Chambres hyperbares

Lueur d'espoir pour les enfants malades

Des parents qui paient des milliers de dollars pour des traitements que le gouvernement refuse de rembourser. Des médecins et des chercheurs qui s’affrontent sur l’interprétation des données scientifiques. Un ministre qui vient de lancer un réexamen du dossier. Les chambres hyperbares peuvent-elles aider les enfants atteints de paralysie cérébrale ? Le dénouement de cette saga reste encore à écrire.

UN DOSSIER DE PHILIPPE MERCURE

Un sous-marin gonflable dans la chambre à coucher

Le terme « hyperbare » ne fait habituellement pas partie des premiers mots qu’apprennent les enfants – encore moins de ceux qui suscitent leur excitation. Mais lorsque Charles-Antoine Sévigny demande à sa fille Laura, deux ans et demi, si elle veut « faire l’hyperbare », la puce s’illumine et hoche la tête avec enthousiasme, en faisant osciller ses petites couettes blondes.

Le papa et sa fille se glissent dans un gros tube aux allures de sous-marin gonflable qui occupe presque tout l’espace libre de la chambre des parents. Un livre de Dora l’exploratrice et quelques autres les suivent à l’intérieur. M. Sévigny referme le toit de l’habitacle au-dessus de sa tête, puis actionne un compresseur qui se met à bourdonner. Les parois du tube se tendent à mesure que la pression à l’intérieur augmente. Charles-Antoine Sévigny et sa fille passeront une heure et vingt minutes dans l’habitacle, à une pression de 1,3 atmosphère.

« On fait une séance le matin avant que je parte travailler, puis une autre le soir. On essaie d’en faire le plus possible avant qu’il fasse trop chaud. Et j’ai remarqué que quand on condense les séances avec Laura, il se passe plus de choses », dit M. Sévigny, rencontré dans son appartement du Plateau Mont-Royal par un matin du mois de mai.

Ce à quoi nous assistons est un traitement en chambre hyperbare. La petite Laura est atteinte de paralysie cérébrale. Sa naissance, raconte son père, a été « catastrophique ». Une rupture du placenta, heureusement survenue à l’hôpital, aurait pu s’avérer fatale à la fois pour la mère et pour le bébé. Le pire a été évité, mais la petite Laura a manqué de sang pendant un moment. Ses reins et son cerveau ont subi des dommages.

Sur l’échelle de gravité qui décrit les limitations motrices provoquées par la paralysie cérébrale, Laura a un niveau de 3 sur 5. Mais deux semaines avant notre rencontre, elle a commencé à se déplacer à quatre pattes.

« On est tranquillement en train de l’amener à 2 [sur 5]. Et j’ai bon espoir qu’on va être capables de l’amener à 1 », dit son père. Selon lui, ses progrès s’expliquent par un facteur principal : les séances en chambre hyperbare.

Une vieille controverse

Le traitement en chambre hyperbare pour la paralysie cérébrale n’est pourtant pas reconnu par la communauté médicale. La question, en fait, soulève la controverse depuis 20 ans. Dans les années 90, une rumeur se répand parmi les parents d’enfants atteints de la maladie : en Angleterre, des médecins placent les petits malades dans des chambres à haute pression et obtiennent des améliorations étonnantes. En 1998, une mère québécoise, Claudine Lanoix, organise une collecte de fonds et fait le voyage avec ses jumeaux.

À l’époque, le physiatre Pierre Marois suit les jumeaux en question.

« J’avais examiné les enfants avant et je les ai examinés après. L’un des deux ne tenait pas assis avant de partir. Au retour, il tenait assis pour la première fois de sa vie. L’autre n’avait jamais réussi à marcher sans orthèses, et là, il parvenait à faire des pas. On parle d’enfants de 5 ans, dont la progression naturelle est limitée », raconte aujourd’hui le Dr Marois.

L’histoire est couverte par les médias. Et elle ne passe pas inaperçue auprès des milliers de parents canadiens dont les enfants souffrent de paralysie cérébrale.

« Tout d’un coup, c’est le Klondike, la ruée vers l’or : tout le monde veut aller en Angleterre. Les gens sont prêts à hypothéquer leur maison et à vendre leur auto pour y aller. »

— Le Dr Pierre Marois

Devant le phénomène, le Dr Marois s’allie à Michel Vanasse, à l’époque chef du service de neurologie à l’hôpital Sainte-Justine, et rédige un protocole de recherche destiné à répondre à une question en apparence simple : les traitements hyperbares sont-ils vraiment efficaces contre la paralysie cérébrale ?

