COMMANDITÉ

Planter sa tente en pleine tourmente

Selon à qui vous demandez, le camping, c’est des vacances de rêve ou l’enfer sur terre. Mais quand c’est Face aux vents qui l’organise, c’est aussi de la thérapie. Rencontre avec son fondateur Jean-Philippe Leblanc, qui amène des jeunes adultes souffrant de troubles de santé mentale dans le bois.

Ce n’était pas la première fois que Jean-Philippe Leblanc défiait la grande faucheuse, mais cette fois-ci, c’était du sérieux. Pendant un voyage d’alpinisme au Yukon, il a glissé et il s’est retrouvé pendu dans le vide. Les pieds ballants au-dessus de sa propre fin, il s’accrochait à une simple corde en nylon. Bien que d’autres grimpeurs eussent tenté de le retenir en haut de la falaise, cette corde restait l’unique chose qui le rattachait au monde des vivants. N’en tenait plus qu’à lui de se tirer vers le haut plutôt que de se laisser aller vers une mort certaine.

Ce sentiment, Louis (prénom fictif), 22 ans, le vit souvent — chaque fois que les voix dans sa tête l’implorent de mettre fin à ses jours. Louis valse avec la mort depuis qu’il a reçu son diagnostic de schizophrénie de type paranoïde, il y a deux ans. Lorsqu’il a entendu le récit de Jean-Philippe, assis autour du feu avec trois autres jeunes adultes qui, comme lui, ont souvent des hallucinations auditives, il a réalisé que ce n’est pas aux autres de le tirer du gouffre des idées sombres. C’est à lui d’empoigner la corde qui le maintient en vie et de se hisser jusqu’à la terre ferme.

Le vent qui se lève

Géographe de formation, boulanger de profession et aventurier de cœur, Jean-Philippe Leblanc était guide pour l’agence de voyages d’aventure Karavaniers lorsqu’il a décidé qu’il était temps pour lui de mettre l’épaule à cette roue un peu carrée de notre société et de participer au bien commun. Sa copine psychiatre l’avait sensibilisé à la cause des jeunes souffrant de troubles de santé mentale, et il a eu envie d’en emmener quelques-uns jouer dehors. Voilà comment Face aux vents est né.

Depuis 2012, il guide des groupes d’une dizaine de jeunes adultes de 18 à 30 ans qui souffrent de troubles de santé mentale – accompagnés de leurs intervenants – en camping et dans d’autres activités de plein air. Les intervenants s’occupent du volet thérapeutique. Jean-Philippe, lui, a pour mandat de les faire tripper. Le but, comme avec toutes les thérapies d’aventure : sortir ces jeunes de leur routine, favoriser leur autonomie et améliorer leur confiance en soi en les amenant à se dépasser, à relever des défis et à se faire des amis. Et, bien sûr, créer des souvenirs mémorables.

Semeur d’action

Une des premières techniques qu’un jeune apprend pour faire diminuer les hallucinations, c’est l’action. Garder les mains occupées empêche le cerveau de trop rouler. Ça tombe bien : en camping, il y a toujours quelque chose à faire. La première journée d’une expédition est dédiée au montage du camp. Une fois les tentes installées, les limites établies et le feu allumé, tout le monde s’attroupe sur des souches couvertes de mousse et échange… ou pas.

Ça a l’air de rien, mais pour ces jeunes, partir dans la nature, c’est tout un défi. Entre autres, la perte des repères et l’isolement avec une gang d’inconnus augmente les risques de crise aiguë. C’est pourquoi l’organisme vise avant tout à créer un environnement sécuritaire et un climat de confiance. Chaque expédition est donc préparée minutieusement  six semaines avant le départ.

Mais l’imprévu peut quand même survenir — comme la fois où un participant a vécu d’importants symptômes schizophréniques paranoïdes. « Le voyage a été difficile, raconte Jean-Philippe, mais hyper positif, puisque ça a permis à l’intervenant de mieux adapter ses traitements par la suite. »

Jean-Philippe Leblanc sait qu’il ne sera jamais témoin d’une transformation soudaine. « Ce n’est pas une renaissance. La nature n’est pas magique. » Avec Louis — qui a décidé de se tirer du trou en écoutant son récit-catastrophe — comme avec tous les autres, il a semé une graine qu’il ne verra jamais fleurir.

Quand même, ce ne sont pas les beaux moments qui manquent. À force de s’assurer à l’escalade et de ramer à l’unisson en canot, les jeunes font naître un climat de solidarité. Ils sont aussi pas mal contents quand ils réussissent à descendre une cascade de 10 mètres, mettons. « Tu ne pensais jamais être capable. Il y a une belle lueur dans tes yeux… T’es fier de toi ! Maintenant, tu as une histoire à raconter et une réussite sur laquelle construire. » Juste pour ça, pour Jean-Philippe, ça vaut la peine de continuer.

Texte Caroline Vincent

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