Éditorial François Cardinal

Et si on dépolitisait la santé ?

Le Québec pourrait très bien retirer au ministre la gestion quotidienne du réseau de la Santé pour la confier plutôt à une société d’État. Une idée déjà avancée par un certain Philippe Couillard…

On l’a oublié, mais pendant les quelques années qu’il a passées loin de l’Assemblée nationale, Philippe Couillard avait osé une suggestion audacieuse : dépolitiser le réseau de la santé.

Une suggestion avec laquelle il se dit toujours à l’aise… et qu’il aurait peut-être intérêt à dépoussiérer à la veille de la campagne électorale.

Après un peu plus de trois ans du régime Barrette, les avis sur son bilan sont partagés. Mais tout le monde peut s’entendre sur une chose : il demeure encore bien des problèmes dans l’immense et complexe réseau de la santé.

Gaétan Barrette a beau avoir plusieurs progrès et réussites à son actif, que ce soit l’inscription auprès des médecins de famille, l’accès à l’imagerie médicale ou, plus récemment, les conditions de travail des infirmières et la couverture en région. N’empêche, le réseau continue de craquer de partout.

La preuve en est que le ministère de la Santé vit en état de crise permanente… parce que son ministre vit encore et toujours en état de crise permanente, en étant forcé de répondre à chaque problème qu’amène chaque jour de l’année, comme s’il était responsable de tous les maux du réseau, tout le temps.

Quel que soit le titulaire de la Santé, il se voit en effet obligé de réagir en priorité aux pressions partisanes et à la crise médiatique du jour. Il doit s’occuper des demandes des uns et des autres, gérer les enjeux locaux et nationaux, éteindre les feux dans tous les établissements, petits et gros. Et il doit même, de temps en temps, commenter le dossier d’un patient en particulier à l’Assemblée nationale.

Autant de choses, convenons-en, qui drainent le temps, l’énergie et les ressources du ministre et de son ministère, qui ont ainsi beaucoup de difficulté à garder les yeux sur l’amélioration réelle du système.

Et si on retirait au ministre cette micro gestion quotidienne du réseau pour la confier plutôt à un organisme indépendant, que ce soit une régie, une agence ou une société d’État ?

Philippe Couillard, d’ailleurs, posait cette question lors d’une conférence donnée en 2011, alors qu’il était conseiller stratégique chez Secor : « Est-ce vraiment une bonne chose que le ministre de la Santé soit le dirigeant ultime du système de santé, ou ne devrait-il pas, comme élu, être parmi ceux qui évaluent les résultats du système et posent des questions par rapport aux objectifs que lui aura déterminés ? »

Bien sûr, les grandes orientations doivent incomber aux élus, de même que l’adoption des politiques, l’élaboration des priorités et l’évaluation des résultats.

Mais l’administration de l’offre de services, elle, pourrait très bien être confiée à une structure plus opérationnelle, plus petite et plus flexible que le ministère. Les élus s’occuperaient des grands enjeux, alors que les gestionnaires se concentreraient sur les résultats et la performance du système.

Autrement dit, le ministre de la Santé demeurerait l’ultime responsable du réseau… mais n’en serait plus son unique responsable.

Rien de magique là-dedans, ne soyons pas naïfs. On ne mettrait pas soudainement la santé à l’abri des pressions politiques. On n’a qu’à penser à Loto-Québec et à la SAQ pour s’en convaincre. Mais elle gagnerait néanmoins en indépendance, ce qui serait déjà énorme.

D’ailleurs, la liste des acteurs du réseau ayant appuyé une telle idée dans le passé est longue, du Collège des médecins à la Fédération des médecins résidents, en passant par le Conseil pour la protection des malades.

Et surtout, la commission Clair (sur les services de santé et les services sociaux) en a fait une recommandation formelle en 2000. Elle suggérait alors de mandater un groupe de travail pour qu’il se penche sur la création d’une « agence nationale » ou d’une « société publique dotée d’un conseil d’administration hautement crédible pour coordonner l’offre de services ».

Si l’idée était pertinente il y a 18 ans, elle l’est plus encore aujourd’hui, alors que tout semble avoir été testé, incluant un ministre bulldozer dont on ne peut douter ni de la volonté ni de la compréhension du système.

On peut même dire que la situation est encore plus propice après un mandat libéral qui, malgré des échecs et des difficultés, a commencé à intégrer certains indicateurs de performance, sur les coûts des services par exemple.

À la veille d’une campagne électorale qui fera bonne place à la santé, pourquoi donc ne pas mettre le cap sur la dépolitisation de la gestion du réseau ? Ou à tout le moins, sur la formation d’un groupe de travail chargé d’élaborer une marche à suivre pour s’y rendre.

Après tout, l’entourage du premier ministre reconnaît aujourd’hui que cette destination est tout « aussi souhaitable » qu’elle était en 2011. Osera-t-on, au Parti libéral ou ailleurs, faire de l’audacieuse suggestion de l’époque un engagement électoral formel ?

Ils ont dit…

Philippe Couillard (2011) : 

« Le ministère gagnerait à être réduit et à se concentrer sur les grandes missions stratégiques plutôt que dans le micro-contrôle de ce qui se passe dans les établissements »

Yves Lamontagne, alors qu’il présidait le Collège des médecins (2010) : 

« Qu’attendons-nous pour dépolitiser la gestion des services de santé ? Les gouvernements devraient établir des politiques de santé et arrêter de faire de la politique avec la santé. »

L’ex-ministre de la Santé David Levine, dans son livre Santé et politique (2015) : 

« La politique et la santé ne font pas bon ménage, et pourtant, ils sont inséparables au sein du système de santé universel du Canada. »

Le Dr Denis Soulières, dans le cadre du collectif Sortie 13 (2012) : 

« Il faut permettre l’émergence d’un organisme le plus indépendant possible pour décider de la meilleure gestion du réseau. On ne le sait que trop : la gestion de la santé au Québec est encore une question d’influence, de gestion de crise, ce qui a causé un développement désordonné du réseau de la santé. »

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