« Nous, on était sûrs qu’on ne verrait rien. Mais il fallait donner des réponses aux parents », dit le Dr Marois. Cette étude finira par être menée. Mais dire qu’elle n’a pas mis fin aux questions est un euphémisme. Aujourd’hui, 17 ans après sa publication dans la prestigieuse revue The Lancet, ses auteurs s’entredéchirent sur la façon dont elle a été menée et sur l’interprétation de ses résultats (voir le quatrième onglet).

Un communiqué qui tranche

Le gouvernement du Québec, en tout cas, choisit son camp. Dans un communiqué publié en 2001 par le Fonds de recherche en santé du Québec (FRSQ), il conclut que la thérapie hyperbare « n’apporte aucun effet thérapeutique chez les enfants atteints de paralysie cérébrale ». Cette conclusion mettra plus ou moins le couvercle sur la marmite.

En 2007, l’organisme québécois chargé d’évaluer si les bénéfices d’un traitement en justifient les coûts pour le régime public se penche sur la question. Ce qui s’appelle alors l’Agence d’évaluation des technologies et des modes d’intervention en santé (AETMIS), devenue depuis l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS), fait une interprétation moins tranchée que le FRSQ de l’étude québécoise.

« Les résultats de l’étude québécoise réalisée en 2000 indiquent toutefois qu’il est possible que l’hyperbarie ou l’oxygénothérapie soient associées à des améliorations significatives de l’état des enfants aux chapitres de la fonction motrice, des fonctions neuropsychologiques, du langage et de la performance fonctionnelle », écrit alors l’AETMIS. Devant le flou scientifique, l’agence recommande que « cette question fasse l’objet d’un nouveau projet québécois de recherche subventionné dans le contexte d’une collaboration canadienne ou internationale ».

Cette recommandation ne sera pas suivie. Aujourd’hui, en l’absence de preuves claires, la thérapie hyperbare n’est donc pas remboursée aux patients atteints de paralysie cérébrale. La famille de la petite Laura, par exemple, s’est jointe à une autre famille pour partager les coûts d’une chambre hyperbare d’occasion qui fait depuis l’aller-retour entre deux maisons. Somme déboursée : 20 000 $.

Des crédits d’impôt sont accordés pour de tels achats. Mais Charles-Antoine Sévigny souligne que plusieurs familles ne peuvent débourser de telles sommes.

« Le résultat est que les gens font des collectes de fonds. Mais certains peuvent récolter 10 000 $ en un mois alors que d’autres ont à peine 1000 $. Ça dépend de l’entourage et du contexte de chacun. C’est d’une tristesse inouïe, et ça m’apparaît une injustice assez profonde », dit M. Sévigny, qui parle d’un « déni de soins ».

« On nous prend pour des caves », laisse tomber M. Sévigny, qui est porte-parole du regroupement de parents Paralysie cérébrale : Intervention précoce et traitement hyperbare. Physiothérapie, ergothérapie, piscine : les parents essaient toutes sortes de choses pour leurs enfants.

« On voit bien ce qui marche et ce qui ne marche pas. Les gens mettent leur argent et leur temps dans l’hyperbare. Si ça ne fonctionnait pas, je pense qu’on en serait venus à une sorte de constat collectif et qu’on aurait arrêté. »

— Charles-Antoine Sévigny

Un réexamen

Le feuilleton a connu un rebond inattendu ce printemps quand la Coalition avenir Québec a promis d’offrir le traitement gratuitement à 400 patients dans le cadre d’un projet-pilote si elle est élue. Questionné en Chambre par le député caquiste François Paradis, le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, a promis de confier à l’INESSS le mandat de réévaluer la question. « Je suis tout à fait disposé à demander à l’INESSS puisque c’était déjà sur notre carnet de projets », a-t-il dit.

Le 20 avril, un mandat a bel et bien été confié à l’INESSS, qui épluchera donc les études scientifiques pour voir s’il convient de rembourser le traitement hyperbare aux patients atteints de paralysie cérébrale. Le rapport qui en découlera, fort attendu, pourrait finalement trancher une question qui alimente la controverse depuis deux décennies.

