Opinion  Barreau du Québec

La bâtonnière doit partir

Lu Chan Khuong n’a pas compris les exigences du rôle auquel elle aspirait

Je suis un ancien bâtonnier, même un très ancien (1972). Malgré le passage des années, je demeure intéressé à l’activité du Barreau et aux situations difficiles qu’il a vécues au cours de son existence ancienne ou récente. Je veux vous faire part de quelques réflexions que m’inspire la situation actuelle.

Comme je crois le comprendre, dans les éditoriaux et les opinions qu’on lit dans journaux, la fonction de bâtonnier paraît être assimilée à celle d’un président ou dirigeant d’une entreprise commerciale, syndicale ou sociale ordinaire. Si la personne qui la dirige commet une infraction ou même un crime, on pense devoir la traiter selon les normes habituelles du monde du travail.

C’est mal connaître les exigences du poste de bâtonnier. Il dirige un ordre qui est intimement lié à la justice et à son exercice. Il doit conserver en tout temps l’intégrité et la stature morale qui inspire à la population le respect de la justice. Le bâtonnier et, par conséquent l’ordre qu’il préside, incarne la justice que la population voit comme un élément essentiel de la vie en société. Ses interventions sont celles du Barreau et elles doivent se situer dans un contexte qui exclut toute arrière-pensée chez le citoyen qui en prend connaissance.

La totale intégrité du porte-parole est le gage de l’objectivité des interventions de l’ordre dans l’administration de la justice et la poursuite du bien commun.

Le bâtonnier est aussi l’interlocuteur du ministre de la Justice et il doit toujours conserver l’entière considération de ce dernier, comme celle de tous les autres ministres et des dirigeants des multiples organismes qui constituent l’État. Il doit en toute occasion maintenir une réputation au-dessus de tout soupçon et une intégrité sans aucune ombre. C’est à ce prix qu’il peut exercer une influence importante, sinon déterminante, dans l’orientation de la société.

Je crois que la bâtonnière n’a pas compris les exigences du rôle auquel elle aspirait. Elle avait un devoir de transparence et de prévoyance dans sa démarche. Elle aurait dû réfléchir aux conséquences qui pourraient découler d’une fuite possible concernant l’événement que tous connaissent maintenant. Avant de poser sa candidature, elle aurait pu consulter à titre officieux des personnes proches du Barreau ou même d’autres personnes de parfaite intégrité et d’une connaissance étendue du rôle d’un bâtonnier. Elle a préféré se fier à une confidentialité qui n’est jamais aussi étanche qu’on pense. Elle a pris le risque de ce qui est arrivé, alors qu’elle aurait dû penser, en avocate expérimentée, qu’il existe toujours un risque de fuite. Elle a préféré son avancement personnel, elle n’a pas considéré l’ampleur et l’importance sociale du rôle qu’elle convoitait et des exigences très élevées qu’il requérait. Elle a fait un pari et elle l’a perdu.

Peut-elle conserver son poste ? Ma réponse est négative.

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