Opinion  Relations entre les États-Unis et Cuba

Un nouveau chapitre

Le retour des ambassadeurs sera bénéfique pour les deux pays

Les États-Unis et Cuba ont procédé, hier, à la réouverture de leurs ambassades après 54 ans d’interruption des relations diplomatiques formelles. La réouverture constitue une étape importante tant au plan politique que symbolique et juridique.

Elle s’inscrit dans un processus qui devrait mener à terme à une certaine « normalisation » dans les relations entre deux États voisins qui ont vécu un long conflit.

Le 17 décembre dernier, le président Barack Obama reconnaissait que la politique suivie par les États-Unis à l’égard de Cuba avait été un échec. Le temps était venu d’adopter une « nouvelle approche ». Le président Raul Castro en prenait acte, tout en formulant une position de principe devant encadrer tout rapprochement : « Nous devons apprendre l’art de coexister, de façon civilisée, avec nos différences. »

Dans ce rapprochement, c’est la Maison-Blanche qui prend l’initiative, pour diverses raisons. Ce sont les États-Unis qui ont rompu les relations et qui ont multiplié les gestes hostiles, usant de la coercition économique (l’embargo) jusqu’à des actions de guerre (l’invasion d’avril 1961, des actes de sabotage, des attentats, etc.). Sa politique a échoué à isoler Cuba et est devenue un obstacle à de meilleures relations avec l’Amérique latine. Ses milieux d’affaires voient un marché qui leur échappe. Ses citoyens ne voient pas pourquoi on leur interdirait de séjourner dans une île séduisante à plusieurs titres. Le président Obama cherche à inscrire un succès en politique étrangère et à se démarquer de ses prédécesseurs.

Le retour d’une ambassade à La Havane n’est pas sans danger. Les historiens ont démontré le rôle qu’ont tenu les ambassades des États-Unis en Amérique latine dans la genèse de coups d’État. Ils ont fermé leur ambassade à La Havane en janvier 1961, en jouant les vierges offensées, quand Fidel Castro eut exigé publiquement une réduction de son personnel. Trois mois plus tard avait lieu le débarquement à la baie des Cochons.

Cette fois-ci, les deux pays s’engagent à respecter la Convention de Vienne, qui régit les relations diplomatiques.

Les autres étapes seront beaucoup plus difficiles et longues. La priorité pour Cuba demeure la levée de l’embargo. Cela relève du Congrès. Une dure bataille s’annonce, mais les opposants au Congrès seront soumis à des pressions venant de divers groupes économiques. De plus, un sondage récent révèle que 67 % des répondants américains favoriseraient la fin de l’embargo. Barack Obama dispose enfin de pouvoirs pour atténuer la portée de l’embargo.

Un lourd contentieux oppose les deux pays. Cuba demande la rétrocession de la base de Guantánamo. Il demande aussi que les États-Unis mettent fin aux transmissions radiophoniques et télévisuelles ainsi qu’aux programmes d’assistance destinés à appuyer l’opposition et la subversion. Il demande l’abrogation de la loi d’ajustement cubain, qui rend les Cubains qui débarquent aux États-Unis éligibles à obtenir la résidence permanente après un an et un jour, comme si tout immigrant cubain était un réfugié politique. Quatre athlètes cubains participant aux Jeux panaméricains s’en sont prévalus la semaine dernière. Les médecins cubains participant à des missions internationalistes sont aussi la cible d’un programme visant à leur faire abandonner leur affectation. Et c’est sans compter la demande de réparations pour les dommages causés par l’embargo et les agressions à laquelle les États-Unis opposeront une facture pour les expropriations subies par ses firmes et les Cubano-Américains.

Le principal obstacle à la normalisation demeure l’attitude des États-Unis. Rien n’indique qu’ils aient renoncé à induire un changement de régime. Ils comptent désormais sur le temps et sur des voies différentes. Les partisans de la «nouvelle approche» croient que le «soft power» pourra réussir là où le «hard power» a échoué. Mais Cuba est bien déterminé à défendre sa souveraineté et à décider, sans ingérence, de l’orientation et du rythme des changements qu’il convient d’apporter. On ne s’entendra pas sur la nature des changements, mais le nouveau contexte ne pourra qu’être bénéfique à toutes les parties. Un nouveau chapitre s’ouvre.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.