales préoccupent les Canadiens plus que jamais ; nous sommes au début d’une longue campagne électorale pour choisir (ou reconduire) un gouvernement et qu’est-ce qui a causé le plus d’étincelles hier soir lors du premier débat des chefs fédéraux ? Le seuil acceptable d’un Oui lors d’un hypothétique prochain référendum sur l’avenir constitutionnel du Québec.

On a beau essayer de trouver de nouvelles formules pour les débats des chefs, il semble qu’on aura toujours bien du mal à passer à autre chose. Pas que l’unité du Canada ne soit pas importante pour un candidat au poste de premier ministre, mais à moins que j’aie manqué quelque chose de très important ces derniers jours, il n’y a pas de référendum sur l’avenir du Québec au menu politique dans un avenir prévisible.

Les échanges les plus animés ont pourtant porté sur cette question. C’est Gilles Duceppe, qui n’était même pas invité à ce débat en anglais, qui doit être content. Les leaders des partis fédéralistes qui se querellent sur le seuil acceptable d’un Oui, qui parlent de la Cour suprême, qui évoquent le spectre de la « séparation », c’est tout de même surréaliste. À un moment donné, Stephen Harper a même lancé à Thomas Mulcair : « Vous lancez de l’huile sur un feu qui ne brûle même pas ! » Surréaliste, disais-je.

Donc, Gilles Duceppe a gagné le débat organisé par Maclean’s. Non, je blague (même si je pense que ce débat l’a bien servi). C’est Thomas Mulcair qui a gagné ce débat.

C’est Thomas Mulcair qui a asséné les coups les plus directs et les plus dommageables à son principal adversaire, le premier ministre sortant, Stephen Harper, qui, lui, a dû trouver la soirée plutôt longue.

M. Mulcair a réussi, d’abord, à faire dire à Stephen Harper que le Canada est en déficit. C’est gros, ça, puisque M. Harper ne veut surtout pas mener cette longue campagne sous le gros nuage du déficit. Attendez-vous à ce que le NPD utilise sans gêne cette admission (arrachée) de Stephen Harper.

Toujours sur le front de l’économie (le front qui intéresse vraiment les Canadiens), Thomas Mulcair a fait mouche contre son adversaire conservateur en répétant que le bilan économique du gouvernement conservateur est le pire de l’histoire du Canada.

M. Mulcair maîtrise l’art du « one liner », ces phrases assassines courtes. Celle-ci était efficace : « Nous allons faire tout ce que nous pouvons pour créer des emplois ici au Canada ; vous, M. Harper, vous faites tout ce que vous pouvez pour sauver le vôtre. »

En tant que meneur (selon les sondages) de cette campagne, Thomas Mulcair était aussi un joueur ciblé, hier soir. Il aura réussi, avec une certaine facilité, à s’en sortir sans trop souffrir des attaques des autres chefs.

Il faut dire que Stephen Harper était, sans surprise, la cible de toutes les attaques. Normal après presque une décennie au pouvoir.

Le premier ministre sortant n’a pas été mis K.-O., mais il a encaissé durement certains coups. Par moments, il était complètement absent. Par moments, il semblait exaspéré. Par moments, il répétait que le Canada fait mieux que les autres pays du G8.

M. Harper n’a pas brillé, mais depuis 2004, jamais M. Harper n’a gagné un débat des chefs et cela ne l’a pas empêché de gagner trois élections consécutives.

Justin Trudeau ?

Il a bien fait, pour une recrue sur qui pesaient des attentes immenses. Il semblait un peu nerveux (peut-on le blâmer ?), mais il a marqué quelques points et, surtout, il a tenu sa place. Ses militants peuvent repartir en campagne rassurés ce matin.

Il y a eu aussi Elizabeth May, qui a fait sentir sa présence. La chef du Parti vert nous avait particulièrement exaspérés avec son français de cours par correspondance, en 2011, mais hier elle a joué son rôle à merveille. Comme Françoise David lors des deux derniers débats des chefs au Québec : précise sur les dossiers, au-dessus des petites batailles partisanes et proche des électeurs.

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