Chronique

De zéro à party à la face dans le ruisseau

Quatorze ans, calvaire.

Athena Gervais avait 14 ans, elle a fait une bêtise que bien des ados font, elle a pris une brosse. Sauf qu’elle, elle en est morte.

Quand ils ont dit aux nouvelles qu’Athena avait été retrouvée dans le ruisseau derrière son école, je savais exactement de quel ruisseau il s’agissait. À 14 ans, j’étais à la même école secondaire qu’Athena, Poly-Jeunesse, à Laval. J’ai dû enjamber ce ruisseau un million de fois pour aller à l’école et pour retourner à la maison, en piquant à travers le champ.

Une brosse en après-midi, pendant les heures de classe. Est-ce qu’on faisait ça, en 1986 ? You bet. Pas moi. Moi, j’étais sage : première brosse à 17 ans. Avec une caisse de 12 de Laurentide, une bière dont j’aurais juré qu’elle était fabriquée avec de la pisse de vache.

Beurk.

***

J’ai contacté Fallu pour parler d’Athena Gervais. Fallu, c’est Jean-Sébastien Fallu, prof à l’Université de Montréal, expert en toxicomanie. Pour vous, Jean-Sébastien est ce type qui commente avec lucidité les enjeux de consommation – de drogue, d’alcool – dans les médias depuis deux décennies. Pour moi aussi, à cette différence près que j’ai connu Fallu… à l’école Poly-Jeunesse. Nous avons grandi dans le même quartier.

Cette pauvre Athena, Fallu… T’en penses quoi ?

« Plusieurs choses… »

Et il a enchaîné : 

• « Au-delà des enjeux de mise en marché de la boisson qu’aurait consommée l’ado avant de chuter dans le ruisseau – la boisson FCKD UP –, cette mort tragique est l’occasion de parler de consommation d’alcool avec nos jeunes.

• « Je ne suis pas prohibitionniste. Mais le FCKD UP, c’est un produit très douteux. C’est très loin de la culture du goût associée au vin. C’est fait pour se soûler rapidement, c’est pour ceux qui n’aiment pas l’alcool. C’est un encouragement au “binge”, à surconsommer.

• « On met beaucoup l’accent sur le produit dans les médias, mais il nous manque d’éducation aux drogues, à la réduction des méfaits. On met les jeunes en garde, on leur fait peur… Mais ça ne suffit pas. Je ne veux pas blâmer les amis d’Athena, ils sont jeunes, ils ne le savent pas. Mais il faut éduquer nos jeunes et leur dire, et leur redire, qu’il ne faut pas laisser sans surveillance quelqu’un qui s’évanouit après avoir bu. »

Plus je lis sur la mort d’Athena Gervais, plus je repense aux mots de Jean-Sébastien Fallu, plus je pense à ceci : il faut parler avec nos ados. De tout. De dope, d’amour, de cul. Mais d’alcool, aussi. Expliquer, plus que diaboliser.

Je dis « nous », je pense bien sûr aux parents, même si parler avec nos ados signifie souvent faire des monologues, je veux dire qu’on peut parfois avoir des conversations plus fertiles avec un cactus qu’avec une ado…

Non, nous, « la société » au sens large : les profs, les médias, l’État.

Et le truc qui donne le vertige, c’est que même si nous disons et répétons aux kids de faire attention à l’alcool qui demeure quand même la pire de toutes les drogues, même si on les éduque sur le danger extrême que court une amie qui s’évanouit d’avoir trop bu…

Ça se peut que ça arrive quand même.

Une mort, je veux dire. Une Athena.

Reste la question de cette détestable boisson, le FCKD UP, fabriquée par le Groupe Geloso, un poison qualifié de « bombe nucléaire » l’automne dernier par Hubert Sacy d’Educ’alcool (1), également dénoncé par la Santé publique et des urgentologues.

Bombe nucléaire ? Une cannette de 568 ml contient l’équivalent en alcool de quatre verres de vin : ça se boit comme du jus, hyper sucré et super caféiné, ça ne goûte pas l’alcool et ça stimule comme une boisson énergisante (grâce au guarana).

Alors quand Athena Gervais a englouti une cannette – volée au dépanneur du coin – de cette merde liquide à 11,9 % d’alcool savamment mise en marché par Aldo Geloso, elle n’a probablement jamais ressenti l’effet « beurk » de la vodka, de la Laurentide ou du vin.

