La fin d’un chapitre absurde

La cavalerie est arrivée. Avec un peu de retard, il faut le dire. On aurait souhaité qu’elle se pointe plus tôt, mais bon, elle est bien là, en masse et en force, dans le cœur enneigé d’Ottawa. Rue par rue, mètre par mètre, elle sonne le glas du « convoi de la liberté ».

Vous ne le verrez jamais dans les Minutes du patrimoine, mais c’est bien l’un des épisodes les plus absurdes de l’histoire du Canada qui tire à sa fin.

Aux premières heures du déploiement policier, vendredi, des manifestants installaient un château gonflable pour les enfants devant le parlement fédéral. D’autres faisaient cuire un cochon entier à la broche.

L’heure était au méchoui et à la fête, rue Wellington. Avec un peu de fatalisme, tout de même. On s’attendait presque à voir surgir les musiciens du Titanic.

Les policiers avaient beau prévenir les manifestants au mégaphone, ces derniers maintenaient leurs positions. Ils refusaient de bouger.

Jusqu’à la fin, beaucoup n’y ont pas cru. Dans leur monde parallèle, où ils s’imaginaient combattants de la liberté, ils ne pouvaient pas être arrêtés. C’était impossible.

Les feuillets coincés sous leurs pare-brise pour les prévenir d’une intervention imminente, les policiers établissant un quadrilatère de sécurité autour d’eux, la Loi sur les mesures d’urgence… ils n’ont cru à rien de tout ça.

Jeudi soir encore, Florentina Deaconu, une Montréalaise garée devant le parlement depuis le premier jour, disait à mes collègues : « Les policiers, ce sont nos frères et nos sœurs. Ils assurent notre sécurité. Ils ne vont jamais mettre fin au convoi. C’est la nouvelle réalité maintenant. »

***

Il fallait que ça cesse.

Il n’y avait plus rien à dire. Plus rien à négocier.

L’heure était au nettoyage. Les limites à la liberté d’expression avaient été franchies depuis longtemps. Ces manifestants avaient le droit de professer toutes sortes d’âneries, mais pas celui de forcer les gens à les entendre.

Ils avaient parfaitement le droit de manifester, mais pas celui de bloquer le cœur de la capitale et de menacer ses institutions démocratiques.

Les policiers ont procédé aux arrestations lentement, méthodiquement. À mesure qu’ils avançaient, les manifestants ont dû se rendre à l’évidence ; l’avènement de leur « nouvelle réalité » serait pour plus tard.

Mais ils n’allaient pas se rendre sans un baroud d’honneur terriblement disgracieux.

Dans l’espoir de perturber l’opération policière, des « patriotes » ont surchargé les lignes 911 par des appels non urgents, mettant en danger la vie des citoyens d’Ottawa.

Certains ont poussé l’audace jusqu’à placer des enfants entre les lignes policières et celles des manifestants. Ils ont utilisé leurs propres enfants comme boucliers humains.

Non, vraiment, il fallait que ça cesse.

Allez, la cavalerie : Make Canada Boring Again.

***

La Loi sur les mesures d’urgence a-t-elle fourni l’électrochoc requis pour dégager les rues d’Ottawa ? Était-il vraiment nécessaire d’invoquer cette loi d’exception ? Une fois les derniers camions remorqués, en aura-t-on encore besoin ?

De nombreux constitutionnalistes n’en sont pas convaincus. Selon eux, la menace posée par les manifestants ne justifiait pas le recours à cette loi, qui confère des pouvoirs extraordinaires au gouvernement. Les policiers avaient déjà en main tous les outils pour évacuer le centre-ville d’Ottawa.

Tout ça se discute, bien sûr. Et c’est exactement ce que les parlementaires auraient fait, vendredi, s’ils avaient pu siéger à la Chambre des communes.

Mais le débat d’urgence sur la Loi sur les mesures d’urgence a été annulé d’urgence en raison de l’opération policière qui se déroulait aux portes du parlement…

Quand on aura dégagé la voie aux élus, sera-t-il trop tard pour débattre ?

Le pont de Windsor a été débloqué. La frontière de Coutts a été rouverte. Et le siège d’Ottawa a été partiellement levé.

La crise nationale semble plus ou moins résorbée.

Soudain, l’urgence paraît moins… urgente.

***

Il reste à se pencher sur le financement des convoyeurs de la colère. Ce n’est pas un détail : des donateurs américains ont fait pleuvoir des millions sur des individus qui s’imaginaient recréer la prise de la Bastille à Ottawa.

Ces donateurs ont financé une tentative d’insurrection au Canada. Ils ont sciemment cherché à déstabiliser une démocratie étrangère.

La Loi sur les mesures d’urgence a permis de geler les fonds récoltés et de soumettre les plateformes de sociofinancement à une surveillance plus étroite.

Mais des liens ont été créés. La mouche du trumpisme a piqué le Canada. J’espère me tromper, mais je crains fort que cet épisode absurde soit le premier d’une série à l’américaine.

Pour la droite populiste, au sud de la frontière, le Canada a sombré dans la tyrannie. Sur Fox News, l’animateur Tucker Carlson ne cesse de maudire Justin Trudeau – le rejeton, répète-t-il sans rire, de Fidel Castro. Sur Twitter, Elon Musk compare le premier ministre à Adolf Hitler.

Même l’ancien président de l’Iran Mahmoud Ahmadinejad s’est mis de la partie, dénonçant jeudi sur Twitter la « violente répression » de la liberté au Canada !

Quand je lis des folies pareilles, je me dis qu’on y est peut-être, après tout.

Dans la nouvelle réalité.

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