Ceci est une place publique

Moi aussi, « en théorie », je suis pour la conservation de l’Agora. Moi aussi, « en principe », je voudrais que l’on sauvegarde cette place signée Charles Daudelin.

Mais parfois, la réalité prend le pas sur la théorie. Parfois, les faits l’emportent sur les principes. Parfois, le patrimoine ne mérite pas qu’on le préserve intégralement.

C’est le cas de l’Agora, qui est, hélas, dysfonctionnelle.

Cette place centrale située devant le CHUM mérite donc d’être modernisée. Elle mérite, plus encore, d’être réaménagée de fond en comble, n’en déplaise à la famille de l’artiste.

Tant mieux si la Ville arrête le processus de reconversion pour le peaufiner, comme elle l’a fait hier. Tant mieux si elle retourne à la table à dessin pour améliorer le projet, car les esquisses de la future place laissaient vraiment à désirer. Et tant mieux si cela convainc un jour la succession Daudelin de mettre de l’eau dans son vin.

Ne perdons pas de vue un fait important : le problème des lieux est d’ordre urbanistique avant d’être artistique.

***

L’Agora n’est pas une œuvre d’art comme une autre. Ce n’est pas une sculpture, comme l’œuvre démolie violemment par le maire Labeaume. Ce n’est pas une installation, comme l’était Corrid’Art, démantelée avec force elle aussi, en 1976, par le maire Drapeau.

L’Agora n’est pas, autrement dit, une simple création qu’il importe de défendre au nom de l’art, à tout prix, parce qu’elle suscite réflexion et curiosité. 

Oui, l’Agora est le fruit d’une démarche artistique, mais c’est d’abord et avant tout une place publique. Qui ne joue pas son rôle. Au cœur de la cité.

Il est donc trop facile de se contenter de s’opposer à son démantèlement parce qu’elle a été signée par un artiste. Trop facile de montrer du doigt ces « barbares » qui ne connaissent rien à l’art ou au patrimoine, ces « sans-cœur » qui veulent « chasser » les sans-abri.

Du coup, on refuse de reconnaître quelque faille que ce soit à l’œuvre. On évoque le « dépotoir de misère humaine » qu’il est devenu. On accuse les « autorités » de ne pas avoir entretenu les lieux comme le voulait l’artiste. Et on passe à côté du véritable problème.

Il suffit en effet de visiter les lieux pour comprendre que l’enjeu est plus complexe. Qu’il ne s’agit pas d’un banal manque de maintenance du parc. Qu’il ne s’agit pas non plus d’un simple enjeu d’itinérance ou d’insécurité.

Il s’agit plutôt d’un problème de conception… qu’on ne réglera pas avec quelques changements mineurs.

***

Pour avoir traversé ce square chaque semaine depuis huit ans, j’ai acquis une ferme conviction : la place est viciée dans sa configuration même. Et c’est donc sa configuration qu’il importe de revoir.

Les six volées de marches qui plongent la place sous le niveau de la rue. Les 22 pergolas et leurs colonnes de béton qui sont autant de sombres recoins. L’impression d’enfermement qui tient le passant à distance nuit et jour. Les impasses qui sont le fruit d’un aménagement labyrinthique. La brique et le béton qui font du cœur de l’Agora un îlot de chaleur.

Rien qu’on peut éliminer avec un peu de verdure. Les plantes et les feuilles recouvrent d’ailleurs toute la portion est de la place sans qu’elle soit moins déplaisante. Moins inquiétante.

Imaginez : de l’aveu du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal, mis à contribution dans le projet, même les sans-abri ne se sentent pas à l’aise dans ce parc mal conçu…

***

Je me suis assis avec le maire, mardi, qui me dit être toujours aussi résolu : l’Agora doit être réaménagée. Avec raison.

« C’est un bunker, actuellement, m’a-t-il dit. On ne peut pas laisser ça comme ça quand on sait qu’il y a 20 000 personnes qui vont passer par là. […] Il va y avoir un réaménagement, ça, c’est décidé. Mais on va aller chercher un plan qui respecte encore plus les lieux et la mémoire. » Tant mieux. 

Le projet de remplacement, tel que proposé le mois dernier, était digne d’un village sans imagination.

Mais attention ! Profitons de la pause pour améliorer le concept final, non pour reculer sur l’intention de départ. Car cet enjeu urbanistique est trop important, et il traîne depuis trop longtemps pour qu’on capitule.

Qu’on tente de garder quelques éléments supplémentaires de l’œuvre de Daudelin, soit. Mais n’oublions pas que l’Agora est une place avant d’être une œuvre.

JOYEUX ANNIVERSAIRE !

La Caisse de dépôt a 50 ans et on a passé la journée d’hier à se féliciter de ce qu’elle est devenue. Avec raison. C’est tout un bas de laine que les Québécois se sont tricoté ! Toute une contribution ! À laquelle j’ajouterais un élément : son siège social, conçu par les architectes Renée Daoust et Éric Gauthier de Faucher, Aubertin, Gauthier, avec Lemay & Associés. Certainement l’un des plus beaux édifices de Montréal aujourd’hui.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.