Chronique

Petite révolution à la Maison Adhémar-Dion

En février, le chanteur Marc Hervieux a reçu un appel de Claudette Dion, de la célèbre famille Dion. Mme Dion avait une demande spéciale pour le ténor.

Pourrait-il venir rencontrer une de ses fans qui vivait ses derniers moments, à la Maison de soins palliatifs Adhémar-Dion de Terrebonne ?

Claudette Dion, porte-parole de la Maison qui porte le nom de son papa, a expliqué la situation : la jeune mère de famille devait assister à un spectacle de Marc Hervieux en janvier…

Mais la maladie s’est interposée.

Marc Hervieux a accepté sur-le-champ. Il a regardé son horaire. Par hasard, il s’en allait le lendemain à Las Vegas voir le spectacle de la plus connue des Dion, Céline.

– Si je passe demain matin, sur le chemin de l’aéroport, ça va ?

C’était parfait. Rendez-vous fut donc pris pour le lendemain matin, Marc Hervieux allait arrêter chemin Saint-Charles, à Terrebonne, en route vers l’aéroport.

« Une heure plus tard, me raconte Marc Hervieux, Claudette me rappelle : la dame avait demandé l’aide médicale à mourir et elle venait d’avoir sa réponse. Elle allait la recevoir le lendemain matin, à peu près au moment où je pensais passer la voir… »

La suite à la fin de cette chronique.

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Ce qui frappe dans le bout de l’histoire que je viens de commencer à vous raconter, c’est bien sûr la générosité de cœur de Marc Hervieux. Comme d’autres, sans faire de selfie ni de communiqué de presse, Hervieux fait des gestes semblables. Je note que c’est moi qui l’ai sollicité, quand j’ai eu vent de cette histoire.

Mais socialement, je vous dirais que ce qui est frappant, pour ne pas dire révolutionnaire, c’est qu’une maison de soins palliatifs offre l’aide médicale à mourir (AMM).

Dans le spectre des années 2012 à 2015, au cœur du débat sur la fin de vie, les Québécois ont envoyé un signal clair à leurs élus : nous voulons avoir accès à l’aide médicale à mourir. Le Québec s’est doté d’une telle loi, suivi par le fédéral (qui a été forcé par la Cour suprême).

Des Québécois étaient (et sont encore) réticents. Parmi les récalcitrants : les maisons de soins palliatifs. Quand Québec préparait sa loi, les maisons de soins palliatifs avaient été catégoriques : jamais l’aide médicale à mourir ne serait administrée sous leur toit.

Ce raisonnement était en phase avec celui de la communauté des soins palliatifs : la douleur, ça se soulage, c’est notre métier, notre mission. Mettre fin à la vie n’est pas notre mission. Ça n’arrivera jamais chez nous…

La mission particulière des maisons de soins palliatifs – tenues à bout de bras par les communautés où elles sont ancrées, à coup de bénévolat et de campagnes de financement – a convaincu le gouvernement du Québec de ne pas forcer ces institutions à offrir l’aide médicale à mourir.

Quelques années plus tard, le réel a rattrapé les maisons de soins palliatifs. Sur 34, elles sont désormais 7 à offrir ce soin. La réflexion est en cours dans plusieurs autres maisons de soins palliatifs, m’a dit Marie-Julie Tschiember, de l’Alliance des maisons de soins palliatifs : « Le temps qui passe et les témoignages rassurants des maisons qui donnent l’AMM contribuent à la réflexion des dirigeants des autres maisons. »

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La première fois qu’une résidante de la Maison Adhémar-Dion a demandé l’aide médicale à mourir, ce soin était disponible et légal au Québec… Mais la Maison ne l’offrait pas.

On a donc transporté la femme à l’hôpital, pour qu’elle puisse y recevoir ce soin.

Nicole Vaillancourt, DG de la Maison Adhémar-Dion, se souvient du cas avec émotion : « Les infirmières de la Maison étaient tellement attachées à cette femme qu’elles ont refusé de la lâcher. Elles l’ont accompagnée à l’hôpital pour ses derniers moments. »

N’empêche : il y avait quelque chose de troublant dans le fait qu’une résidante en fin de vie, avec l’épuisement que cela suppose, doive subir le bouleversement de monter dans une ambulance pour aller à l’hôpital afin de recevoir un soin parfaitement légal. L’épisode avait secoué bien des artisans de la Maison Adhémar-Dion.

Nicole Vaillancourt a plaidé pour un changement, devant le conseil d’administration.

– Avec quel argument ?

– Que quitter la Maison Adhémar-Dion en ambulance pour aller mourir à l’hôpital, ce n’est pas de la dignité.

Elle ne prononce pas le mot « dignité » à la légère : elle a accompagné dans la maladie son frère Alain, champion de sports équestres, qui s’est éteint par un soir d’éclipse en 2012. On devine que l’expérience fut marquante, à vie. Elle est entrée à la Maison Adhémar-Dion comme bénévole, d’abord aux cuisines, puis aux soins, où elle a donné des bains aux résidants et procédé à la toilette funéraire de ceux qui venaient de mourir. « C’est là, dit-elle, que j’ai compris que les soins palliatifs, c’est la dignité jusqu’à la fin. »

En janvier 2018, Nicole Vaillancourt, devenue DG, a donc présenté son plan au conseil d’administration. En mars, le C.A. tranchait : go. En juillet, une première femme a reçu l’aide médicale à mourir.

La première femme qui a reçu l’AMM a permis aux employés de la Maison Adhémar-Dion qui le désiraient d’assister à ses derniers moments. Michel Houle, intervenant social, a eu une épiphanie, si j’ose dire : « D’avoir pu assister à cela m’a permis de comprendre de quoi il s’agit. Maintenant, quand j’en parle, je parle en connaissance de cause. C’était serein, c’était beau. »

Depuis un an, ce soin qui est un ultime geste de liberté sur son destin a été prodigué cinq fois à la Maison Adhémar-Dion. Il demeure, là comme ailleurs, l’exception à la règle chez les gens en fin de vie.

La règle ?

Aller au bout de la dernière seconde de vie possible.

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Quand Claudette Dion l’a rappelé, Marc Hervieux a donc compris en ce jour de février qu’attendre au lendemain matin pour aller rencontrer une fan en fin de vie n’était pas une option.

– Je vais être là ce soir, a-t-il promis à Claudette Dion.

Et ce soir-là, le ténor s’est pointé dans la chambre de la femme, qui était entourée de ceux qui l’aimaient et qu’elle aimait. Elle était contente de voir le ténor, mais ce dernier devinait sa douleur.

Il lui a tenu la main, ils ont bavardé.

Marc Hervieux lui a chanté deux chansons, Quand on n’a que l’amour et Caruso. Elle avait raté le concert de Marc Hervieux en janvier. Elle l’a eu pour elle, et ses proches, en concert privé.

La dame était jeune, trop jeune. Marc Hervieux a perdu son père jeune, trop jeune, lui aussi, quand il était ado. À sa fan souffrante, Marc Hervieux a donc parlé de Dollard, son père…

– Si tu vois Dollard, dis-lui allô, dis-lui que je m’ennuie de lui…

La femme s’est éteinte le lendemain, d’une maladie qu’elle n’avait pas choisie, mais au moment qu’elle avait choisi.

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