Donner une voix aux travailleurs humanitaires
Depuis que j’ai commencé ma carrière d’humanitaire, en 1996, j’avais ce besoin d’écrire, d’en parler. Ça vient d’un désir très personnel de parler de ça, puis de permettre à des humanitaires de le faire. J’avais certainement moi-même 12 histoires à raconter; or, l’idée, ce n’était pas de raconter mes histoires, mais de présenter le plus large éventail possible d’individus qui vivent des choses extraordinaires.
Le but est double. Il y a eu depuis longtemps une bureaucratisation de l’humanitaire, voire un marketing de l’humanitaire. Les organisations ont un peu involontairement relégué derrière leurs sites internet larmoyants des gens qui font un métier extraordinaire. Donc, le but, c’est de redonner aux humanitaires la possibilité de raconter [ce qu’ils vivent]. [Ensuite], quand tu fais un travail comme ça, tu n’es pas nécessairement formé à vivre des tragédies. Il n’y a pas de formation pour voir des gens mourir, par exemple, pour voir la misère humaine. Alors, à qui se raconte-t-on ? Tes proches ont déjà entendu ton blabla. Très souvent, tu reviens d’une mission incroyable et tu n’as personne à qui raconter tes aventures. Pas qu’elles soient plus importantes que les autres, mais ce sont des aventures anormales, atypiques du quotidien dans lequel on vit ici, dans un monde où il n’y a pas de guerre.
Sûrement. […] Mais ce n’est pas un ouvrage pessimiste et tragique. Au contraire, je pense qu’il faut solliciter l’intérêt de la population, car il ne faut surtout pas être pessimiste et être complètement désillusionné par rapport à l’humanité ou par rapport au rôle des organisations humanitaires. C’était pour moi une manière de donner une voix à des aventures réelles.
On veut « déshéroïser » les humanitaires, parce que ceux qui vivent les tragédies et qui sont résilients, ce sont clairement les membres des populations qui vivent les conflits et les catastrophes naturelles. Parce que nous autres, on peut se permettre le luxe de se prendre un billet d’avion et de partir si ça ne va pas, mais ces gens-là restent au quotidien, et c’est à eux que revient la palme, dans ce recueil-là. Ça démontre toute l’ampleur et la complexité des catastrophes qu’ils vivent quotidiennement.
Doutes, frustrations et passion
Couchée sous une moustiquaire, au cœur de la jungle du Liberia, Violaine Des Rosiers se questionne. Elle vient de rendre à sa famille un enfant enlevé cinq ans plus tôt, qui a grandi en Guinée voisine, où il a appris une autre langue et tissé des liens. Vaut-il mieux pour son bien-être le déraciner ainsi pour le rendre à ses véritables parents ?
Cette réflexion, portée par le récit rocambolesque de l’expédition visant à ramener l’enfant dans son village natal, met en lumière ce qui habite les travailleurs humanitaires. Au-delà de leur travail parfois risqué, réalisé dans des conditions difficiles à imaginer, leur quotidien est aussi parsemé de doutes et de remises en question.
Aujourd’hui directeur de l’Observatoire canadien sur les crises et l’action humanitaire (OCCAH) de l’Université du Québec à Montréal, François Audet a fait appel à son réseau d’ancien travailleur humanitaire pour trouver les histoires qui donneraient au commun des mortels un aperçu de ce travail atypique. « Certains avaient déjà des textes d’écrits [quand je les ai contactés] ! », s’exclame François Audet, soulignant le grand désir des humanitaires de témoigner de leur réalité.
Tous les récits sont basés sur des faits vécus, mais certains détails ont parfois été laissés volontairement flous pour qu’il ne soit pas possible d’identifier les personnes concernées. Comme ces responsables canadiens croisés un jour dans le Niger désertique, alors ravagé par la famine, qui avaient cru bon de distribuer du lait en poudre. Sans prévoir l’eau nécessaire pour le reconstituer.