La bataille de Montréal

L’armée en déroute

À la fin de mars, la crise de la COVID-19 explose dans la métropole. Le séisme part d’un CHSLD à l’extrême ouest de l’île, mais l’onde de choc se propage à la vitesse de l’éclair dans des dizaines d’établissements. Et l’armée est en déroute : de nombreux travailleurs de la santé, mal protégés, sont sacrifiés et contaminent le nord de l’île et aussi la ville voisine de Laval. Voyage au cœur de l’épicentre du chaos.

UN DOSSIER DE KATIA GAGNON, GABRIELLE DUCHAINE, ARIANE LACOURSIÈRE, CAROLINE TOUZIN ET MARTIN TREMBLAY

Quand le virus traverse la rivière

Le 18 mars, le docteur Stéphane Duquette regarde les informations télévisées. Sur les cartes présentées dans le bulletin, il n’y a qu’un seul point rouge sur l’île de Laval. Ce point rouge, c’est lui.

Stéphane Duquette est le premier Lavallois à avoir reçu un diagnostic de COVID-19. Le médecin travaille aux urgences de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. Est-ce là qu’il a attrapé le virus ? « Encore aujourd’hui, c’est un mystère », dit-il. Le soir du 17 mars, il ressent les premiers symptômes. Il se fait dépister immédiatement. Aux urgences, il était très bien protégé. Il a soigné une patiente atteinte de la COVID-19 le week-end avant de subir son test. « Mais on l’avait “flaguée” tout de suite. Je suis rentré là avec tout le kit. »

Au cours des jours qui suivent, sa conjointe et les deux filles de cette dernière sont à leur tour malades. Une amie des filles qui est venue souper alors que personne n’avait encore de symptômes doit être placée en quarantaine.

« Quand je leur ai annoncé que je l’avais, je suis parti à pleurer. Je me sentais tellement coupable. »

— Le Dr Stéphane Duquette, premier Lavallois ayant reçu un diagnostic de COVID-19

A-t-il transmis la COVID-19 à d’autres Lavallois ? Il ne le saura jamais avec certitude, mais le Dr Duquette dit n’avoir eu que très peu de contacts avec ses concitoyens avant d’être malade.

« Ce cas met en évidence un élément important de l’épidémiologie de Laval, et c’est l’interconnexion avec Montréal », souligne le Dr Jean-Pierre Trépanier, directeur de santé publique de Laval. « Beaucoup de résidants de Laval travaillent dans le réseau de la santé montréalais et aussi dans le réseau de la santé lavallois. Cette caractéristique a eu un impact important sur le déroulement de l’épidémie à Laval. Les travailleurs de la santé ont compté pour beaucoup de cas. »

Le cas de Robert L., qui nous a demandé de ne pas publier son nom, est un autre exemple de ces échanges provenant des deux côtés de la rivière des Prairies. Le 29 avril, sa conjointe, qui travaille dans un CIUSSS montréalais comme préposée aux bénéficiaires, reçoit un diagnostic de COVID-19. Robert, qui œuvre lui aussi dans un CIUSSS montréalais, se retire du travail. Heureusement, puisqu’il découvrira plus tard qu’il a été infecté, tout comme une de ses filles. Pourtant, dès que sa conjointe a su qu’elle était malade, elle s’est isolée dans une pièce de la maison. « Mais on l’a pognée pareil. »

« C’est une tragédie »

Une fois débarqué sur l’île Jésus, le virus se propage à la vitesse de l’éclair. Les secteurs les plus touchés se situent dans l’est de Laval. Saint-François, Duvernay, Saint-Vincent-de-Paul. De nombreux milieux d’hébergement pour aînés se trouvent dans ces quartiers. Laval finira par avoir le plus haut taux de mortalité au Québec, surpassant même Montréal pendant plusieurs semaines. Plus de 5600 cas de COVID-19 y seront détectés et 600 personnes en mourront sur l’île Jésus. Plus de 500 employés du réseau de la santé seront infectés.

Le pire bilan au Québec

Mais le virus ne frappera aucun endroit de Laval aussi fort que le CHSLD de Sainte-Dorothée, qui présente à ce jour le pire bilan au Québec, avec plus de 90 morts. « C’est une tragédie », résume Jean-Pierre Trépanier.