D’autres études

Une poignée d’études a été réalisée depuis la fameuse étude québécoise de 2000. La plus intéressante est sans doute celle dirigée par le médecin Arun Mukherjee, en Inde, et publiée en 2014. Au total, 150 enfants atteints de paralysie cérébrale ont été séparés en quatre groupes qui recevaient les traitements suivants :

groupe 1 : aucun traitement hyperbare

groupe 2 : traitements à 1,3 atmosphère et 21 % d’oxygène (air normal)

groupe 3 : traitements à 1,5 atmosphère et 100 % d’oxygène

groupe 4 : traitements à 1,75 atmosphère et 100 % d’oxygène 

résultats

Les chercheurs ont conclu que les groupes 2, 3 et 4 avaient fait des progrès « significativement supérieurs » au premier groupe.

De 2 à 3 enfants

par tranche de 1000 naissances sont touchés par la paralysie cérébrale dans les pays développés.

Le traitement hyperbare sous la loupe

Plusieurs phénomènes surviennent quand un être humain s’installe dans une chambre hyperbare, et ils sont loin d’être tous parfaitement compris. Coup d’œil.

Pression

C’est l’idée même d’une chambre hyperbare : on y fait grimper la pression au-delà de celle ressentie dans la vie de tous les jours. On calcule généralement cette pression en fonction de la pression moyenne qui règne au niveau de la mer et qui équivaut à 1 atmosphère. Un traitement à 1,75 atmosphère signifie que la pression dans la chambre est de 75 % supérieure à la pression normale.

L’effet de la pression dans les chambres hyperbares est notamment utilisé pour traiter les plongeurs qui souffrent d’accidents de décompression. Certains chercheurs croient aussi que la pression pourrait avoir des effets sur les cellules du corps et sur certains gènes.

Oxygène

L’intérêt pour les chambres hyperbares vient surtout du fait que la pression influence la quantité d’oxygène qui peut être transportée dans le sang. C’est une conséquence de la loi de Henry : la quantité de gaz pouvant être dissoute dans un liquide est proportionnelle à la pression. À pression normale, ce sont surtout nos globules rouges qui transportent l’oxygène. Lorsqu’on augmente la pression, de l’oxygène est aussi dissous dans le plasma du sang. Pour maximiser l’effet, on fait souvent respirer de l’oxygène pur aux patients qui sont en chambre hyperbare. Cela permet par exemple d’alimenter en oxygène des zones nécrosées où l’oxygène a de la difficulté à se rendre dans des conditions normales.

Les conditions

L’Undersea & Hyperbolic Medical Society, une association qui regroupe 2000 médecins et scientifiques du monde entier, reconnaît 14 indications pour lesquelles le traitement hyperbare est recommandé. On y trouve notamment :

– L’embolie gazeuse

– L’intoxication au monoxyde de carbone

– L’insuffisance artérielle

– La gangrène gazeuse

– Les infections nécrosantes des tissus mous

La paralysie cérébrale ne figure pas dans cette liste.

Populaire chez les athlètes

De nombreux athlètes et équipes sportives utilisent les chambres hyperbares à la suite de blessures ou simplement pour mieux récupérer entre deux entraînements. Parmi les adeptes qui ont utilisé ou utilisent toujours les chambres hyperbares, on compte :

– Le joueur de tennis Novak Djokovic

– Le nageur Michael Phelps

– Le joueur de basketball LeBron James

– L’équipe canadienne de patinage de vitesse

Une étude controversée

Le traitement hyperbare améliore-t-il la condition des enfants atteints de paralysie cérébrale ? L’étude québécoise lancée en 2000 sur 111 enfants qui devait trancher la question a plutôt déclenché une gigantesque controverse. Retour sur les principaux points de discorde.

Financement

Le physiatre Pierre Marois a obtenu 1,4 million directement du ministère de la Recherche pour financer l’étude, sans passer par le Fonds de recherche en santé du Québec (FRSQ) qui accorde des subventions.

« Je ne pouvais pas passer par un processus de quatre ans et lécher les bottes de tout le monde. Il fallait des réponses », justifie le Dr Marois, qui croit que le FRSQ s’est alors senti « tassé ».

« Ils se sont dit : “Vous allez y goûter, mes maudits.” Ce n’était pas une question de sous, c’était une question de pouvoir », dit-il.

