Recherche du CHUM

De l’insuline pour retrouver la vue

On connaissait les vertus de l’administration d’insuline pour aider les diabétiques à contrôler leur taux de sucre dans le sang. Mais grâce aux travaux d’une équipe de chercheurs du CHUM, le même traitement pourrait désormais permettre de combattre le glaucome. Explications.

Deux percées majeures

Adriana Di Polo cache mal son enthousiasme. Voilà maintenant une décennie que la chercheuse en neurosciences du Centre de recherche du CHUM étudie les neurones de la rétine et du nerf optique – et, par extension, le glaucome. Cette maladie, première cause de cécité irréversible du monde, se développe lorsqu’une pression élevée dans l’œil érode les cellules nerveuses, empêchant à terme l’information, donc les images, de voyager de l’œil au cerveau. L’équipe de Mme Di Polo a toutefois annoncé hier deux percées majeures dans le traitement de la maladie : elle a démontré non seulement que les dendrites des neurones (nous y reviendrons, restez avec nous) avaient la capacité de se régénérer, mais en outre que cette régénérescence était stimulée par l’insuline, dont l’administration est un traitement bien connu des diabétiques.

De l’axone aux dendrites

Tous les neurones du corps humain sont constitués d’un corps cellulaire avec, à une extrémité, l’arbre dendritique aux milliers de ramifications – les dendrites – et, à l’autre extrémité, l’axone, longue fibre nerveuse. Pour résumer, l’information est captée par les dendrites et chemine ensuite par l’axone, à la manière d’un courant électrique, vers les dendrites d’un autre neurone, et ainsi de suite. Jusqu’à tout récemment, la recherche sur le glaucome avait été presque entièrement consacrée à l’érosion de l’axone.

« On a donc décidé de se concentrer sur ce qui se passe de l’autre côté, chez les dendrites, qu’on ne connaissait pas du tout. Il y a 10 ans, personne ne s’y intéressait. »

— Adriana Di Polo, chercheuse

La chercheuse a alors constaté que, très tôt après une lésion de l’axone, les dendrites se rétractaient de manière très marquée, rompant les connexions avec les autres neurones – ou synapses. « Cela provoque une interruption majeure du flux d’information », résume-t-elle.

L’insuline en renfort

À la lumière de ce constat, « on a une idée peut-être pas folle, mais risquée », raconte la chercheuse. Cette idée, c’était de recourir à l’insuline. Des souris chez qui on a « provoqué » la rétraction des dendrites en ont reçu par l’entremise de gouttes dans les yeux ou d’injections dans l’abdomen. Et le résultat est stupéfiant : en quelques jours à peine, les dendrites se sont régénérées presque entièrement, et les neurones se sont reconnectés entre eux, et ce, même lorsque l’axone était sérieusement amoché. « Nous sommes les premiers à publier sur la régénérescence », s’enorgueillit Adriana Di Polo, en référence à l’article paru hier dans la prestigieuse revue britannique Brain, publiée aux presses de l’Université d’Oxford.

Bonnes nouvelles

L’entrée en jeu de l’insuline est d’autant plus opportune que son usage est déjà autorisé par Santé Canada, souligne Mme Di Polo. Et, autre bonne nouvelle, les tests minutieux sur des souris menés par Jessica Agostinone, postdoctorante et première auteure de l’étude, ont révélé qu’administrer de l’insuline dans ce contexte n’avait pas eu d’effet négatif sur le taux de sucre dans le sang des cobayes. Dans l’attente fébrile d’amorcer les études cliniques d’envergure sur des humains, l’équipe de chercheurs travaille à développer un composé analogue à l’insuline qui pourrait faire l’objet d’un brevet et attirer ainsi les investisseurs.

Grosse journée pour l’insuline

Si Adriana Di Polo évite d’affirmer que ce traitement guérira ultimement le glaucome pour de bon, elle avance tout de même que les patients qui en sont atteints pourraient retrouver, au moins en partie, la vue qu’ils ont perdue. Et cette découverte fait déjà rêver, car elle pourrait s’appliquer à d’autres maladies neurodégénératives, par exemple l’alzheimer. Des études antérieures ont rapporté que l’insuline avait eu un effet positif sur des patients atteints de la maladie d’Alzheimer, « mais les mécanismes derrière cet effet étaient toujours inconnus », peut-on lire dans l’article de la revue Brain. Son impact sur la régénérescence des dendrites pourrait bien en être la clé. Après avoir redonné la vue, l’insuline redonnera-t-elle la mémoire ?

L’effet de l’insuline sur les dendritesD. Neurone dont on a tout juste coupé l’axone.

E. Le même neurone, trois jours plus tard. Les dendrites se sont sérieusement rétractées.

H. Quatre jours après l’injection d’insuline, les dendrites sont pratiquement revenues à leur état initial.D. Neurone dont on a tout juste coupé l’axone.

E. Le même neurone, trois jours plus tard. Les dendrites se sont sérieusement rétractées.

H. Quatre jours après l’injection d’insuline, les dendrites sont pratiquement revenues à leur état initial.

Source : « Insulin signalling promotes dendrite and synapse regeneration and restores circuit function after axonal injury », Brain, 21 juin 2018

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.