PRESSE À POTINS

Bradjenlina
pourquoi cette fascination ?

Depuis près de 15 ans, la presse à potins persiste dans son obsession autour du trio Jennifer Aniston, Brad Pitt et Angelina Jolie. Qu’est-ce qui explique cette ahurissante longévité, qui défie les faits et la raison ? Il se pourrait bien que nous soyons encore dépendants des vieux mythes du couple hétéro, plutôt que de renouveler notre regard, selon deux spécialistes de l’Institut de recherches et d’études féministes de l’UQAM (IREF).

En janvier, le magazine américain In Touch a annoncé sur sa couverture que Jennifer Aniston et Brad Pitt allaient avoir un bébé. Le genre de titre irrésistible qui attire l’œil quand vous poireautez dans la file d’un magasin. « Hein, pas vrai ? », qu’on se dit. Bien sûr que ce n’est pas vrai, les fake news existent depuis longtemps dans la presse people, mais on ne peut s’empêcher de lire ces rumeurs. Tout récemment, c’était l’émoi lorsque les paparazzis ont réussi à croquer une photo de Brad arrivant à la grande fête pour le 50e anniversaire de Jennifer Aniston, célibataire depuis sa rupture avec Justin Theroux.

Brad Pitt et Jennifer Aniston ont divorcé en 2005, et les tabloïds continuent de les réunir, ou d’opposer Aniston et Angelina Jolie, présentée comme une voleuse de mari. Pourquoi ? « C’est un casting qu’on leur a donné, note Julie Ravary-Pilon, stagiaire postdoctorale à l’IREF. Cette histoire-là a frappé l’imaginaire, dans la mesure où on les avait déjà prédéfinis. Jennifer Aniston, c’est la girl next door blonde, la Rachel de Friends, l’enfant chérie, et arrive Angelina Jolie, la femme fatale, avec une réputation [elle a consommé de la drogue, serait bisexuelle, etc.], qui brise le couple. La table était mise, c’était déjà une histoire hollywoodienne. »

Une histoire où on doit choisir son camp entre #teamjen ou #teamangelina (cela a même donné des t-shirts). Quand Jolie et Pitt on annoncé leur séparation en 2016, les réseaux sociaux se sont remplis de montages photo montrant Aniston se réjouir de la nouvelle, comme si elle n’était jamais passée à autre chose.

« Ce sont deux archétypes de femmes qu’on a montées l’une contre l’autre », estime Sandrine Galand, chargée de cours à l’IREF, spécialisée dans la culture populaire. 

« D’un côté l’american sweetheart, l’actrice d’un seul rôle, celui de Rachel, de l’autre Angelina, la femme fatale. Elles ne sont pas ça, mais on a créé cette rivalité, et on parle peu de Brad Pitt là-dedans ! »

— Sandrine Galand, chargée de cours à l’IREF, spécialisée dans la culture populaire

Avec ces trois-là, on dirait que l’on recrée inlassablement la dynamique des bandes dessinées Archie, qui oppose la blonde et gentille Betty à la méchante brunette Veronica pour les beaux yeux du rouquin. « C’est un mythe qui remonte à loin, jusqu’aux contes de fées, croit Sandrine Galand. On est tout le temps dans des récits où il y a rivalité entre femmes, c’est repris dans les concours de beauté, les films pour adolescentes… » Et pendant ce temps-là, Brad Pitt peut raconter dans ses entrevues son cheminement personnel. « Il parle de reprendre le contrôle de sa vie depuis son divorce avec Jolie, note Ravary-Pilon. Alors que pour Jennifer, son divorce avec Pitt semble définir toute sa vie, lui, ça le fait cheminer, ça fait de lui un meilleur homme. »

