Le terme « hyperbare » ne fait habituellement pas partie des premiers mots qu’apprennent les enfants – encore moins de ceux qui suscitent leur excitation. Mais lorsque Charles-Antoine Sévigny demande à sa fille Laura, deux ans et demi, si elle veut « faire l’hyperbare », la puce s’illumine et hoche la tête avec enthousiasme, en faisant osciller ses petites couettes blondes.
Le papa et sa fille se glissent dans un gros tube aux allures de sous-marin gonflable qui occupe presque tout l’espace libre de la chambre des parents. Un livre de Dora l’exploratrice et quelques autres les suivent à l’intérieur. M. Sévigny referme le toit de l’habitacle au-dessus de sa tête, puis actionne un compresseur qui se met à bourdonner. Les parois du tube se tendent à mesure que la pression à l’intérieur augmente. Charles-Antoine Sévigny et sa fille passeront une heure et vingt minutes dans l’habitacle, à une pression de 1,3 atmosphère.
« On fait une séance le matin avant que je parte travailler, puis une autre le soir. On essaie d’en faire le plus possible avant qu’il fasse trop chaud. Et j’ai remarqué que quand on condense les séances avec Laura, il se passe plus de choses », dit M. Sévigny, rencontré dans son appartement du Plateau Mont-Royal par un matin du mois de mai.
Ce à quoi nous assistons est un traitement en chambre hyperbare. La petite Laura est atteinte de paralysie cérébrale. Sa naissance, raconte son père, a été « catastrophique ». Une rupture du placenta, heureusement survenue à l’hôpital, aurait pu s’avérer fatale à la fois pour la mère et pour le bébé. Le pire a été évité, mais la petite Laura a manqué de sang pendant un moment. Ses reins et son cerveau ont subi des dommages.
Sur l’échelle de gravité qui décrit les limitations motrices provoquées par la paralysie cérébrale, Laura a un niveau de 3 sur 5. Mais deux semaines avant notre rencontre, elle a commencé à se déplacer à quatre pattes.
« On est tranquillement en train de l’amener à 2 [sur 5]. Et j’ai bon espoir qu’on va être capables de l’amener à 1 », dit son père. Selon lui, ses progrès s’expliquent par un facteur principal : les séances en chambre hyperbare.
Une vieille controverse
Le traitement en chambre hyperbare pour la paralysie cérébrale n’est pourtant pas reconnu par la communauté médicale. La question, en fait, soulève la controverse depuis 20 ans. Dans les années 90, une rumeur se répand parmi les parents d’enfants atteints de la maladie : en Angleterre, des médecins placent les petits malades dans des chambres à haute pression et obtiennent des améliorations étonnantes. En 1998, une mère québécoise, Claudine Lanoix, organise une collecte de fonds et fait le voyage avec ses jumeaux.
À l’époque, le physiatre Pierre Marois suit les jumeaux en question.
« J’avais examiné les enfants avant et je les ai examinés après. L’un des deux ne tenait pas assis avant de partir. Au retour, il tenait assis pour la première fois de sa vie. L’autre n’avait jamais réussi à marcher sans orthèses, et là, il parvenait à faire des pas. On parle d’enfants de 5 ans, dont la progression naturelle est limitée », raconte aujourd’hui le Dr Marois.
L’histoire est couverte par les médias. Et elle ne passe pas inaperçue auprès des milliers de parents canadiens dont les enfants souffrent de paralysie cérébrale.
« Tout d’un coup, c’est le Klondike, la ruée vers l’or : tout le monde veut aller en Angleterre. Les gens sont prêts à hypothéquer leur maison et à vendre leur auto pour y aller. »
— Le Dr Pierre Marois
Devant le phénomène, le Dr Marois s’allie à Michel Vanasse, à l’époque chef du service de neurologie à l’hôpital Sainte-Justine, et rédige un protocole de recherche destiné à répondre à une question en apparence simple : les traitements hyperbares sont-ils vraiment efficaces contre la paralysie cérébrale ?
« Nous, on était sûrs qu’on ne verrait rien. Mais il fallait donner des réponses aux parents », dit le Dr Marois. Cette étude finira par être menée. Mais dire qu’elle n’a pas mis fin aux questions est un euphémisme. Aujourd’hui, 17 ans après sa publication dans la prestigieuse revue The Lancet, ses auteurs s’entredéchirent sur la façon dont elle a été menée et sur l’interprétation de ses résultats (voir le quatrième onglet).
