Éditorial François Cardinal

Pour un BAPE sur le climat

Difficile de mieux résumer l’état du débat climatique au pays…

D’un côté, la une du magazine L’actualité met en vedette Justin Trudeau qui déclare « J’ai choisi mon camp » : celui de la lutte contre les populismes, de la défense des minorités et de la tarification de la pollution.

Et de l’autre, Maclean’s publie une photo des ténors du mouvement conservateur, avec Andrew Scheer en tête, avec un titre aux allures de slogan électoral : « La résistance ». Celle qui s’organise en « alliance » pour bloquer à tout prix la « taxe carbone » des libéraux.

Il y aurait tant à dire sur le caractère réactionnaire de cette mise en scène de cinq hommes blancs en colère, sourcils froncés, qui se tiennent debout au nom du droit sacré et fondamental de polluer gratuitement…

Mais attardons-nous au positif un instant : ce qui retient surtout l’attention, c’est l’absence de François Legault aux côtés des premiers ministres de l’Ontario, du Manitoba et de la Saskatchewan.

Une absence qui confirme que le premier ministre du Québec a choisi, bien que tardivement, le camp des volontaires plutôt que celui des réfractaires.

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Bien sûr, ce n’est qu’un indice mineur qui, en soi, ne dit pas grand-chose. Mais soyons indulgents : il s’ajoute à d’autres indices qui s’accumulent depuis le fameux mea culpa du premier ministre Legault, qui a récemment promis d’en « faire plus » pour lutter contre le réchauffement climatique.

Pensons à l’appui personnel qu’a donné M. Legault à Justin Trudeau et à son plan de tarification du carbone, quelques jours après sa victoire.

Pensons à la priorité accordée aux acteurs importants du mouvement environnemental dans le cadre des premières rencontres du premier ministre. C’est ce qui explique la rapidité avec laquelle il s’est assis, hier, avec l’instigateur du Pacte pour la transition, Dominic Champagne.

Ou pensons à la présence d’un député et de trois ministres, aujourd’hui, à la marche sur le climat qui aura lieu dans les rues de Montréal.

Bien sûr, on est davantage dans les symboles que dans les gestes. Mais ça demeure un pas significatif en avant pour un parti, en campagne électorale, qui ne parlait d’environnement que pour mieux le détruire. On n’en avait que pour les autoroutes, la bétonisation des milieux humides et le retour des « skidoo » dans un parc national…

De toute évidence, il faudra plus qu’une main tendue pour prouver que l’épiphanie environnementale de la CAQ est plus qu’une opération marketing. Il faudra, en fait, que François Legault frappe un grand coup…

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Bien beau, les conversions spontanées, mais elles ont un impact réel. Au lendemain de son élection, le gouvernement voit bien que l’intérêt pour l’environnement augmente. Il sent la pression pour faire quelque chose. Il se dit même sincèrement prêt à passer à l’action, mais il n’a rien qui ressemble de près ou de loin à un début de plan climat.

Pire : il a nommé une ministre qui ne semble pas maîtriser le b.a.-ba de l’environnement.

C’est d’ailleurs ce qui explique la priorité mise sur les rencontres avec les écologistes : le gouvernement veut approfondir la question et se trouver, par le fait même, un « agenda climat ».

Que faire dans pareil cas pour éviter d’agir dans la précipitation en s’appropriant quelques idées racoleuses ? Une option originale s’offre au gouvernement : lancer une vaste consultation publique sur le climat, chapeautée par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement.

Il s’agit dans les faits d’une « consultation spéciale », ce qu’on appelle dans le jargon un « BAPE générique ». Plutôt que de se contenter de scruter un projet particulier, les commissaires s’attaquent à un enjeu d’intérêt public de manière large et approfondie, comme ils l’ont fait dans le passé pour l’eau, la production porcine et la gestion des déchets.

Cette idée, défendue par Karel Maynard de la Fondation David Suzuki, a un double mérite. Elle permettrait, d’abord, de faire œuvre pédagogique, en plus de canaliser l’effervescence citoyenne qu’on sent croître au Québec depuis l’été, notamment autour de ce Pacte pour la transition lancé jeudi dernier.

Et elle déboucherait non seulement sur un agenda stratégique et des priorités d’action, mais aussi sur une plus grande acceptabilité sociale de ces mêmes mesures. N’oublions pas qu’un gouvernement va aller aussi loin que la population lui permet de le faire.

Bien sûr, cette commission aurait le désavantage de retarder l’implantation d’actions urgentes, mais au moins, au bout de l’exercice, le Québec aurait une idée beaucoup plus précise du chemin à prendre pour atteindre ses objectifs.

Car voilà ce qui manque aujourd’hui au gouvernement Legault : un plan, des mesures, des priorités. Précisément ce qui lui permettra de se démarquer des ténors conservateurs de la « résistance », qui affirment tous vouloir agir sur l’environnement, mais qui n’ont jamais rien à proposer de concret.

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