Charbon végétal activé

Un (autre) ingrédient miracle ?

Lorsque les foodies incorporent du charbon végétal activé à leurs crèmes glacées, sa couleur noire charbon attire invariablement les « J’aime » sur Instagram. Cependant, ses prétendues vertus pour « détoxifier » le corps, blanchir les dents, ralentir le vieillissement et tempérer l’hyperactivité font sourciller les spécialistes.

Qu’est-ce que le charbon végétal activé ?

Du chaume ou du bois (bambou, peuplier, tilleul) ou des coques de noix de coco calcinées à haute température, afin d’obtenir une poudre noire. Par la suite, un deuxième traitement créera du charbon végétal activé poreux.

En cuisine

Depuis environ une décennie, le charbon végétal activé est de plus en plus utilisé par les chefs. « C’est surtout apprécié pour l’effet visuel et décoratif », explique Jonathan Lapierre, chef exécutif et directeur du restaurant de l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec. Utilisé en poudre, rarement plus d’un quart de gramme par assiette, selon lui, l’ingrédient donne une teinte sombre aux crèmes glacées, aux purées ou aux crèmes sures. « Son goût est un peu fumé, voire torréfié, précise-t-il. Pour créer une harmonie des saveurs, on peut l’utiliser avec des champignons, des betteraves et tout ce qui a un côté boisé. Par exemple, sur une viande de gibier, on peut ajouter une purée de panais avec de la cendre végétale. »

À l’urgence

Dans un tout autre registre, le charbon végétal activé a de réelles propriétés en cas d’intoxication. « On insère un tube qui descend dans l’estomac pour infuser le charbon, qui va lier les substances ingérées, afin d’éviter l’absorption des substances toxiques, explique le Dr Alexandre Larocque, urgentologue au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Dans une solution aqueuse, on incorpore un gramme de charbon activé par kilo du patient, lorsque c’est un enfant. Pour les adultes, on utilise le contenu d’une bouteille prémesurée contenant 50 grammes. » Grâce au charbon, les substances en question vont ensuite être évacuées dans les selles.

Pas pour faire vomir

L’objectif des urgentologues n’est pas de faire vomir ni de vider l’estomac d’un patient. Si le charbon activé provoque parfois des vomissements, ce n’est toutefois pas l’effet recherché. « Quand on prend en charge des gens dans un état de conscience altéré et qu’ils vomissent, il y a un risque que ça aille dans leurs poumons, affirme l’urgentologue. On doit donc être prudent. Idéalement, les patients boivent la substance dans un état de conscience normale. » Dans certains cas, les urgentologues doivent sécuriser les voies respiratoires et intuber un patient pour administrer le charbon. « Lors d’une tentative de suicide avec des médicaments, le charbon activé peut faire pencher la balance, si on réussit à lier la dose toxique avant son absorption. »

Une question de temps

Qu’il soit question de médicaments, de speed, d’ecstasy ou de cocaïne avalée, le charbon activé s’avère utile seulement si le patient est pris en charge rapidement. « Pour que ce soit efficace, il faut que la substance soit encore dans l’estomac, idéalement dans les 60 premières minutes, dit le Dr Larocque. Si ça fait des heures, la fenêtre pour décontaminer est très réduite. » Peu efficace en cas d’intoxication à l’alcool, le charbon activé est carrément inutile avec les drogues consommées par intraveineuse ou par inhalation, puisqu’elles ne se retrouvent pas dans le tube digestif.

Fausses propriétés nutritives

Selon quantité de blogueurs et de personnalités publiques, le charbon végétal activé facilite la digestion, diminue les ballonnements et débarrasse le corps des toxines. Des allégations que rejette la nutritionniste Karine Gravel. « Aucune donnée scientifique n’appuie ces affirmations, dit-elle. Les gens ont extrapolé l’usage du charbon en cas de désintoxication aux drogues en lui attribuant plusieurs bienfaits associés au fameux grand ménage de son intérieur. » Selon la spécialiste, il s’agit uniquement de marketing pour vendre des produits. « Dire qu’on se débarrasse de toxines, c’est ne pas bien comprendre le métabolisme humain. Le corps est capable de faire le travail tout seul. »

Karine Gravel a consulté une étude sur le charbon végétal activé réalisée auprès de 10 participants. Pour elle, ce serait un non-sens de recommander le produit après une étude si restreinte. « Avant de faire des recommandations, ça prend plusieurs études importantes qui démontrent une tendance dans la même direction. Pour l’instant, ça n’existe pas. Et les effets à long terme sont inconnus. »

L’urgentologue Alexandre Larocque renchérit en parlant des effets malencontreux de l’usage du charbon activé. « Quand les gens se font un lavement ou une purge avec le charbon, c’est non nécessaire et potentiellement dommageable. » Sa collègue nutritionniste poursuit en mettant en garde ceux qui rêvent d’un produit qui guérit tout. « Certaines personnes attribuent au charbon végétal des propriétés pour la digestion, l’anti-vieillissement, la santé cardiaque et même l’hyperactivité des enfants. Quand c’est trop miraculeux, on devrait lever des drapeaux rouges. »

Blanchir les dents

Le président de l’Ordre des dentistes du Québec, le Dr Barry Bolman, n’est pas un partisan du charbon activé. D’entrée de jeu, il affirme que le produit ne blanchit rien, mais enlève plutôt les taches sur les dents, comme peuvent le faire le dentifrice ou le bicarbonate de soude. Puis, il souligne l’effet dommageable du charbon sur l’émail des dents. « Le charbon est un abrasif, dit-il. Donc, si on diminue la surface de l’émail, qui protège contre les attaques d’acide et la carie dentaire, on expose la dentine, qui est une autre couche plus jaune et impossible à blanchir. Si les gens utilisent le charbon activé tous les jours, ils vont finir sans dents… » Il ajoute que l’érosion de la dentine rendra les gens plus sensibles au chaud et au froid, en plus d’augmenter les risques de caries. Le Dr Bolman explique aussi que l’ingestion du charbon végétal activé peut nuire aux effets désirés de certains médicaments, comme ceux qui sont prescrits pour le cœur ou le diabète. « Ce n’est pas tellement bon pour les personnes qui ont certaines ordonnances, souligne-t-il. Ça peut créer des problèmes sérieux. »

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