En l’espace de quatre mois, la grande région de Gatineau, en Outaouais, a perdu deux hebdomadaires créés il y a plus de 60 ans, voués à l’information locale et régionale, avec la fin de Le Gatineau Express (anciennement La Revue) en août dernier et du Gatineau en avril.
« C’est une perte gigantesque de perdre un hebdo », affirme le maire de la quatrième ville en importance du Québec, Maxime Pedneaud-Jobin. « Ce que ça change ? C’est qu’il y a énormément de nouvelles qui ne seront pas couvertes. Toutes les “petites nouvelles”, si ce n’est pas l’hebdo qui les couvre, ce n’est personne », tranche-t-il.
En septembre, c’était au tour de L’Express d’Outremont et de L’Express de Mont-Royal de fermer leurs portes. Des titres fusionnent, d’autres disparaissent. L’hebdo Première Édition dans Vaudreuil-Soulanges, qui paraissait le samedi, n’est plus. À Chandler, en Gaspésie, Le Havre a aussi cessé ses activités après 40 ans d’existence, en mars dernier.
Des hebdomadaires indépendants sont fragilisés partout au Québec. La crise actuelle qui sévit dans l’industrie médiatique a mis plus de temps à gagner les régions, mais le poids écrasant des Facebook et Google gagne du terrain là aussi. La fin de l’obligation de publier dans leurs pages des avis publics municipaux fait aussi des ravages (voir autre onglet).
L’information locale a chuté de moitié au Canada au cours de la dernière décennie, selon un nouveau rapport du Forum des politiques publiques publié en septembre. Depuis 2008, ce sont 260 médias qui ont disparu au pays, dont 189 journaux communautaires, rapportait pour sa part l’organisme Local News Research Project, le 1er octobre dernier.
« On néglige l’importance de ces “petites nouvelles” », rétorque le maire Pedneaud-Jobin. « Ce sont pourtant celles qui assurent la cohésion d’une communauté, le sentiment d’appartenance. C’est un jeune qui a un succès sportif qui se voit pour la première fois dans le journal local. Ce sont des activités culturelles qui se passent à l’école secondaire. »
Le « point d’ancrage »
« Le journal local, c’est le point d’ancrage d’une communauté, de tout ce qui s’y passe. S’il y a des journaux qui disparaissent dans des régions, il va arriver quoi ? », s’inquiète l’éditeur du Courrier de Saint-Hyacinthe, Benoit Chartier, aussi président de l’association Hebdos Québec, qui regroupe les propriétaires de 48 hebdomadaires indépendants.
« On est souvent les seuls à faire de la nouvelle locale. Ce n’est pas Google ou Facebook qui vont la faire. Ils n’en ont pas de journalistes, eux autres. »
— Benoit Chartier
Au fil des dernières années, ces mastodontes du web ont englouti 80 % du marché publicitaire numérique alors que les entreprises de presse du pays n’arrivent pas à les concurrencer.
Marie-Ève Martel, journaliste du quotidien La Voix de l’Est, n’hésite pas à comparer le séisme qui secoue l’information régionale à « une extinction de voix ». C’est d’ailleurs le titre de son livre, publié cet automne, qui brosse notamment un portrait exhaustif de la mutation des hebdos depuis la fin de la guerre entre Québecor et TC Médias, en 2014.
« Ça prend un éveil de conscience collectif », estime l’auteure. « L’hebdo qui est là depuis notre enfance, il se peut qu’il disparaisse parce qu’on se trouve dans une tempête parfaite, alors que plus personne ne paie pour l’information, que les publicitaires se tournent vers des [entreprises] qui ne sont pas au Canada et qui ne réinvestissent pas dans le contenu. »
La chroniqueuse souhaite entre autres que « les gens se réapproprient » leurs journaux. « Il faut que l’on reprenne conscience de leur valeur », lance-t-elle. « Il y a des commerçants locaux qui délaissent leur média local au profit de Facebook. C’est un paradoxe qui est désolant. Annoncer dans le journal, ç’a un impact dans ta municipalité. »
« Trouver l’équilibre »
Le défi actuel est notamment d’arriver à « trouver un équilibre » à l’ère où les éditeurs jonglent avec des publications papier et en ligne, estime le président du groupe Lexis Media, Frédéric Couture, qui a fait le pari audacieux de mettre la main en 2017 sur 15 titres de TC Médias dans des régions éloignées comme la Gaspésie et l’Abitibi-Témiscamingue.
« En région, nous avons un autre mandat qu’en région métropolitaine. C’est de parler de la communauté. C’est l’importance du journal local. Les gens y tiennent », indique-t-il.
« Je pense que [TC Médias], en ayant vendu à des indépendants, ça va permettre, avec le temps évidemment, de revoir la façon dont on fait des affaires […] Il y a là un défi, c’est certain. »
— Frédéric Couture
Lexis Media, un éditeur de périodiques au départ, a aussi relancé deux titres appelés à disparaître dans les MRC de La Haute-Gaspésie et de Bonaventure, évitant ainsi une dizaine de mises à pied. Lexis Media était aussi le nouvel acquéreur de La Revue qui a fermé ses portes en août. Le groupe possède toujours deux hebdos en Outaouais.
Bien qu’il convienne que certains marchés subissent une décroissance au chapitre des revenus publicitaires, « le message » entourant la crise des médias le fait tiquer. « On devrait y aller d’une façon plus positive et parler de l’importance » de la presse locale, soutient l’homme d’affaires. « J’ai un peu de la misère avec ça. »
Repenser le modèle
Le président d’Hebdos Québec ne croit pas non plus que « le modèle d’affaires » des hebdos soit « cassé » en région. « Mais il est vraiment mis à l’épreuve », lance-t-il, soulignant que les hebdomadaires ont moins « de marge de manœuvre », alors qu’ils doivent composer avec des coûts d’impression et de distribution élevés, tout en offrant un produit gratuit.
« Je ne pense pas qu’on soit à la fin de l’histoire. Pas du tout. Mais on est rendus à une étape où l’on a besoin d’une aide gouvernementale pour nous aider à repenser nos modèles », poursuit-il. « Une aide qui va nous permettre de souffler, qui va nous donner de l’oxygène. »