Un communiqué qui tranche
Le gouvernement du Québec, en tout cas, choisit son camp. Dans un communiqué publié en 2001 par le Fonds de recherche en santé du Québec (FRSQ), il conclut que la thérapie hyperbare « n’apporte aucun effet thérapeutique chez les enfants atteints de paralysie cérébrale ». Cette conclusion mettra plus ou moins le couvercle sur la marmite.
En 2007, l’organisme québécois chargé d’évaluer si les bénéfices d’un traitement en justifient les coûts pour le régime public se penche sur la question. Ce qui s’appelle alors l’Agence d’évaluation des technologies et des modes d’intervention en santé (AETMIS), devenue depuis l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS), fait une interprétation moins tranchée que le FRSQ de l’étude québécoise.
« Les résultats de l’étude québécoise réalisée en 2000 indiquent toutefois qu’il est possible que l’hyperbarie ou l’oxygénothérapie soient associées à des améliorations significatives de l’état des enfants aux chapitres de la fonction motrice, des fonctions neuropsychologiques, du langage et de la performance fonctionnelle », écrit alors l’AETMIS. Devant le flou scientifique, l’agence recommande que « cette question fasse l’objet d’un nouveau projet québécois de recherche subventionné dans le contexte d’une collaboration canadienne ou internationale ».
Cette recommandation ne sera pas suivie. Aujourd’hui, en l’absence de preuves claires, la thérapie hyperbare n’est donc pas remboursée aux patients atteints de paralysie cérébrale. La famille de la petite Laura, par exemple, s’est jointe à une autre famille pour partager les coûts d’une chambre hyperbare d’occasion qui fait depuis l’aller-retour entre deux maisons. Somme déboursée : 20 000 $.
Des crédits d’impôt sont accordés pour de tels achats. Mais Charles-Antoine Sévigny souligne que plusieurs familles ne peuvent débourser de telles sommes.
« Le résultat est que les gens font des collectes de fonds. Mais certains peuvent récolter 10 000 $ en un mois alors que d’autres ont à peine 1000 $. Ça dépend de l’entourage et du contexte de chacun. C’est d’une tristesse inouïe, et ça m’apparaît une injustice assez profonde », dit M. Sévigny, qui parle d’un « déni de soins ».
« On nous prend pour des caves », laisse tomber M. Sévigny, qui est porte-parole du regroupement de parents Paralysie cérébrale : Intervention précoce et traitement hyperbare. Physiothérapie, ergothérapie, piscine : les parents essaient toutes sortes de choses pour leurs enfants.
« On voit bien ce qui marche et ce qui ne marche pas. Les gens mettent leur argent et leur temps dans l’hyperbare. Si ça ne fonctionnait pas, je pense qu’on en serait venus à une sorte de constat collectif et qu’on aurait arrêté. »
— Charles-Antoine Sévigny
Un réexamen
Le feuilleton a connu un rebond inattendu ce printemps quand la Coalition avenir Québec a promis d’offrir le traitement gratuitement à 400 patients dans le cadre d’un projet-pilote si elle est élue. Questionné en Chambre par le député caquiste François Paradis, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, a promis de confier à l’INESSS le mandat de réévaluer la question. « Je suis tout à fait disposé à demander à l’INESSS puisque c’était déjà sur notre carnet de projets », a-t-il dit.
Le 20 avril, un mandat a bel et bien été confié à l’INESSS, qui épluchera donc les études scientifiques pour voir s’il convient de rembourser le traitement hyperbare aux patients atteints de paralysie cérébrale. Le rapport qui en découlera, fort attendu, pourrait finalement trancher une question qui alimente la controverse depuis deux décennies.
D’autres études
Une poignée d’études a été réalisée depuis la fameuse étude québécoise de 2000. La plus intéressante est sans doute celle dirigée par le médecin Arun Mukherjee, en Inde, et publiée en 2014. Au total, 150 enfants atteints de paralysie cérébrale ont été séparés en quatre groupes qui recevaient les traitements suivants :
groupe 1 : aucun traitement hyperbare
groupe 2 : traitements à 1,3 atmosphère et 21 % d’oxygène (air normal)
groupe 3 : traitements à 1,5 atmosphère et 100 % d’oxygène
groupe 4 : traitements à 1,75 atmosphère et 100 % d’oxygène
résultats
Les chercheurs ont conclu que les groupes 2, 3 et 4 avaient fait des progrès « significativement supérieurs » au premier groupe.
De 2 à 3 enfants
par tranche de 1000 naissances sont touchés par la paralysie cérébrale dans les pays développés.