Le FRSQ, devenu depuis le Fonds de recherche du Québec – Santé (FRQS), nie cette interprétation.

« Oui, on aime que l’argent passe chez nous, mais le Ministère peut décider qu’il y a une problématique et commander une étude. On comprend très bien qu’il y a parfois des urgences », dit Serge Marchand, directeur scientifique du FRQS, qui n’était pas en poste à l’époque de l’étude sur le traitement hyperbare.

Chercheur en chef

Le gouvernement a nommé Jean-Paul Collet, alors expert des études cliniques à l’Institut Davis de l’Hôpital général juif, pour diriger l’étude.

« Il ne connaissait rien en paralysie cérébrale et rien en hyperbare. La première chose qu’il nous a dite, c’est qu’il ne croyait pas à ça », dit le Dr Marois, qui estime que cette nomination visait à « saboter » l’étude.

Le Dr Collet, aujourd’hui chercheur au BC Children’s Hospital, à Vancouver, affirme plutôt que ce sont les médecins à l’origine de l’étude qui n’étaient pas neutres.

« Souvent, dans les causes difficiles comme celle-là, les médecins deviennent des défenseurs des familles, dit-il. Ils avaient tous un énorme espoir, pratiquement une conviction que l’essai clinique randomisé allait être une simple formalité qui allait montrer qu’il y a un effet. »

Groupe contrôle

Les Drs Marois et Vanasse avaient prévu séparer les enfants en trois groupes : le premier à une pression de 1,75 atmosphère avec 100 % d’oxygène, le deuxième à 1,3 atmosphère avec 21 % d’oxygène (air normal) et le troisième à pression et air normaux pour servir de groupe contrôle. Le Dr Collet a toutefois supprimé ce troisième groupe. Il explique aujourd’hui qu’un patient exposé à une atmosphère normale sait qu’il ne reçoit aucun traitement car il ne ressent pas la pression et ne peut donc pas servir de placebo.

« Ils faisaient tout pour scrapper cette recherche-là, ce n’est pas compliqué », estime plutôt le Dr Marois.

Résultats

Au terme de la recherche, surprise : l’état tant des enfants soumis à un traitement de 1,75 atmosphère que de ceux soumis à 1,3 atmosphère s’était amélioré « substantiellement ». Première interprétation possible : les deux traitements sont efficaces. Deuxième interprétation : le traitement à 1,75 atmosphère est inefficace puisqu’il n’est pas meilleur que celui à 1,3 atmosphère, qu’on prévoyait sans effet. Dans ce cas, l’amélioration des deux groupes serait due à un simple « effet de participation » (les enfants et leurs parents auraient été stimulés du simple fait de participer à l’étude). Dans l’article publié dans The Lancet, les auteurs présentent ces deux hypothèses. Ils favorisent l’effet de participation, en plaidant que la condition à 1,3 atmosphère n’a jamais été considérée comme un traitement et qu’un simple masque à oxygène peut fournir le même apport en oxygène.

Communiqué

En 2001, le FRSQ publie un communiqué de presse pour présenter les résultats de l’étude. La thérapie hyperbare « n’apporte aucun effet thérapeutique chez les enfants atteints de paralysie cérébrale », tranche- t-il. L’hypothèse que les deux traitements sont efficaces n’y figure pas.

Le groupe soumis à une pression de 1,3 atmosphère y est décrit comme un « placebo ». Or, des échanges entre les auteurs et la revue The Lancet montrent que cette dernière a demandé explicitement que ce groupe ne soit pas désigné comme un placebo, car il était possible qu’il bénéficie d’un effet réel. « Je pense qu’ils n’auraient pas dû utiliser le mot “placebo” », convient aujourd’hui Serge Marchand.

Le communiqué affirme aussi que l’étude publiée dans The Lancet s’intitule « L’oxygène à haute pression n’offre aucun bénéfice pour le traitement des enfants atteints de paralysie cérébrale ». Or, le véritable titre est beaucoup plus neutre et se traduit par : « L’oxygène à haute pression pour les enfants atteints de paralysie cérébrale : une étude randomisée multicentrique ». Un communiqué de presse publié par The Lancet porte toutefois le titre repris par le FRSQ.

Malgré ces imprécisions, M. Marchand considère que le communiqué publié à l’époque reflète fidèlement l’étude.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.