Chronique

Les mailles inégales de notre filet social

À l’approche de la saison des impôts, vous avez peut-être l’impression que le gouvernement a les dents longues. Mais avez-vous déjà additionné tout ce que vous recevez en échange des précieux dollars que vous laissez au fisc ?

Même si la pression fiscale est particulièrement forte au Québec, bien des familles de la classe moyenne touchent davantage de bénéfices de la part de l’État que ce qu’elles versent en impôts, taxes et autres cotisations.

C’est le constat auquel arrive une nouvelle étude de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.

« L’impôt n’existe pas dans le vide. Il sert à financer des services. On voulait montrer la contrepartie », explique Antoine Genest-Grégoire, qui a pondu l’étude avec le professeur de fiscalité Luc Godbout.

Leur recherche a le mérite de faire ressortir la valeur cachée de nos services publics qui constituent un puissant outil de lutte contre la pauvreté, davantage même que la redistribution de la richesse par les impôts (voir onglet 4).

Des exemples ? Les familles qui ont des tout-petits dans une garderie à contribution réduite profitent d’une subvention gouvernementale de plus de 10 000 $ par année. Les étudiants inscrits à l’université ont droit à un coup de main « invisible » de plus de 8000 $. Et bien sûr, l’ensemble des Québécois profitent des soins de santé, quoique la valeur des services varie considérablement selon l’âge, passant d’à peine 1000 $ par année pour un ado à plus de 27 000 $ pour une personne de plus de 90 ans.

Même si l’étude ne répertorie pas l’ensemble des services à la population (par exemple, les routes ne sont pas considérées), elle permet de voir qui contribue et qui bénéficie le plus des largesses de l’État parmi une trentaine de familles types.

Pour savoir où vous vous situez, je vous invite à consulter notre outil interactif pour trouver le profil qui se rapproche le plus de votre situation familiale.

***

Sur 29 cas types analysés, près des deux tiers des ménages reçoivent davantage de bénéfices de l’État que ce qu’ils versent en impôts. Mais il faut dire que l’analyse ne s’attarde pas à l’impôt versé par les entreprises ou par les contribuables les plus aisés qui paient une large part de la facture fiscale.

Les familles de la classe moyenne, elles, sont largement bénéficiaires du filet social.

Prenons l’exemple fictif de Jonathan et Béatrice, qui ont un revenu combiné de 80 000 $ et dont les deux enfants fréquentent la garderie à contribution réduite. Même si le couple verse environ 25 000 $ au gouvernement en prélèvements de toutes sortes, il reçoit pratiquement 11 000 $ de plus de l’État, la garderie représentant le plus gros cadeau (voir onglet 3).

Leurs voisins, Marc et Renée, n’ont pas d’enfants. Avec un revenu semblable de 90 000 $, le couple se retrouve à payer 25 000 $ de plus que ce qu’il reçoit de l’État. On parle donc d’un écart de 35 000 $ avec la petite famille d’à côté.

J’entends déjà les personnes seules et les DINK (double income no kids) se lamenter que les familles québécoises sont les bébés gâtés du fisc !

Sans contredit, les gouvernements ont été généreux envers les enfants ces dernières années. Mais cet effort est louable. Après tout, les jeunes ont tous le droit de faire leur chemin dans la vie, même s’ils ne sont pas nés dans une famille aisée.

La politique fiscale répond aussi à une logique fondamentale : « Avoir des enfants, ça coûte beaucoup plus cher que de ne pas en avoir ! Pour les parents, ça implique des coûts financiers et des coûts en temps que les familles qui n’ont pas de personne à charge n’ont pas », rappelle M. Genest-Grégoire.

Tout cela est vrai. Mais certaines personnes seules restent quand même sur leur faim. Par exemple, une personne sans aucun revenu reçoit environ 8000 $ en aide sociale. C’est moins que les prestations familiales que touchent Jonathan et Béatrice, qui ont pourtant des revenus de 80 000 $.

Manifestement, les mailles de notre filet social ne sont pas toutes tissées également.

***

Avant de crier à l’injustice, il faut aussi tenir compte du cycle de la vie. « À certains moments, on est plus bénéficiaire, à d’autres, on est plutôt contributeur. Mais on est toujours la même personne », dit M. Genest-Grégoire.

Oui, les étudiants profitent des largesses de l’État. Mais après leurs études, ils paieront leur part d’impôt.

Oui, les jeunes familles sont favorisées. Mais quand les enfants auront quitté le nid, les parents continueront de financer les services de garde et l’éducation des autres.

Oui, les personnes seules paient pour les enfants des autres. Mais quand ces enfants-là vont grandir, ce sont eux qui financeront les rentes et les soins de santé des personnes âgées.

J’entends aussi les aînés qui se plaignent de ne pas avoir eu les mêmes privilèges que les jeunes familles d’aujourd’hui. Mais attention avant de crier à l’iniquité intergénérationnelle !

Les retraités d’aujourd’hui profitent d’une rente de la Régie des rentes du Québec (RRQ) pour laquelle ils ont cotisé beaucoup moins que les générations actuelles. Quelle génération en a le plus pour son argent ? Bonne question ! Peut-être le sujet d’une prochaine étude…

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.