« Il y a maintenant un risque de résurgence »

Récoltes anéanties, villes en ruine, résurgence du choléra : les Haïtiens ont constaté hier toute l’ampleur de la dévastation provoquée par l’ouragan Matthew mercredi, à mesure que les secours atteignaient péniblement les zones dévastées du sud-ouest du pays. Le nombre de victimes se compte par centaines et frôlerait même le millier de morts.

Ces sombres bilans variaient grandement selon les différentes instances du pays, aux prises avec une grande instabilité politique. Des officiels de la Direction de la protection civile haïtienne ont soutenu à l’agence Reuters qu’au moins 842 Haïtiens avaient perdu la vie dans l’ouragan de catégorie 4. Le gouvernement évoquait plutôt un bilan officiel de 280 victimes, tandis qu’un sénateur haïtien avançait le nombre de 400 victimes à l’Agence France-Presse. Au total, plus d’un million de personnes ont été touchées par l’ouragan et plus de 300 000 d’entre elles ont besoin d’aide humanitaire, selon les Nations unies.

Le département de Grand’Anse, à l’extrême ouest de la péninsule de l’île, a particulièrement souffert des vents violents de 230 km/h et des pluies torrentielles. La grande majorité des 30 000 habitants de la ville côtière de Jérémie se retrouvaient sans maison, hier. La troisième ville du pays, Les Cayes, a également payé un lourd tribut. Dans les villages plus isolés et dans les montagnes, les secouristes ont découvert hier de nombreux corps gisant sur les routes. Certains secteurs n’avaient toujours pas été secourus hier, signe que le bilan des morts pourrait encore grimper.

Au-delà des victimes immédiates et des dommages matériels, une grave crise sanitaire guette cette région éloignée de la capitale et aux infrastructures publiques désuètes ou détruites. Les ONG craignent le retour en force d’une épidémie de choléra en raison des fortes inondations et de l’absence d’eau potable. Déjà, de nombreux cas ont été rapportés à Jérémie. Cette maladie très contagieuse peut tuer une personne infectée en quelques heures.

« Toutes les zones ont été inondées. Il y avait déjà des cas de choléra, mais il y a maintenant un risque de résurgence. Beaucoup de gens n’ont pas accès au service d’eau potable et risquent de consommer de l’eau contaminée. »

— Lesly Michaud, docteur et directeur des opérations de Vision Mondiale Haïti, en entrevue téléphonique avec La Presse

Le choléra a déjà fauché la vie de 10 000 Haïtiens depuis le séisme de 2010. Pas moins de 800 000 personnes ont été touchées par le choléra, qui aurait été amené involontairement au pays par les Casques bleus. Selon Lesly Michaud, il est crucial de fournir immédiatement de l’eau potable aux sinistrés pour éviter une flambée de cas de choléra. « Il faut du personnel pour établir une structure adéquate. Si nous n’avons pas la capacité de prise en charge, la mortalité va augmenter », prévient-il.

Une crise alimentaire risque de frapper de plein fouet Haïti, qui se relevait pourtant à peine d’une grave période d’insécurité alimentaire. L’ouragan Matthew a complètement inondé les récoltes dans l’ouest du pays, reconnu comme le grenier d’Haïti. « Les plantations sont détruites ! Ces départements nous fournissent en céréales et en grains. C’est catastrophique ! Pour cette région, mais aussi pour le reste du pays, on craint qu’il manque de nourriture », lance le Dr Michaud, qui appelle à une mobilisation internationale pour aider le pays à « sortir de cette situation difficile ».

« J’AI EU LA PEUR DE MA VIE »

La Québécoise Christiane Pelchat se trouvait dans le village d’Étang-Rey, dans le sud d’Haïti, cette semaine, alors que l’ouragan Matthew détruisait tout sur son passage. « J’ai eu très peur. Je me suis demandé si je n’allais pas y passer, honnêtement, raconte-t-elle au téléphone. J’ai eu la peur de ma vie. Le vent était très fort, la pluie était tellement forte. C’était un bourdonnement, un vrombissement sans cesse. On ne pouvait pas dormir. »

La présidente de la Fondation Serge Marcil se trouvait dans l’orphelinat nommé en l’honneur de son mari, l’ex-ministre québécois mort dans le séisme de 2010. « On est chanceux. Comme on a reconstruit l’orphelinat en béton [en 2012] après le tremblement de terre, on n’a pas eu de blessés ni de morts », explique-t-elle. Toutefois, les récoltes sont perdues, le système électrique est hors d’usage et les châteaux d’eau se sont envolés. Les enfants de l’orphelinat se contentent ainsi de boire de l’eau de pluie pour le moment.

APPEL AUX DONS À MONTRÉAL

À Montréal, la communauté haïtienne a lancé un appel à la population hier afin d’amasser des fonds pour les sinistrés de l’ouragan. « On distribue des bâches, des couvertures, des tablettes de purification de l’eau, des contenants pour de l’eau, des kits pour reconstruire de façon urgente un abri », a affirmé Myrian Marotte, porte-parole de la Croix-Rouge internationale, en point de presse aux côtés de membres de la communauté haïtienne de Montréal. L’organisme souhaite recueillir rapidement plus de 9 millions dans le monde. Par ailleurs, le gouvernement québécois a promis une aide de 500 000 $ pour venir en aide aux Haïtiens, un montant qui s’ajoute aux 3 millions du gouvernement fédéral promis jeudi.

HAÏTI ENTEND CONTRÔLER L’AIDE INTERNATIONALE

Le gouvernement haïtien s’est engagé hier à contrôler les efforts d’aide humanitaire afin d’éviter un fiasco semblable à celui de l’après-séisme de 2010, même si cette décision pourrait froisser certaines ONG. « On est très stricts sur ce point : ce pays est dirigé par un gouvernement. Si ces organisations ne reconnaissent pas le gouvernement, qu’elles ne viennent pas du tout. Sur le terrain, c’est la protection civile qui coordonne tout. On ne va pas transformer cet État en un véritable bordel. Ça ne va pas arriver. On en a fait l’expérience en 2010, on a appris de nos erreurs, on agira en gens responsables », a affirmé à l’Agence France-Presse le ministre de l’Intérieur François Anick.

— Avec l’Agence France-Presse

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