Chronique

Les hauts et les bas des potins

Parmi mes nombreux vices, il y a la lecture des vieux numéros de Télé-radiomonde sur le site de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Si vous n’avez jamais vécu cette expérience, je vous la recommande illico. Ce journal était le leader en matière de potins artistiques dans les années 60 et 70 et laissez-moi vous dire qu’on n’y allait pas avec le dos de la main morte, comme dirait l’autre.

Dans le numéro du 10 avril 1971, on découvre que Dominique Michel ne pourra épouser l’acteur André Lawrence. Et pourquoi notre Dodo nationale ne peut-elle pas convoler en justes noces avec le gars le plus sexy de l’heure ? Parce qu’il est marié à une femme qui attend patiemment son retour en France. Et bang !

Dans le numéro du 30 juin 1973, Lucille Dumont livre tous les secrets de son dernier lifting. La chanteuse en parle ouvertement et en vante les mérites. Quant à la une du 23 août 1969, elle est consacrée à Céline Lomez, âgée de 16 ans, qui tournera dans le prochain film de Denis Héroux. Il est précisé que sa mère accepte qu’elle tourne des « scènes de nu ».

Quelques mois plus tard, on apprend que Danielle Ouimet a été « attaquée dans un restaurant ». La scandaleuse interprète du film Valérie a reçu les foudres d’une cliente bien-pensante. Et visiblement soûle.

En 1967, un couple d’amoureux occupe toute la place au Québec : Chantal Renaud et Donald Lautrec. Tout le monde attend impatiemment l’annonce de leur mariage. Pourtant, le 11 février, la belle Chantal déclare : « Non, je ne l’épouserai pas ! » Pour des raisons inexplicables, Chantal se ravise le 5 août : « Dès que je suis libre, j’épouse Donald Lautrec. »

Dans ce même numéro, il y a cette manchette insolite : « On accuse Jen Roger de se baigner nu avec ses copains. » Cette nouvelle est toutefois contredite par « M. Goudreau », un voisin du chanteur, à Anjou. Celui-ci affirme qu’il peut, de chez lui, voir la cour du chanteur et que « jamais au grand jamais personne ne se baigne nu chez Jen Roger ».

Le 8 avril 1967, les nombreuses admiratrices de Pierre Lalonde sont heureuses d’apprendre qu’il « rompt avec sa danseuse à gogo Candy ». L’année 1970 commence mal alors qu’on apprend la mort de la chanteuse Lise Chénier, à l’âge de 29 ans. Une photo nous la montre… dans son cercueil.

Je vous le dis, c’est du gros fun noir ! Et si mon plaisir est si grand, c’est à cause de la distance que j’ai avec ces potins qui ne blessent plus personne. J’aime l’aspect folklorique de la chose. Je regarde ça comme un archéologue penché sur un site de fouilles.

Quand je découvre ces titres surréalistes, je réalise à quel point les années 80 et 90 ont été lisses et gentilles. Les magazines de papier glacé La Semaine et 7 Jours ont symbolisé le début d’une période consensuelle où les mises en scène étaient très apparentes.

Et aujourd’hui ? Aujourd’hui, les nouvelles artistiques sont largement consommées par l’entremise de sites internet. Chez nous, on en trouve principalement trois : Showbizz.net (Cinoche.com), Hollywoodpq.com (Obox Média) et enVedette.ca (Bell Média).

Pour nourrir ces bêtes, on glane partout. Si quelques nouvelles sont créées par les minuscules équipes de ces sites (de deux à huit employés), on s’abreuve très largement… aux autres médias qui, eux, continuent d’investir dans des équipes considérables capables d’aller chercher de la nouvelle originale.

On pige dans les grands quotidiens, dans les hebdos comme Échos Vedettes (le dernier des dinosaures dans le domaine), dans les émissions de télé ou de radio.

Il suffit d’une déclaration d’une personnalité et le tour est joué. Une vedette confie au détour d’un paragraphe ou d’une entrevue à la télé qu’elle a frôlé la dépression et c’est dans la boîte ! Tu as ton texte, ton titre et tes clics.

Jeudi, on pouvait voir sur le site de Showbizz.net la manchette suivante : « Pénélope McQuade se confie sur ses épisodes dépressifs récurrents. » On se rend compte que cette nouvelle est basée sur l’extrait de 30 secondes qui sert de promo à La vraie nature, l’émission animée par Jean-Philippe Dion à TVA.

Je me suis entretenu avec des porte-parole de Showbizz.net et d’enVedette.ca On m’a confirmé que les réseaux sociaux sont de grands fournisseurs de « nouvelles ». Ces sites sont abonnés à tous les comptes Instagram, Facebook et Twitter des vedettes québécoises. Si la jeune humoriste Rosalie Vaillancourt publie une photo d’elle avec ses cheveux roses, il est assuré qu’elle fera l’objet d’une manchette.

On ne parle plus de consensus ici, on parle de publicité directe entièrement contrôlée par les vedettes. On parle de communiqué de presse. D’ailleurs, Jocelyne Morissette, du site enVedette.ca, me l’a clairement dit : « Les réseaux sociaux sont devenus des fils de presse. »

Et le public là-dedans ? Il ne voit aucunement ces nuances. Il veut avoir sa dose quotidienne de potins, il veut savoir comment va la grossesse de Meghan, il veut découvrir le prochain look bizarre de Céline. Il se fout de la provenance de la nouvelle ou du procédé utilisé pour l’obtenir.

Il veut sa nouvelle z’artistique, à genoux, la langue tendue… Notre Père qui est aux cieux… Donne-nous aujourd’hui notre potin quotidien…

Si Anne-Marie Dussault se retrouve ces jours-ci à témoigner au procès du Journal de Mourreal, ce site satirique spécialisé dans les fausses nouvelles, si elle doit venir raconter comment une manchette qui prétendait qu’elle était en couple avec Gaétan Barrette a miné son existence (même l’ex-premier ministre Bernard Landry a mordu à l’hameçon), c’est que notre appétit vorace pour le potin est grand et aveugle.

Ceux qui s’intéressent au rôle des potins dans la vie des gens affirment que l’absence de héros dans une société a un impact sur l’intérêt qu’elle nourrit pour ce type d’information.

Si c’est le cas, Dieu qu’on est mûrs pour une Coupe Stanley !

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