Le dimanche 22 mars, un préposé se présente au travail avec plusieurs symptômes. Il demande à quitter les lieux pour aller passer un test de dépistage de la COVID-19. Selon nos informations, qui proviennent d’une source qui œuvre à l’intérieur de l’établissement, on lui répond qu’il n’a pas assez de symptômes pour passer un test.

Le préposé travaille toute la semaine à Sainte-Dorothée.

Dès le lundi 23 mars, trois des patients qui avaient été en contact avec lui présentent des symptômes. Ils sont tous infectés. Deux d’entre eux sont morts depuis.

Quatre jours plus tard, le préposé est toujours au travail. Le 27 mars, une infirmière auxiliaire qui fait équipe avec lui commence à présenter des symptômes. Elle veut rentrer chez elle. On lui dit de porter un masque et de terminer sa journée. « On a répondu non à ces deux employés, le préposé et l’infirmière auxiliaire, parce qu’ils n’avaient pas tous les symptômes », souligne Gilles Tremblay, conseiller syndical à la Fédération de la santé et des services sociaux pour les employés de Sainte-Dorothée.

« Si les normes avaient été respectées le 22 mars, rien de ça ne serait arrivé. »

— Gilles Tremblay, conseiller syndical à la Fédération de la santé et des services sociaux pour les employés du CHSLD de Sainte-Dorothée

Ce jour-là, l’infirmière auxiliaire voit une vingtaine de patients à l’étage. De son propre chef, en après-midi, elle s’en va avec son collègue préposé. Ils se font finalement tester. Ils sont positifs, tous les deux.

« Le 22 mars, on n’avait pratiquement pas de cas. La semaine suivante, on avait plusieurs cas. Après ça, ça a dégénéré dans toute la bâtisse », résume Gilles Tremblay.

La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST), dans un rapport obtenu par La Presse, porte un jugement sévère sur ce qui s’est passé à Sainte-Dorothée. Les travailleurs manquaient d’équipement, de formation pour revêtir et enlever cet équipement, et ils ont continué à travailler à plusieurs endroits.

« Certaines mesures essentielles visant à prévenir la propagation de l’infection ont été mises en place tardivement. La présence de situations dérogatoires est confirmée, y compris après l’éclosion de la maladie dans l’établissement, en date du 22 mars 2020. »

Notre démarche

Pour réaliser cette série sur la bataille de Montréal contre la COVID-19, nos quatre journalistes ont réalisé 62 entrevues avec des intervenants du milieu de la santé, des politiciens, des chercheurs et des spécialistes. De la ministre de la Santé, Danielle McCann, aux préposés aux bénéficiaires, en passant par les médecins impliqués, les gestionnaires de CIUSSS et les autorités de santé publique, les acteurs de cette crise nous ont raconté leur combat contre le coronavirus.

L’épicentre du chaos

« C’est dans le building. Un résidant l’a eu. Il est mort. »

Nous sommes le 28 mars. Kristy-Lyn Kemp, infirmière auxiliaire au CHSLD privé Herron, vient d’entendre une collègue infirmière annoncer à la ronde que le nouveau coronavirus a fait son apparition sur son lieu de travail. C’est elle qui l’annonce aux préposés qui œuvrent à son étage, au deuxième.

« Ils avaient le droit de savoir. »

Plusieurs collègues sont terrifiés, se souvient Mme Kemp. « Ils ont paniqué parce qu’on n’avait pas d’équipement. Ils sont partis. Ils ne sont pas revenus. » L’équipement manquait en effet cruellement dans le CHSLD.

« J’ai porté le même masque pendant six ou huit quarts. On n’arrivait pas à trouver des gants, des masques… C’est pour ça que les gens sont partis. »

— Kristy-Lyn Kemp, infirmière auxiliaire au CHSLD privé Herron

Dans les jours qui suivent, les départs se multiplient au deuxième. « Il y avait moi et deux préposés. Certains employés étaient malades, d’autres s’étaient juste sauvés. On a perdu beaucoup, beaucoup de résidants. Ce qui s’est passé est encore dans ma tête. À ce jour, je ne suis pas remise. » Pendant des jours, elle fait des journées de 16 ou 18 heures parce qu’à la fin de son quart de travail… il n’y a personne pour prendre la relève. Chaque jour est une désespérante course contre la montre pour nourrir, laver, hydrater des bénéficiaires.