Et c’est ce qui inquiète la Santé publique à propos de ces produits hyper sucrés et hyper alcoolisés comme le FCKD UP et sa cousine américaine Four Loko (temporairement interdite de vente) : ça se boit comme du jus, ça soûle vite et bien. M. Geloso jouait là-dessus, dans sa mise en marché, l’automne dernier : « Mettre du guarana dans un nectar de raisin à 11,9 %, c’est comme booster ton char sport avec de la nitro, pouvait-on lire sur le site web de FCKD UP l’automne dernier. Si tu veux passer de zéro à party en quelques gorgées, bois le mauve. »

De zéro à party, et des fois, de zéro à party à la face dans le ruisseau…

Elle a bu le mauve, la p’tite, vous pensez, Aldo ?

Je sais, je sais : les jeunes ont toujours bu, même si c’est illégal. À 14 ans, à la même Poly, j’avais des camarades qui se torchaient la gueule.

Mais… Mais… Mais me semble que l’alcool goûtait la pisse de vache, me semble que ça goûtait quand même un peu l’alcool, un peu beurk et fort…

 « Y avait de cette merde qui goûtait pas l’alcool, Fallu, dans le temps ?

— Rien comme du FCKD UP, non. »

***

Saviez-vous que les publicités d’alcool ne peuvent pas montrer des gens qui boivent de l’alcool ?

Eh oui, c’est une des nombreuses subtilités de la mise en marché de l’alcool dans ce pays. Faut pas encourager.

… Mais le FCKD UP et ses cousines sucrées qui vous rendent soûls morts en 10 minutes peuvent être vendus dans tous les bons dépanneurs. Oui, M. Geloso a suspendu hier la production de son FCKD UP. Reste que c’est permis d’en vendre, reste que les autres produits du même type ne sont pas interdits : c’est fucked up, en effet…

Je suis avec Fallu : il ne faut pas blâmer ces jeunes… 14 ans, calvaire.

Tu sais quoi, à 14 ans ?

Tu sais pas que tu devrais pas boire cette merde. Tu sais pas que ta chum, elle court un grave danger, si elle s’évanouit d’avoir trop bu…

T’as 14 ans : je dis que tu sais rien. Fallu me reproche de faire de l’âgisme, il préfère dire qu’on ne sait pas grand-chose, à 14 ans…

Mais tu sais ceci : t’es pas censé en prendre, de l’alcool. Et si t’en prends, surtout, tu sais que tu dois pas te faire prendre, parce que les adultes vont te passer tout un savon…

Mot de la fin à Fallu : « Ils devaient avoir peur des représailles. Voilà pourquoi les protocoles scolaires doivent être aussi faits pour soutenir les adolescents, dans la bienveillance. Pas simplement punir. »

Parlant des jeunes…

J’ai eu un fun fou à regarder Charlotte a du fun, ce film de Sophie Lorain sur la vie sexuelle de trois adolescentes qui découvrent la vie.

L’histoire, c’est que Charlotte se fait larguer par son chum (il a une bonne raison, je ne vendrai pas le punch) et Charlotte décide « d’avoir du fun »… Elle va coucher avec qui elle veut, quand elle veut. Où elle veut, aussi, même au magasin de jouets où elle bosse, s’il le faut…

Sachant à quel point la sexualité des femmes a de tout temps effrayé la société, c’est déjà un point de départ intrigant et provocateur. Sachant que la Charlotte en question a 17 ans, le cardinal Léger doit se retourner dans sa tombe et je connais quelques parents qui risquent d’avaler leur popcorn de travers…

Mais c’est un peu à ça que servent le cinéma et l’adolescence, non ? À décoiffer les adultes, je veux dire…

Scénario de Catherine Léger, dont les répliques ont l’immense mérite de sembler sortir de la bouche d’ados qui vivent ici, maintenant, en 2018. Et d’avoir pondu une histoire qui, vu le sujet, est zéro racoleuse.

Quant aux comédiens et comédiennes du film, comment dire…

Ils sont beaux.

Je ne parle pas de leur apparence, je parle de ce qu’ils dégagent, c’est comme si tout le spectre des couleurs irradiait de ces garçons et de ces filles-là. Tout un exploit, pour un film en noir et blanc.

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