ARTS VISUELS  Rétrospective Marion Wagschal au MBAM

Allégories de la vulnérabilité

Le Musée des beaux-arts de Montréal rend hommage à une grande peintre montréalaise, Marion Wagschal, en lui consacrant une rétrospective qui couvre sa pratique de 1971 à 2014. La vingtaine de grands tableaux figuratifs exposés sont des récits de vie au goût universel. Chaque toile évoque une histoire de vulnérabilité : celle de la condition humaine.

Présentée l’été dernier au Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse, l’exposition débute par la première œuvre que Marion Wagschal a vendue au Musée des beaux-arts de Montréal, Fête d’anniversaire, alors qu’elle avait 28 ans. Une toile symbolique puisque, par la suite, l’artiste restera fidèle à sa volonté de peindre à sa manière, avec les pigments de sa propre vie, et d’être résolument une artiste de la représentation réaliste.

« À l’université, j’avais essayé beaucoup de styles, mais je me suis ensuite trouvée et j’ai fait ce qui me plaisait », dit-elle à La Presse devant sa peinture.

Marion Wagschal a effectivement agi en fonction de sa seule intuition à une époque où les cénacles de l’histoire de l’art n’en avaient que pour l’abstraction. À voir ces grandes toiles aux personnages rondouillards ou amaigris, aux mains fripées ou boudinées, aux joues mal rasées, une verrue sous l’œil, le regard un peu las, on lui sait gré d’avoir résisté ! Car cette artiste devenue une enseignante respectée peint d’abord et avant tout la réalité du passage du temps.

Fête d’anniversaire est ainsi une combinaison de sa vie sur l’île de Montréal et de ses souvenirs de Trinité. Dans un paysage à la fois tropical et québécois, elle met notamment en scène une femme qui prenait soin d’elle quand elle était petite, de même que son oncle et sa tante, vus légèrement par-dessous, comme si, en regardant la toile, on était enfant, en fait Marion jeune.

Comme on l’avait constaté lors de son solo chez Battat Contemporary en 2010, on retrouve dans ses toiles ce soin de peindre les corps humains sans aucune retenue, dans leur émouvante banalité, avec une attention extrême portée au dessin des chairs. Elle se réclame de Gustav Klimt, d’Egon Schiele et de James Ensor, mais ce travail sur le corps rappelle à certains égards Lucian Freud, Francis Bacon, Käthe Kollwitz ou Betty Goodwin.

Marion Wagschal l’affirme : sa peinture est le reflet d’un « dialogue entre toutes les peintures de l’histoire de l’art ».

UNE PEINTURE DE LA FEMME

Dans Couple au chat tricolore, 1988, l’homme et la femme sont nus sur un lit, tendus, dans une relation discordante et solidaire à la fois. Associés tant bien que mal sur le radeau du destin. Les corps sont forts, énergiques et marqués, notamment celui de la femme qui révèle ecchymoses et meurtrissures. 

Autre toile poignante, Cuillères brûlantes montre une Marion Wagschal assise sur un lit où sa mère repose couchée. Près d’elles, des objets liés à la tradition judaïque. Une peinture où se lisent en même temps complicité et détachement. Les yeux presque fermés et les bras croisés sur le ventre, la mère a une attitude sévère et hermétique ; la fille semble s’interroger en nous regardant droit dans les yeux.

Moins dramatique, la toile Cyclorama émane d’une anecdote que Marion Wagschal a plaisir à raconter. Elle a choisi ce titre, car, un jour qu’elle s’était rendue à bicyclette à Sainte-Anne-de-Beaupré, elle a voulu faire du vélo dans le… Cyclorama local avant de s’apercevoir qu’il s’agissait d’une salle où l’on présentait la vie de Jésus !

La toile très théâtrale présente une série de personnages qui ont meublé sa vie et qui figurent des rôles que des femmes ont joués dans des films, des histoires ou de la publicité. Le féminisme s’insère dans les œuvres de Marion Wagschal discrètement, sans étendards ni balourdises.

TOUT SON ÊTRE DANS SES TOILES

Elle est la peintre des sentiments transmis avec autant de finesse que de pragmatisme. La toile Trim, 2012, représente son frère, quelque temps avant sa mort, en train de se faire tailler la barbe. Son poing serré et ses jambes amaigries trahissent ses craintes.

Brillante peinture également que Spill, où deux frères luttent sur le plancher près de leur père qui dort sur son lit. Une allusion possible à Caïn et Abel. Une œuvre où Marion Wagschal s’est particulièrement attachée à travailler la structure des visages et des membres des deux jeunes. Un travail complexe et fascinant dans les teintes. « Elle met tout son être dans ses toiles », dira plus tard Marie-Ève Beaupré, conservatrice de l’art contemporain canadien au musée.

Dans sa toute dernière toile, La mélancolie des carnivores, réalisée l’an dernier, Marion Wagschal traite de nos relations avec les animaux et l’environnement, de notre façon de considérer la nature comme un milieu soumis à nos besoins et à nos caprices. La peinture donne une impression de chaos et de fin du monde. Un personnage est en train de se changer en lion, déjà doté d’une longue queue et d’une large crinière. Mais Marion Wagschal n’est pas manichéenne. Elle injecte ici et là un peu de romantisme et d’amour pour laisser à son interrogation sur nos travers une issue éventuellement positive.

Au Musée des beaux-arts de Montréal jusqu’au 9 août 

MARION WAGSCHAL

Née en 1943 à Trinité

Juifs, ses parents ont immigré d’Allemagne à Trinité en 1938

Immigre avec ses parents à Montréal en 1951

Diplômée de l’Université Concordia en 1975

Enseigne à Concordia pendant 37 ans

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