Le 6 avril, on la charge d’appeler les familles. « J’ai été honnête avec elles. J’ai dit qu’on était en train de perdre des gens. Je me suis fait chicaner pour avoir dit la vérité. » Pour Mme Kemp, c’est la goutte qui fait déborder le vase. Elle abandonne son travail d’infirmière… mais continue d’aller à Herron chaque soir pour aider les malades. Selon le bureau du coroner, plus de 50 bénéficiaires sont décédés au CHSLD Herron, qui fait actuellement l’objet de plusieurs enquêtes.

Mme Kemp était le genre d’infirmière qui se déguisait à Noël et apportait des cadeaux à son monde. Elle connaissait personnellement tous « ses » résidants. La crise vécue à Herron l’a complètement démolie. Elle est toujours en thérapie. Elle a pleuré pendant une bonne partie de notre entrevue avec elle.

« Un coup de masse sur la tête »

Le 10 avril, le député provincial de la circonscription de Marquette, Enrico Ciccone, fête son 50e anniversaire de naissance. Son téléphone sonne. C’est Lynne McVey, la PDG du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal. Elle lui expose la situation. Trente morts à Herron, le CHSLD sous tutelle. « C’est comme si j’avais reçu un coup de masse sur la tête. »

À l’échelle du Québec, Herron devient l’épicentre – et le symbole – du chaos. Ces bénéficiaires affamés, déshydratés et souillés, abandonnés à leur sort, révèlent l’ampleur du séisme qui fait rage dans les CHSLD de la région montréalaise.

Ce soir-là, le député se rend sur place. « Il y avait des familles, des autos de police… C’est tout juste s’il n’y avait pas un ruban jaune de scène de crime autour de la bâtisse. » Le député de Marquette prend un carnet, un crayon, et note les noms des familles et de leurs proches.

Mais le feu de broussaille ne se limite pas à Herron : il est déjà en train de dévaster d’autres établissements. Comme le CHSLD Nazaire-Piché, où œuvre Enrico Ciccone pendant deux semaines, au quart de soir, en zone rouge. Vingt-deux résidants, 17 infectés, 14 alités en permanence. Quelques heures après son arrivée au centre pour une première journée, deux des trois préposés en poste doivent s’en aller. Ils viennent de recevoir leur résultat. Positif.

« En l’espace de cinq minutes, j’étais devenu préposé. Et j’étais tout seul ! Ça a été un crash course. »

— Enrico Ciccone, député provincial de la circonscription de Marquette

À la fin de son quart, il cherche la dernière préposée restante. « Elle était sur un balcon, en train de pleurer. »

De l’aide pour éviter un crash

L’incendie qui dévore les CHSLD s’étend à l’ensemble de l’île. « Ça a été la semaine la plus difficile de toute ma carrière », dit la ministre Danielle McCann.

« Quand on a appris que des gens étaient morts parce qu’ils étaient déshydratés… ça nous a crevé le cœur. »

— Danielle McCann, ministre de la Santé et des Services sociaux

Dans tout Montréal, on demande aux gestionnaires des CIUSSS, déjà débordés par les besoins de leurs propres établissements, d’épauler les CHSLD privés. « Herron est une résidence privée. On a eu connaissance de la situation quand les gestionnaires nous ont demandé de leur prêter main-forte », souligne Dalia Toledano, directrice déléguée à la responsabilité populationnelle au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal. « Tout d’un coup, il fallait transférer du personnel dans ces endroits-là pour leur éviter de crasher. Il n’y avait pas d’autre mot pour décrire cette situation », dit Francine Dupuis, PDG adjointe du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal.

Ce faisant, les CIUSSS ont fragilisé leurs propres établissements. « Il y a eu un moment où on a pensé qu’on ne s’en sortirait pas », dit Mme Dupuis.

