Opinion Économie mondiale

Est-ce l’arrivée du pétroyuan ?

Il y a quelques jours, le Venezuela a annoncé pour la première fois les prix du pétrole brut en yuans. Bien que les sanctions américaines aient épargné le secteur pétrolier, vital aux États-Unis, la décision de l’administration Maduro arrive à un moment crucial de la pétropolitique mondiale… Est-ce l’arrivée du pétroyuan ?

C’est à croire que les ouragans qui ont touché les Caraïbes n’ont pas manqué d’emporter avec eux la valeur du dollar américain ! Au début septembre, le dollar était à un creux record, passant la barre des 10 ¢ sous sa valeur de janvier dernier, regagnant depuis une fraction de sa valeur. Autopsie d’une faillite préméditée…

C’est sur fond de cette dévaluation record du dollar que Pékin annonce, il y a deux semaines, son plan pour commencer à contracter à terme (contrat d’achat ou vente d’une marchandise à un prix déterminé à un moment dans le futur) le pétrole brut non plus en dollars, mais en yuans, convertible directement en or, donc sans obligation de conserver les valeurs en devises chinoises.

Toutefois, en théorie, l’achat de pétrole brut nécessite d’abord l’achat de dollars américains pour pouvoir procéder à la transaction. Cette mesure, en vigueur depuis 1975, est issue d’une entente entre les États-Unis et l’OPEP qui empêchait l’échange ne serait-ce d’une goûte de brut contre toute devise autre que le dollar américain. Vu l’importance de la ressource, cette mesure assurait une chose ; la valeur du dollar resterait élevée. 

Toutefois, la dé-dollarisation et l’introduction du pétroyuan appuyé sur l’or sonnent le glas du pétrodollar et de la mainmise américaine sur la valeur de change mondiale.

Ainsi, ce que cette manœuvre de Pékin signifiait, c’est que les États exportateurs traitant avec la Chine pourront dorénavant directement recevoir de l’or en échange du brut, sans avoir à passer par le dollar américain. Comme l’a rapporté Reuters l’an dernier, la Chine devenait pour la première fois le plus grand importateur de pétrole brut dans le monde, s’échangeant la position avec les États-Unis. Hypothétiquement, vu la prépondérance chinoise dans ce commerce, cette mesure signifie que le dollar pourrait, à terme, perdre sa place de valeur de réserve, créant ainsi un nouveau « Gold Standard ».

Selon Jim Rogers, commentateur financier américain interviewé par Russia Today sur le sujet, ce mouvement de la part de Pékin n’a rien de bien surprenant, le monde se dirigeant dans cette direction depuis un certain temps déjà. Comme Rogers le dit, l’Iran accepte maintenant les transferts commerciaux chinois en yuans, alors que la Chine et la Russie ont des échanges financiers en roubles/yuans. Bien entendu, la dé-dollarisation permet aussi aux pays aux prises avec les sanctions américaines ; la Russie, l’Iran, le Venezuela, de contourner celles-ci en commerçant en yuans.

La stratégie chinoise n’en est bien entendu pas à ses premiers stades ; comparativement à Saddam ou Kadhafi qui ont voulu déconnecter l’échange pétrolier du dollar sans plan pour ce faire, la stratégie chinoise s’est étalée sur des décennies. Depuis un certain temps, la République populaire de Chine met sur papier des dizaines d’accords commerciaux et d’investissements favorisant le yuan pour l’échange. De plus, les achats massifs, mais progressifs d’or physique par la Chine contribuent à assurer à Pékin un « hedge », une protection, contre une éventuelle dévalorisation radicale du dollar, tout en lui donnant les réserves nécessaires pour devenir le centre mondial pour échanger le métal précieux. 

L’or s’augurant comme nouvelle valeur de réserve, la Chine se positionne pour être l’un des acteurs financiers centraux des prochaines décennies.

D’autant plus, une multitude d’États refusent maintenant d’utiliser le dollar dans leurs transactions commerciales, des BRICS, jusqu’au Chili, la majeure partie du continent africain (avec qui la Chine, premier partenaire commercial favorise l’usage du yuan) et même les Émirats arabes unis. Singulièrement, même la Suisse et la Chine, après une visite du premier ministre Li Keqiang après le forum Davos en 2015, ont signé une entente pour établir Zurich comme centre pour les transferts en yuans. Il s’agit ici d’une stratégie digne du classique L’Art de la guerre de Sun Tzu.

Il est en effet indéniable que ce coup d’éclat de Pékin est un mouvement certain vers une multipolarisation de la finance internationale, mais encore plus, une organisation politique internationale tout aussi multipolaire. En effet, tant que le dollar américain maintenait sa prépondérance, le gouvernement américain possédait un levier puissant pour mettre en action ses politiques. Toutefois, le levier commence à grincer et la dé-dollarisation de l’économie et de la finance mondiale signale la décentralisation de l’hégémonie américaine, et un transfert de pouvoir évident vers les puissances asiatiques.

Alors que Trump joue le sort du monde sur le terrain de golf et Twitter, le reste du monde se positionne pour la chute éventuelle du système axé sur le dollar. 

En offrant une valeur d’échange plus juste que le dollar, et dissociée d’un ensemble de pressions géopolitiques américaines (la nouvelle « Gunboat Diplomacy »), la Chine, avec ses réserves de change et son acuité géopolitique, est en mesure de se substituer à l’ordre d’après-guerre, mené par la suprématie américaine. Le projet du « Belt & Road Initiative », appuyé par la Shanghai Cooperation Organization, est en mesure d’éclipser la présence américaine mondiale, et d’en faire bénéficier les oubliés des 50 dernières années.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.