FEMMES INGOUVERNABLES

Mais Jennifer Aniston comme Angelina Jolie résistent à l’histoire qu’on veut leur imposer, c’est ce que trouve intéressant Julie Ravary-Pilon. « Ce qui obsède autant les médias, c’est que ce sont des femmes ingouvernables, souligne-t-elle. Chacune a pris la parole et refuse de se faire dicter ce scénario. Jennifer Aniston a écrit une lettre en 2016 dans le Huffington Post, elle est hyper autoréflexive pour expliquer l’obsession des médias qui veulent la voir tomber enceinte, tandis qu’Angelina Jolie a parlé ouvertement de sa double mastectomie. »

Parlons-en, de la maternité chez Jennifer Aniston. On annonce au moins trois fois par année une future grossesse chez l’actrice. « C’est comme si elle avait perdu toutes ses chances d’être mère à partir du moment où elle a été laissée », dit Sandrine Galand, qui se souvient d’avoir eu cette impression en suivant cette histoire alors qu’elle était adolescente. « Ça disait presque qu’à 40 ans, notre vie est terminée, ça m’avait marquée. Comme si être mère était le seul devenir possible d’Aniston. Ce qui est terrible, c’est qu’on ramène tout à la maternité, avec toute la marmaille de Jolie qu’on oppose à Aniston qui n’en a pas. »

Dans sa lettre, Aniston rappelle ceci : « Si, d’une certaine façon, je symbolise quelque chose pour certaines personnes, alors je suis clairement un exemple de l’angle sous lequel nous, en tant que société, observons nos mères, filles, sœurs, épouses, amies et collègues féminines. »

« Il faut s’intéresser à la façon dont ces symboles-là de la maternité s’inscrivent dans ces discours, poursuit Julie Ravary-Pilon. On est encore dans l’image typique de la madone et de la putain, et dans cette histoire-là, la maternité hétérosexiste était davantage imaginée du côté de Jennifer. Cela participe d’une version peu nuancée de la féminité, qu’on ne veut pas complexe en fait et qu’on enfonce dans la gorge de Jen comme si elle n’avait rien d’autre à raconter. » 

« Dans cette mythologie hollywoodienne, plutôt que de se donner de nouveaux référents, on les réinvestit, jusqu’au dernier sou ! Ça en dit plus sur nous que sur elles. »

— Julie Ravary-Pilon, stagiaire postdoctorale à l’IREF

La tristesse là-dedans est qu’on refuse de sortir de ces archétypes et stéréotypes aliénants. « On entend encore que c’est dans la nature des femmes d’être rivales, et c’est ça qu’il faut absolument démonter, estime Sandrine Galand. C’est un système qui construit cette rivalité, on se le fait confirmer à l’école, au travail, dans les objets culturels. C’est pour ça que je trouve ce trio intéressant et représentatif. Comme si on était incapables de créer d’autres récits. » Et Galand de citer le fameux test de Bechdel, qui prouve que la plupart des œuvres de fiction qui mettent en scène des femmes n’arrivent pas à les représenter sans qu’il soit question entre elles d’un homme, éternel obstacle à l’amitié, à la connivence et à la solidarité qu’elles pourraient développer ensemble. De toute évidence, le trio infernal Bradjenlina ne passe pas ce test.

le triangle amoureux en 10 temps

1998

Jennifer Aniston et Brad Pitt se rencontrent.

2000

Mariage d’Aniston et de Pitt.

2004

Brad Pitt et Angelina Jolie tournent Mr. And Mrs. Smith.

2005

Rupture et divorce de Jennifer Aniston et de Brad Pitt, qui est en relation avec Angelina Jolie.

2008

Jennifer Aniston a une courte histoire avec John Mayer.

2011

Jennifer Aniston est en couple avec Justin Theroux.

2014

Mariage d’Angelina Jolie et de Brad Pitt, après 12 ans de vie commune.

2015

Mariage de Jennifer Aniston et de Justin Theroux.

2016

Séparation de Pitt et de Jolie, qui ont trois enfants biologiques et trois enfants adoptés.

2018

Divorce de Jennifer Aniston et de Justin Theroux.

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