« Tant qu’on n’a pas eu d’aide extérieure, on a eu l’impression qu’on allait perdre la bataille. »

— Francine Dupuis, PDG adjointe du CIUSSS du Centre-Ouest-de-l’Île-de-Montréal

C’est l’arrivée de l’armée qui a changé la donne, estime-t-elle.

Même s’ils ont été moins visibles, il y a eu d’autres Herron sur l’île de Montréal. Le CHSLD privé Vigi Mont-Royal, par exemple. « Quand on est rentrés là, il y avait de quoi pleurer », dit Francine Dupuis. La totalité du personnel infirmier était absente. Ou bien les employés étaient positifs, ou bien ils avaient peur de l’être. Aucun équipement disponible.

Donna Sauro a vu de près la situation à Vigi Mont-Royal. Sa belle-mère de 96 ans y a été infectée. Dès la première semaine après l’interdiction des visites par Québec, le 14 mars, la famille se rend compte que quelque chose ne tourne pas rond dans l’établissement. « C’était très difficile de parler à quelqu’un, la ligne était toujours occupée. » Plus le temps passe, moins la famille reconnaît les interlocuteurs au bout du fil. « On ne connaissait plus personne. »

Le 10 avril, la direction écrit aux familles que des cas de COVID-19 ont été confirmés au CHSLD. Six jours plus tard, il y a 73 cas. Chaque jour, la famille consulte la liste des CHSLD touchés. « Jour après jour, ça montait, ça montait. » Le 22 avril, le mari de Mme Sauro apprend que sa mère est atteinte. Il est malade d’inquiétude.

Deux semaines plus tard, la nonagénaire est à l’article de la mort. Son fils revêt l’équipement de protection pour une visite d’adieu. Sur place, sa mère le reconnaît. La visite de son fils la fait littéralement revivre. « Les médecins, ils n’en revenaient pas. » La vieille dame a finalement recouvré la santé.

Mais au cours de ces semaines d’enfer, la totalité des résidants et des travailleurs du CHSLD Vigi Mont-Royal a été infectée à la COVID-19.

Les sacrifiés de Montréal-Nord

Myrlande F.* a traversé au Canada par le chemin Roxham en 2017, sa petite fille de 2 ans dans les bras.

Dès l’obtention de son permis de travail, elle s’est trouvé un emploi. « Dans le poulet », d’abord, puis, après une formation, comme préposée aux bénéficiaires. Le 8 avril, quand Myrlande a dit au patron de la résidence pour aînés où elle travaille, située à Montréal-Nord, qu’elle ne se sentait pas bien, il ne l’a pas crue.

Il lui a dit de retourner au travail.

Elle est retournée travailler. « Ça me mettait mal à l’aise de ne pas avoir d’équipement. »

« Nous avions un masque, des gants, et c’est tout. On était là pour donner des soins, mais nous, nous n’étions pas protégés. »

— Myrlande F., préposée aux bénéficiaires

De son propre chef, elle décide d’aller se faire tester. « J’ai demandé une preuve, un papier pour dire que j’avais passé le test, sinon, à la résidence, ils ne m’auraient pas crue. » Deux jours plus tard, elle a le résultat. Positif.

Myrlande avait pourtant tout fait pour éviter de contracter le virus. Elle revêtait scrupuleusement le peu d’équipement qu’on lui fournissait. Elle évitait de prendre les transports en commun : elle marchait donc pendant une heure chaque jour pour se rendre au boulot et rentrer. « Ma principale crainte quand j’ai su que je l’avais, c’était de contaminer la petite. Elle n’a que moi ici. Il n’y a personne d’autre. » La femme de 47 ans a été très malade. « Le pire, c’était quand ma petite fille voulait m’embrasser et que je devais lui dire non. C’était très dur. »

Aujourd’hui, Myrlande est guérie. Elle a repris le travail. La femme, qui n’a toujours pas la citoyenneté canadienne, nous a demandé de taire son nom et celui de la résidence, car elle craint de perdre son emploi. Elle espère obtenir la citoyenneté, mais en est au dernier recours dans les procédures. Si elle n’a pas gain de cause, elle sera renvoyée en Haïti.

