Opinion Salaire des spécialistes

Un gouvernement déconnecté

S’il y a un facteur qui contribue à l’impopularité du gouvernement Couillard, plus que les mauvais souvenirs laissés par les politiques de rigueur, c’est son côté déconnecté, son incapacité à détecter des malaises, à répondre à des inquiétudes de la population et à agir avant que celles-ci se transforment en crise.

On en a eu un exemple très révélateur avec l’entente que Québec vient de signer avec la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ).

Le gouvernement libéral sait, qu’en partant, la rémunération des médecins, qu’ils soient généralistes ou spécialistes, provoque des réactions chez les citoyens, parce que ce sont de salaires très élevés payés par l’État. Mais cet inconfort a été renforcé par la perte de contrôle sur ces ententes salariales, mise en relief par le Vérificateur général, par le fait que la hausse de la rémunération des médecins s’est poursuivie en période de coupes où on demandait à tous de se serrer la ceinture, par la possibilité que les médecins québécois soient plus payés qu’ailleurs au Canada, ce qui serait indéfendable, par la méfiance suscitée par la concentration de médecins spécialistes à la tête de l’État – le trio Gaétan Barrette, Philippe Couillard, et l’ex-secrétaire général du gouvernement Roberto Iglesias –, qui vient de négocier avec les spécialistes.

Mettez tout cela ensemble, et vous avez entre les mains un dossier explosif, qui a des effets négatifs, qui nuit aux médecins eux-mêmes et qui nuit au gouvernement, non seulement parce que ces ententes sont impopulaires, mais parce que le dossier de la rémunération des médecins affecte la légitimité de l’ensemble des mesures de redressement des finances publiques.

Qu’est-ce qu’un gouvernement raisonnable et compétent devrait faire dans de telles circonstances ? Dissiper les doutes, crever l’abcès, s’assurer que les ententes avec ses médecins soient acceptables et équitables, et prendre tous les moyens pour que ces ententes soient publiques, transparentes, compréhensibles.

À ce chapitre, le gouvernement Couillard n’est ni raisonnable ni compétent.

Ça ne veut pas dire qu’il faut déchirer l’entente que Québec vient de signer avec la FMSQ ou celle qu’il a signé avec la Fédération des médecins omnipraticiens en octobre dernier. Avant d’agir dans un sens ou dans l’autre, et avant de réagir aux gros chiffres qui frappent l’imagination, il faut d’abord s’assurer qu’elles respectent des critères : qu’elles soient équitables pour les médecins eux-mêmes, qu’elles soient équitables par rapport au reste de la population, qu’elles soient conçues pour améliorer la prestation des soins, qu’elles tiennent compte de notre niveau de vie et de la capacité de payer de l’État québécois. Est-ce le cas ? On n’en a pas la moindre idée. Et c’est là le problème.

Pour l’instant, l’entente avec la FMSQ est secrète et le restera tant que les médecins eux-mêmes ne l’auront pas vue et approuvée. Mais on sait très bien qu’elle restera opaque, incompréhensible, pleine de surprises. Le premier devoir du gouvernement, ce sera de rendre ces ententes publiques, sous une forme claire et intelligible, pour qu’on puisse les comprendre et les évaluer.

Pour cette raison, je suis d’ailleurs incapable de me prononcer sur cette dernière entente, parce qu’il manque trop d’éléments. Mais en soi, vu de l’extérieur, le principe d’un paiement forfaitaire de 480 millions pour payer des sommes dues depuis des années et que le gouvernement n’avait pas versées pour faciliter l’élimination du déficit, n’a rien de scandaleux. Par ailleurs, l’étalement sur deux années additionnelles, de 2021 à 2023, des hausses qui avaient déjà été négociées, constitue une correction à la baisse et ramène la croissance annuelle de l’enveloppe de 1,4 %. Cela laisse croire que l’entente, telle quelle, était trop généreuse.

Mais est-ce une correction suffisante ? C’est le véritable enjeu. Depuis que François Legault a été ministre de la Santé du gouvernement Bouchard, il y a 15 ans, la philosophie qui a présidé aux négociations avec les médecins était de leur assurer un rattrapage progressif pour que leur rémunération se compare à celle des médecins canadiens. Tout le monde comprenait que l’objectif, ce n’était pas l’égalité, mais une parité qui tient compte de l’écart du coût de la vie entre le Québec et le reste du Canada, et particulièrement l’Ontario, et de l’écart du niveau de vie et de la capacité de payer de l’État.

Or, les seuls chiffres dont nous disposons pour faire cette comparaison, ceux de la Base de données nationale sur les médecins de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), nous disent qu’on a fait plus que rattraper.

Pas pour les généralistes. Dans leur cas, en 2015-2016, le paiement clinique brut moyen par médecin était de 255 428 $, soit 18 % de moins que les 311 373 $ versés en Ontario, et 7 % de moins que les 275 294 $ du Canada.

Par contre, les spécialistes québécois dépassent tout le monde, (sauf ceux de l’Île-du-Prince-Édouard). Avec un paiement moyen de 380 863 $, ils touchent nettement plus que la moyenne canadienne de 346 864 $ et la rémunération ontarienne de 331 383 $. Il n’y a aucune raison qui justifie que nos spécialistes soient plus payés que ceux de l’Ontario. Même dans une logique de parité, leur salaire devrait être inférieur à ceux de provinces plus riches.

Mais le ministre Gaétan Barrette estime que le rattrapage est complété et ne reconnaît pas l’existence d’un tel dépassement. Il est possible que ces données de l’ICIS soient imparfaites, qu’elles ne tiennent pas compte de tous les éléments nécessaires pour une comparaison complète.

Ce qui est fascinant, c’est qu’on ne le sait pas. Tout ce qu’on a, ce sont ces chiffres, sommaires, de l’ICIS, et la parole du ministre Barrette, particulièrement mal placé dans ce dossier.

C’est pourtant une évidence que, lorsque le gouvernement joue avec des sommes pareilles, il doit avoir des objectifs chiffrés, des critères, des bases de comparaison. C’est ce qui est fait pour les salaires du secteur public, pour les fourchettes des contrats d’infrastructure. Il faut rappeler qu’avec une rémunération annuelle de 7,4 milliards pour les médecins, une erreur de 10 % représente 750 millions par année, 4,5 milliards pour les six années qui restent à l’entente !

Si le but était de rattraper la rémunération des médecins canadiens, il semble évident qu’il fallait définir clairement ce qu’on entend par rattrapage et disposer de données solides pour comparer les salaires.

L’automne dernier, dans le cadre de l’entente avec la FMOQ, on a confié à l’ICIS la tâche de faire cette analyse. C’est bien, mais c’est un scandale qu’on ait attendu si longtemps. Ça dépasse l’entendement que le gouvernement Couillard ne se soit pas attaqué à cela plus tôt.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.