Répression de la minorité ouïgoure

La Chine a voulu empêcher la tenue d’une conférence à Concordia

La Chine a fait pression sur la Ville de Montréal pour empêcher la tenue d’une conférence du président du Congrès mondial ouïgour, Dolkun Isa, a appris La Presse.

La veille de la conférence, qui a néanmoins eu lieu hier midi à l’Université Concordia, l’un de ses organisateurs avait par ailleurs reçu un courriel du consulat de Chine l’invitant à une rencontre « urgente ».

« En notant votre activité de demain midi, notre vice-consul général voudrait avoir un rendez-vous urgent avec vous cet après-midi ou demain matin pour communiquer avec vous notre point de vue », a écrit le consul politique Wang Wenzhang à Kyle Matthews, directeur de l’Institut montréalais d’études sur les génocides et les droits de la personne, qui chapeautait la conférence.

Ce dernier a choisi de ne pas donner suite à l’invitation et d’aller de l’avant avec l’événement.

Pékin « préoccupé »

La Ville de Montréal n’a pas voulu commenter la demande des représentants chinois. Joint au téléphone, Wang Wenzhang a toutefois confirmé avoir « exprimé les préoccupations de la Chine par la voie diplomatique ». Il a justifié son intervention auprès de la Ville et de l’institut de recherche universitaire en soutenant que Dolkun Isa est un « terroriste » et que sa conférence « n’est pas bonne pour les étudiants ».

« Inviter un terroriste quand on commémore encore les attaques de Nouvelle-Zélande, c’est inconvenant et ridicule. »

— Wang Wenzhang, consul chinois à Montréal

Les Ouïgours, minorité turcophone et musulmane habitant le Xinjiang, dans le nord-ouest de la Chine, sont la cible d’une vague de répression documentée et dénoncée par de nombreuses organisations internationales, incluant l’Organisation des Nations unies (ONU). Plus de 1 million d’entre eux sont internés dans ce que Pékin décrit comme des « centres de formation », mais qui sont en réalité de vastes camps d’internement. La Chine tente depuis plusieurs décennies d’assimiler les 11 millions d’Ouïgours, mais a intensifié la politique de persécution depuis 2016.

Liste noire

Dolkun Isa, 52 ans, avait pris part à des protestations étudiantes à Urumqi, capitale du Xinjiang, dans les années 80. Il a par la suite fui la Chine pour devenir l’un des principaux porte-voix des Ouïgours à l’étranger.

« Les autorités chinoises m’ont longtemps qualifié de criminel, mais après les attentats de 2001, ils ont mis mon nom sur une liste de terroristes », a expliqué Dolkun Isa, en marge de la conférence d’hier.

« Je n’ai jamais vu de bombes ou d’explosifs autrement que dans des films. »

— Dolkun Isa, président du Congrès mondial ouïgour

Dolkun Isa, dont la mère est morte dans l’un des camps d’internement à l’âge de 78 ans, l’an dernier, n’a pas été surpris d’apprendre que les représentants chinois avaient tenté de bloquer sa conférence.

« Les Chinois ont le bras long, et ce n’est pas la première fois qu’ils essaient de m’empêcher de parler. »

Ainsi, il y a deux ans, la diplomatie chinoise avait fait circuler une liste noire de 15 personnalités qu’elle voulait faire expulser d’une conférence de l’ONU à New York. Dolkun Isa s’est alors fait retirer son accréditation – pour la retrouver lors du même événement, un an plus tard.

Cibler les campus

Ce n’est pas non plus la première fois que la Chine tente d’influencer une université à l’étranger.

À un moment où le nombre d’étudiants chinois poursuivant des études à l’extérieur du pays explose, les campus universitaires sont le champ de prédilection pour la campagne de promotion de l’image de la Chine, fait valoir Marie Lamensch, coordonnatrice de l’Institut montréalais d’études sur les génocides et les droits de la personne.

« La Chine intervient dans les universités pour promouvoir l’image du rêve chinois, et elle maintient cette ligne partout dans le monde. »

Pour l’Institut, il n’était pas question de céder à la pression. « Nous étions déterminés à tenir cet événement », dit Marie Lamensch.

Selon une enquête publiée il y a un an dans Foreign Policy, la Chine utilise de façon systématique des réseaux d’associations d’étudiants chinois dans les universités occidentales pour se donner bonne image. Ces associations sont liées à des consulats locaux de la Chine, et reçoivent parfois du financement de leur part.

Ainsi, une de ces associations dans une université du Tennessee, aux États-Unis, a publié un message patriotique sur la page d’accueil de son site web, promettant de « protéger l’honneur et l’image de la Chine ».

initiative « Antichinoise ridicule »

Une autre militante ouïgoure de passage au Canada, Rukiye Turdush, a goûté à leur médecine en février, à l’Université McMaster, à Hamilton, en Ontario.

Un groupe d’étudiants chinois a chahuté pendant sa conférence, la décrivant comme une initiative « antichinoise ridicule ». L’ambassade de Chine à Ottawa avait alors nié avoir quelque lien que ce soit avec ces étudiants, mais elle les avait néanmoins félicités d’avoir contredit les « accusations sans fondement » concernant les camps d’internement des Ouïgours.

« Si les séparatistes ouïgours et les indépendantistes tibétains sont autorisés à s’exprimer, alors ceux qui s’opposent à eux devraient bénéficier de la même liberté de parole », avait plaidé l’ambassade.

Mais pour Dolkun Isa, ce n’est pas tant une question de liberté d’expression que de vérité.

« La Chine veut tout simplement cacher ce qui se passe sur son territoire », résume-t-il.

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