« Avec un enfant, Haïti, ce n’est pas une vie. »

Une inertie inexplicable

Une semaine après que Myrlande est tombée malade, un autre citoyen de Montréal-Nord est mort. Il s’appelait Marcelin François. Son histoire ressemble à s’y méprendre à celle de Myrlande. Lui aussi, arrivé par le chemin Roxham. Lui aussi, préposé aux bénéficiaires. Et lui aussi, il a attrapé la COVID-19.

Frantz André, qui dirige le Comité d’action des personnes sans statut, un organisme de Montréal-Nord, devient émotif quand on lui parle du cas de Marcelin François. Il a épaulé sa veuve, Osena Charles, de très près. « Elle est encore en état de choc. Elle est recluse dans une chambre de son logement. C’est son fils de 11 ans qui gère la famille. » Mme Charles, dit Frantz André, n’a jamais reçu d’appel de la Santé publique à la suite du décès de son mari. « Elle a été abandonnée », dit-il.

Frantz André connaît au moins trois autres familles sans statut dont l’un des parents travaillait dans un établissement de santé et a succombé à la COVID-19.

C’est à peu près au moment du décès de Marcelin François que les groupes communautaires de Montréal-Nord commencent à sonner l’alarme. Le nombre de cas de COVID-19 augmente dans l’arrondissement. Et ils ont eu l’impression de crier dans le désert. « Comme groupe communautaire, on a pris un rôle qu’on n’était pas supposé prendre. La distribution de kits sanitaires, ce n’est pas notre rôle », dit Will Prosper, de l’organisme Hoodstock.

« L’État a montré son inefficacité, son manque de leadership. On a eu un rôle immense sur les épaules. On s’est substitué à l’État. »

— Will Prosper, de l’organisme Hoodstock

« Je n’ai pas senti que les élus et le CIUSSS saisissaient la gravité de la crise qui se dessinait, dit Bochra Manaï, de l’organisme Parole d’excluEs. Quand on regarde le portrait de Montréal-Nord, la densité, la défavorisation, c’était évident qu’il fallait se préparer au pire. » Une seule élue a réagi, dit Mme Manaï, et c’est la députée provinciale de Bourassa-Sauvé, Paule Robitaille.

Les voyants rouges se sont allumés après le décès de Marcelin François sur le tableau de bord de Mme Robitaille. Lorsqu’elle réclame des efforts de dépistage dans le quartier, autour du 20 avril, elle ne ressent aucune urgence de la part des autorités de l’arrondissement, de la Santé publique et du CIUSSS. Pourtant, le taux de gens infectés a pratiquement doublé. 

« Quand on a sonné l’alarme, j’avais l’impression qu’on ne comprenait pas l’urgence. »

— Paule Robitaille, députée provinciale de Bourassa-Sauvé

« Il y avait une espèce d’inertie dans cette réunion, ça m’a vraiment stressée. Rien ne bougeait sur le terrain, et les statistiques continuaient à grimper », dit Mme Robitaille.

« On a été présents sur le terrain dès le début, réplique Myriam Giguère, directrice générale adjointe programmes sociaux et réadaptation au CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal. Nos organisateurs communautaires ont fait un travail extraordinaire. » À mots couverts, elle blâme la Santé publique. « Le leadership partagé entre le CIUSSS et la Santé publique nous a créé des défis. »

Un quartier brûlant

En l’espace de deux semaines, Montréal-Nord devient un quartier brûlant sur l’île de Montréal. « On appelait les CHSLD de l’établissement et, somme toute, les échos étaient positifs. Et puis, tout d’un coup, en quelques jours, il y a eu un revirement. Partout, ça explosait. Et c’est là qu’on s’est rendu compte que c’était peut-être à cause des travailleurs de la santé », explique la mairesse de l’arrondissement, Christine Black. 

« Les zones les plus chaudes, c’était un copier-coller des grands secteurs de défavorisation. »

— Christine Black, mairesse de Montréal-Nord

Au cours de la dernière semaine, l’arrondissement voisin de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension a également fait son entrée sur la liste des quartiers chauds. Les cas ont bondi de 20 % en sept jours. Le CIUSSS local a dû réagir. « On a fait plus de 3000 porte-à-porte dans les quartiers pour s’assurer que les gens comprennent qu’ils n’ont pas besoin de carte d’assurance maladie pour être testés, explique Julie Provencher, directrice du programme de santé publique au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal. J’ai fait plusieurs entrevues dans les radios haïtiennes. On a des camions crieurs qui se promènent. »

Pour la mairesse de Montréal, Valérie Plante, la crise dans ces secteurs du nord de l’île a été un moment décisif de la pandémie. « Quand on est passés au stade de la contagion communautaire, j’ai trouvé cela vraiment dur de voir que le virus se promenait dans des secteurs aussi vulnérables. »

Pourtant, il a fallu plusieurs semaines avant que ne se concrétise la réponse à la crise sanitaire dans Montréal-Nord. « La Santé publique s’est réveillée le 28 avril », résume Paule Robitaille. Et les cafouillages ont persisté. Une clinique de dépistage a ouvert… pour fermer, puis rouvrir quelques jours plus tard.

À ce jour, près de 2000 personnes ont contracté la COVID-19 dans Montréal-Nord. Plus de 150 en sont mortes. Le contraste est total avec la ville défusionnée de Côte-Saint-Luc, premier secteur de Montréal touché par l’épidémie, qui a réussi à juguler la pandémie sur son territoire. Seuls 400 citoyens ont été touchés, et 22 en sont morts.

« On n’avait pas de plan clair, conclut Paule Robitaille. Dans la bataille de la COVID, l’armée était en déroute. »

* Nom fictif

Et maintenant ?

À l’heure du déconfinement, comment Montréal peut-il contrôler l’épidémie et prévenir une deuxième vague ? Voici comment y arriver.

Porter le masque

Les propos tenus par Horacio Arruda au début de la crise sur la question du masque étaient « complètement farfelus », juge la pédiatre Joanne Liu. Pour en finir avec l’épidémie, les Montréalais doivent à tout prix effectuer un changement culturel et porter un masque lorsqu’ils sortent en public. « Quand on est dans la merde, comme actuellement, qu’on n’a pas de traitement, pas de vaccin, pas de tests rapides, il faut porter le masque pour diminuer les risques de transmission. »

Faire des enquêtes épidémiologiques rigoureuses

En attendant les avancées scientifiques, les outils à notre portée sont relativement limités. L’un d’entre eux est le suivi des contacts des gens infectés. « Pour le moment, il faut mettre tous nos efforts sur le test-trace-isole », explique Benoît Mâsse, professeur à l’École de santé publique de l’Université de Montréal. Et le « isole » est très important, souligne le Dr Richard Lessard, directeur de santé publique de Lanaudière : en attente d’un test ou avec un diagnostic de COVID-19, il faut impérativement cesser toute sortie.

Équiper le personnel adéquatement

L’équipement est au cœur de la lutte contre le coronavirus, d’autant plus que des éclosions se poursuivent dans les établissements de santé. « Il est inacceptable d’envoyer un travailleur de la santé en zone chaude avec un équipement sous-optimal », estime François de Champlain, de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec. Le Québec doit procéder tout de suite à l’achat d’équipements en prévision d’une seconde vague. La formation du personnel est également cruciale. « La bataille va se gagner quand on va être parfaits au niveau de la prévention et du contrôle des infections. Prenez un centre d’hébergement avec 200 employés, qui font 1000 gestes par quart de travail, il ne faut pas qu’ils fassent d’erreurs en enlevant la blouse, en enlevant le masque ; comment circuler dans les zones chaudes, les zones froides, comment bien se comporter aux pauses », explique Claude Riendeau, directeur du soutien à l’autonomie des personnes âgées au CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal.

Stopper les mouvements de personnel

Après 10 semaines de crise, les mouvements de personnel se poursuivent dans le réseau. Le ministère de la Santé les a découragés, mais jamais interdits. À cause de la pénurie de personnel, les établissements estiment ne pas avoir le choix, mais l’Ontario et la Colombie-Britannique les ont carrément bannis.

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